«Je pars demain vers l’est, ignorant encore si nous n’arriverons pas trop tard comme les carabiniers. » Ces propos amers datent du 23 avril 1945. Ils émanent du général Leclerc, dont la 2e division blindée s’apprête à rejoindre l’Allemagne, au départ de la Charente-Maritime. Elle vient alors de participer à l’assaut du réduit allemand de Royan. Un tel engagement, si loin du front principal, huit mois après la retraite allemande du sud-ouest de la France, peut interroger. Pour le comprendre, il convient de considérer des fronts fréquemment qualifiés d’oubliés: les poches de l’Atlantique, que les Allemands conservèrent sur le littoral français, du Médoc à Dunkerque, jusqu’en mai 1945.
Priver les Alliés de ports
Ces poches littorales sont nées bien avant la Libération. Une directive signée par Hitler le 19 janvier 1944 instaure en effet quatorze Festungen (« forteresses») en vue d’une probable invasion alliée: neuf sur la Manche et la mer du Nord (îles Anglo-Normandes, Saint-Malo, Cherbourg, Le Havre, Boulogne, Calais, Dunkerque, ainsi qu’IJmuiden et Hoek van Holland barrant l’accès à Rotterdam et Amsterdam) et cinq sur la côte atlantique (Brest, Lorient, Saint-Nazaire, La Rochelle, ainsi que Royan et la pointe de Grave interdisant Bordeaux). Il s’agit de priver les Alliés d’accès aux ports en eaux profondes jugés essentiels pour alimenter la logistique d’une offensive pérenne après un débarquement. Bien qu’elle s’appuie sur les efforts déjà consentis pour fortifier le littoral français depuis 1941, cette stratégie, bâtie sur le modèle d’une chaîne cadenassant tous les grands ports, reste précaire: la chaîne rompt dès qu’un maillon cède.
Le « blocus continental» allemand n’est pas absurde, mais il ne réussit que partiellement. Dès la mi-juin 1944, à la grande surprise de Berlin, les Alliés construisent deux ports artificiels Mulberries en Normandie. Dans la foulée, la de Cherbourg, première assaillie, tombe le 27 juin. Le port, Corps US, qui devait poursuivre son effort jusqu’à Bordeaux, prenant un réduit après l’autre. Saint-Malo tombe le 17 août (Cézembre tiendra jusqu’au 2 septembre), puis Brest le 19 du même mois, après un siège de 43 jours.