Des dieux volant au secours des mortels sur les champs de bataille, des éléments naturels qui se déchaînent contre les guerriers profanateurs, des héros capables d’exploits surhumains: tout ou presque dans l’Iliade invite à considérer la guerre de Troie comme une fiction sortie de l’imagination féconde des Grecs. Pourtant, les contemporains d’Homère ne doutent pas du caractère historique de ce conflit. Dans une société où l’écrit joue un rôle encore limité et où la mémoire du passé est transmise oralement par les aèdes, « le seul critère de vérité est le consensus: est jugé vrai ce que la majorité ou les personnes faisant autorité tiennent pour vrai », écrit l’historien suisse Adalberto Giovannini (voir « Pour en savoir plus »).
Une question en suspens
Que tient-on alors pour vrai? Qu’en un passé lointain, à un âge héroïque où les dieux commerçaient avec les mortels, une guerre opposa une grande coalition achéenne unie sous le sceptre d’Agamemnon, roi de Mycènes, à la riche cité de Troie, sise au nord-ouest de l’Anatolie. De ce passé légendaire, les Grecs ont conservé le souvenir d’événements, d’anecdotes, de personnages auxquels ils associent des vestiges bien tangibles: murs cyclopéens des anciens palais mycéniens, armes de bronze richement décorées, parures magnifiques de rois oubliés…
Malgré les coups de boutoir de la critique philologique moderne, la question de l’historicité de la guerre de Troie est loin d’être tranchée (voir encadré). Par ailleurs, on sait aujourd’hui qu’, le poète auquel on attribue la rédaction de l’, se fondait sur une tradition transmise par les aèdes depuis les temps mycéniens. L’art de ces champions de la transmission orale se servait de techniques de mémorisation: versification en , formules apprises par cœur, scènes et descriptions types… Mais il s’agissait aussi d’un art créatif reposant sur l’improvisation, l’aède étant toujours libre d’agencer les différents éléments de la matière épique à sa convenance, en se réclamant de l’inspiration des Muses. De fait, une telle tradition n’a pu se reproduire sans altération sur un demi-millénaire. La question du caractère historique de la guerre de Troie reste donc en suspens, et il est possible que la découverte de nouveaux textes hittites permette dans un futur proche d’éclaircir le débat.