la poursuivaient. Elle rejoue devant nous Laura Dern, dans Jurassic Park, fuyant une attaque dans un cri de désespoir. À l’époque, Steven Spielberg lui avait proposé d’incarner la paléobotaniste dans son blockbuster. Mais elle s’était déjà engagée pour Trois couleurs : Bleu de Krzysztof Kieslowski (1993). Alors elle a dit « non » à l’un des plus grands réalisateurs au monde. « Vous le regrettez ? » lui demande-t-on. « Pas du tout, répond-elle. Je suis quelqu’un d’entier. »
Insaisissable Juliette Binoche. Aucune méthodologie ne guide ses choix. Elle marche à l’instinct, à l’envie, au mystère du contact humain. Elle préfère les paris artistiques aux chemins tout tracés. Au compteur, quarante et un ans de carrière et plus de 80 films. On l’a vue crier « Sale con ! » chez Pascal Kané, faire des miracles dans Je vous salue, Marie de Jean-Luc Godard, déborder de sensualité devant la caméra de Claire Denis. Elle a joué avec la même aisance une ingénue (L’Insoutenable Légèreté de l’être), la chocolatière d’une bourgade (Le Chocolat), une sculptrice internée en hôpital psychiatrique (Camille Claudel, 1915). Son influence transcende les époques, les tendances et les frontières. Sa sensibilité à fleur de peau s’exporte, du cinéaste japonais Kore-eda au réalisateur canadien David Cronenberg. Ultime signe de cette aura indéfectible, seules Julianne Moore et elle ont été sacrées dans les trois plus grands festivals de cinéma : Cannes, la Berlinale et la Mostra de Venise.
Outre-Atlantique, les journalistes s’extasient sur son « je-ne-sais-quoi », cet alliage d’anglais parfait et de mimiques si parisiennes. Elle a réussi l’impensable : se frotter à la machine hollywoodienne sans perdre son identité. Alors elle s’amuse, fait plaisir à son fils en apparaissant quinze minutes dans entre deux films d’auteur. Spoiler : sa mort a fait verser À l’époque, Mick Jagger avait fait des pieds et des mains pour la rencontrer. Inutile de l’interroger sur cette nuit de consécration, elle « vit dans le présent ».