AVEC GOÛT
I raconte Francis Mallmann dans Fire, paru (en anglais) aux éditions Artisan en 2022. Sur les terres lointaines de l'enfant de Patagonie, aux étendues peuplées de pumas, de guanacos ressemblant à des lamas, de choikes (autruches), survolées par les condors, traversées par les gauchos élevant d'immenses troupeaux, les plaisirs carnivores sont bien ancrés. Il n'en reste pas moins que les consciences envisagent un autre langage culinaire. Ainsi donc, Étonnant parcours que celui de ce maître du feu qui a ouvert son premier restaurant à 19 ans. C'est dans les livres de gastronomie qu'il s'initie à la cuisine française. Une approche qu'il concrétise en s'installant en France et en passant par les cuisines de Ledoyen, de l'Archestrate d'Alain Senderens, du Grand Véfour de Raymond Oliver, du Taillevent avec le chef Claude Deligne, d'Alain Chapel. Il y apprend les fondements en même temps que la langue et pose les grandes lignes d'une cuisine traditionnelle et personnelle. À 40 ans, il réinvente sa cuisine et explore l'art du feu ou plutôt des feux. Sept feux au total alliant chapa (gril ou plaque en fonte), « petit enfer » (cuisson au-dessous et au-dessus de la flamme directe), parilla (barbecue traditionnel), four à bois, rescoldo (cuisson dans les braises), asador (pièces entières mises à plat et cuites face au feu) et caldero (cuisson au chaudron). Francis Mallmann les a tous apprivoisés. Ces modes de cuisson, il les utilise comme un peintre sélectionne les couleurs de sa palette, comme un auteur choisit ses mots. Avec ce revirement, il s'agissait d'utiliser toutes les possibilités de ce savoirfaire ancestral. Ainsi, un four à bois et un dôme de feu ont été construits au coeur de Château La Coste. C'est la mise en scène, la scénographie, le cérémonial des repas qui l'a conduit à s'intéresser à la cuisine. À côté du spectacle du feu, du ballet d'une équipe qui danse autour des flammes, le restaurant décline un décor en noir et blanc rythmé de rouge vif. À table, comme disséminées sur des étagères-bibliothèques, sur des tableaux associant textiles et céramiques, les assiettes comme les pièces de formes d'Astier de Villatte appartiennent à la toile de fond, de même qu'elles accueillent les recettes du chef qui les collectionne depuis longtemps. Les vers de Paul Verlaine, Edmond Rostand, Robert Desnos, Jacques Prévert ont aussi leur place. Le repas célèbre l'idée du partage. C'est bien là ce que propose la table de Francis Mallmann. Une expérience incandescente à vivre au milieu des vignes et des arts, un grand moment d'embrasement pour esthètes et épicuriens.
