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Chaque matin, Inigo Philbrick se réveille aux aurores pour découvrir ses mails. Il y a quelques années, il était l’un des marchands d’art les plus en vue de sa génération. Par son entremise, des dizaines de collectionneurs richissimes ont cru investir dans des œuvres à plusieurs millions de dollars. Mais en avril 2023, lorsque nous avons commencé à correspondre, il n’était plus que le prisonnier matricule 05863093 d’un établissement pénitentiaire fédéral au fin fond de la Pennsylvanie. Et pour cause : à 36 ans, il purgeait une peine de sept ans pour ce que le FBI considère comme la plus grande escroquerie dans le monde de l’art aux États-Unis.
À 6 heures du matin, il fait donc la queue devant la rangée d’ordinateurs que les détenus doivent se partager, au tarif de cinq cents la minute. Devant sa boîte mail, Philbrick cherche à inventer son avenir après la prison, alors qu’il doit rembourser 86 millions de dollars. Une horde de producteurs de cinéma, de télévision et de documentaires se disputent les droits de sa biographie. « Dans ce système, les occasions de réussir ou de s’améliorer sont rares, dit-il. Plus de famille, plus d’amis, plus de travail. Que reste-t-il ? »
Ce qui lui reste, c’est son histoire. Durant huit mois, à travers des dizaines de missives, il va ainsi me la raconter.
Tout commence à la naissance : sa mère, Jane Philbrick, dramaturge et artiste, dirige une galerie de l’East London. Son père, Harry Philbrick, est peintre et conservateur. Ils ont nommé leur nouveau-né en hommage à Inigo Jones, célèbre architecte britannique du XVII siècle. Le gamin n’a que 4 ans lorsque le couple déménage à New York. Quelques années plus tard, Harry est nommé directeur d’un musée du Connecticut. « Très tôt, j’ai passé beaucoup de temps dans les ateliers d’artistes, explique Inigo Philbrick. Je me suis imprégné de ce monde, j’aimais voir sur quoi ils travaillaient. Je voulais être avocat, mais j’ai vite été fasciné par les galeries. » À l’adolescence, un vent mauvais souffle sur sa vie de rêve, « un déchirant divorce ». Son père part exercer à l’Académie des beaux-arts de Pennsylvanie. Le jeune homme va soudain devoir, à 18 ans, aider à subvenir aux besoins de sa mère. Un jour, elle est invitée à un cocktail dans la résidence londonienne du marchand d’art Jay Jopling qui, dans les années 1990, a participé à l’éclosion de toute une génération de nouveaux talents, celle des Young British Artists comme Damien Hirst, Tracey Emin ou Sam Taylor-Wood. Suit une offre de stage pour Inigo. Il s’inscrit