Diapason

Callas Un abécédaire amoureux

Aphonie

ALe basculement de l’Art au Mythe s’opère via… une extinction de voix. Le 2 janvier 1958, Maria Callas, victime d’un refroidissement, doit interrompre après le premier acte une représentation de Norma à l’Opéra de Rome. Elle avait proposé de l’annuler mais s’était heurtée au refus du théâtre, qui prétendait ne pas avoir prévu de doublure – Anita Cerquetti assurera pourtant les soirées suivantes (voir Rivales). D’anecdote, l’accident se transforme en scandale planétaire. Les députés italiens dénoncent une injure à la nation (le président de la République était dans la salle), les journaux étrangers relaient ces éclats et font découvrir au grand public le nom d’une soprano encore essentiellement connue des mélomanes. Pourquoi cet emballement? Jalousie des Romains envers la Scala de Milan, première scène du pays et port d’attache de la chanteuse. Ampleur d’un phénomène qui devait inévitablement déborder du cercle artistique dans la sphère sociale – Roland Barthes ne s’est hélas pas penché sur ce cas d’école tout indiqué pour lui. Kairos unique dans le siècle, enfin, entre la place encore accordée au spectacle vivant et le développement des médias modernes. 1958 est à la fois la dernière année de la véritable carrière de Maria Callas, et la première de sa légende.

Bel canto

BL’aboutissement musical avait donc précédé le phénomène public. Mais quel aboutissement? Maria Callas est souvent créditée d’une résurrection: l’art du bel canto. Encore faut-il s’entendre sur la définition de ce « beau chant », a fortiori porté par une voix dont les aspérités et les stridences divisaient les auditeurs, formés à une culture du son privilégiant la rondeur et la plénitude du timbre, autant que l’homogénéité des registres. Pour le Grove, le bel canto « désigne généralement le style vocal italien du XVIIIe et du début du XIXe siècle, dont les qualités comprennent un legato parfait sur toute la tessiture, l’allègement du son dans les aigus et une émission agile et souple ». Les auteurs s’empressent toutefois de souligner l’imprécision du terme, utilisé à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle seulement, par opposition au chant dramatique verdien et wagnérien. Le bel canto serait-il d’abord un fantasme nostalgique? Cent ans plus tard, sa redécouverte s’inscrit dans un vaste mouvement d’exhumation du passé, alors que la création divorce du public des théâtres lyriques et des salles de concert. Contemporaine de Harnoncourt et Leonhardt, Callas fait figure de pionnière sur le versant italien de ce retour à l’ancien, dans une frange d’ailleurs étroite et crépusculaire du répertoire – les trois décennies romantiques de Rossini, Donizetti et Bellini.

Comique

CLa plus fameuse tragédienne lyrique du siècle fit aussi, en de rares occasions, preuve d’une irrésistible fibre comique – justement au travers de ce bel canto romantique qu’elle servait avec une exigence musicale de chaque mesure. Deux rôles rossiniens: Fiorilla du , et Rosina du . Incarnées l’une et l’autre sur les planches de la Scala pour quelques soirées au mitan des années 1950, elles s’accomplissent devant les micros d’Emi. Suprême distinction du phrasé; sérieux absolu du caractère, plus sûr chemin du rire; infinie variété des accents, des dynamiques et des ornements tissés autour des mots – le « » de » de Fiorilla sont justement entrés dans la légende. Quitte à encourir les foudres des adorateurs, le comique callassien a-t-il également sa part involontaire? Les sourires, les mines, la solennité empesée des bras au récital et de la démarche à la ville, les caniches et la panoplie des couturiers, qui transforment moins la diva amincie en sosie qu’en caricature de son modèle, Audrey Hepburn. Hergé, on s’en souvient, s’inspirera beaucoup des attitudes et de la garde-robe de Callas pour faire évoluer la Castafiore dans les années 1960 – à un moment où la chanteuse adoptait pour sa part un look plus naturel, et riait franchement des imitateurs, tel Claude Vega, qui épinglaient ses travers.

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