ENQUÊTE
En ce mois d’octobre 2022 à Kherson, l’air brûle. Huit mois maintenant qu’il pleut des missiles dans cette ville du sud de l’Ukraine. Les avions de chasse lézardent le ciel et éventrent les immeubles. Des cadavres jonchent les rues tandis que d’autres gisent sous les décombres.
Les cratères de bombes ont remplacé les cours de récréation. Pour les enfants qui ont encore accès à Internet, l’enseignement se fait par Zoom. Pour les autres ? La débrouille. Entre deux sirènes hurlantes, certains parents s’improvisent professeurs mais leur principal souci est ailleurs. Les chars russes assiègent la ville. Les Ukrainiens défendent chaque parcelle de territoire. Dans les appartements du centre comme dans les maisonnettes de proche banlieue, les mères se demandent comment occuper les enfants. Faut-il les envoyer loin d’ici ?
Au milieu des entrailles fumantes de Kherson, une information circule : la Russie proposerait aux enfants ukrainiens quelques semaines au soleil, tous frais payés dans des stations balnéaires de renom de la mer Noire. En somme, des séjours en colonies de vacances pour oublier les atrocités du conflit. Dans les files d’attente des ravitaillements, les parents discutent. Après tout, la guerre est une affaire d’adultes. Les enfants ont le droit d’y échapper. Certains refusent net, d’autres se renseignent.
Natalia demande un peu de temps avant de prendre une décision. Elle veut réfléchir, en parler avec sa famille. La station balnéaire d’Anapa, où se trouve le fameux camp de vacances, se situe au sud de la Russie, à plus d’un millier de kilomètres du Kremlin. Des amis la rassurent : « C’est un endroit moderne, connu pour accueillir des enfants. » Natalia vérifie avec la « coordinatrice » les détails du séjour. Elle ne veut rien laisser au hasard, exige des précisions sur les activités et l’emploi du temps quotidien. On lui répond avec sérieux, professionnalisme. Ses deux garçons, Igor et Vasyl, vont échapper au quotidien mortifère de la guerre. Et tant pis s’ils passent trois semaines chez les Russes. N’y allaient-ils pas avant l’invasion ? « Là-bas, se dit leur mère, ils seront plus en sécurité qu’ici. »
Trois semaines plus tard, c’est l’effroi. Natalia reçoit un coup