Ajay* est un petit soldat. Ou une victime. D’autres diraient un esclave. C’est selon. Un pion, en tout cas, dans une bataille maritime silencieuse, presque invisible, qui se déroule sur les côtes du nord de la France. A Calais notamment, et ces quelque 35 kilomètres de bras de mer qui séparent la France du Royaume- Uni. Des eaux glacées, de l’acier liquide, tombeau d’une forme de mondialisation qui profite de toutes les failles du droit, se nourrit de l’appât du gain, avide de toutes les dérives. Ajay est matelot à bord du Pioneer, un ferry dernier cri de la compagnie britannique P&O, le champion du trafic de marchandises et de passagers sur la liaison transmanche. Un navire nouvelle génération, inauguré il y a un an à peine, en avril 2023. Double passerelle, double proue, jusqu’à 1 800 passagers à bord et plus d’une centaine de camions, ponts en teck, salles de jeux d’arcade, aire de repos où de larges fauteuils moelleux accueillent les quidams le temps d’une traversée express. Un ersatz de La croisière – les eaux turquoise en moins. Ni abordage ni torpille dans cette bataille navale, juste une guerre économique féroce qui oppose depuis 2022 deux compagnies, Irish Ferries et P&O, à leurs concurrents français, Brittany Ferries et DFDS. Une guerre alimentée par des baisses de tarifs inédites et un dumping social ravageur. Tout pour grappiller quelques parts de marché, avaler encore plus de camions, devenir un maillon incontournable dans la chaîne commerciale entre l’Europe et le Royaume-Uni.
Entre Calais et Douvres, les forçats des ferrys
Mar 20, 2024
9 minutes
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