Sept

Une journée de fouilles à Balkh, «la mère des cités»

Mazar-e Charif, 5 h 30 du matin. L’appel du muezzin retentit dans l’obscurité de cette matinée d’octobre 2006. Retentir est d’ailleurs un bien grand mot. C’est plutôt une série de crachotements dont il est difficile de déterminer s’ils sont dus à la vétusté des haut-parleurs ou à la santé vocale défaillante de l’officiant. Mais le message est bien là, et je ne peux m’empêcher de penser que cette voix, aussi chancelante soitelle, représente une infime partie de cet écho qui, à cet instant, se répercute dans toute la région. La maison commence à s’éveiller avec les inévitables files d’attente devant les salles de bain. A cette heure, les conversations autour de la table du petit déjeuner sont réduites, à l’image du menu: nouilles chinoises relevées de coriandre et de jus de citron pour les plus gros mangeurs, thé noir brûlant, très sucré, pain rond ouzbek agrémenté de confitures turques ou de fromage fondu pour tous, de quoi nous permettre d’attendre jusqu’à la pause de 10 h 00. Pendant ce temps, les plus dégourdis chargent les voitures en essayant de ne rien oublier, à commencer par les thermos de thé, indispensables pour réchauffer les énergies fortement sollicitées dans ces matinées fraîches d’automne. Calés dans les voitures bien chauffées, nous parcourons les vingt kilomètres nous séparant du site de fouille dans une semi-torpeur. Mazar-e Charif dort encore; peu de voitures, quelques piétons emmitouflés dans leur se dirigent vers le centre-ville et son bazar. A la sortie de l’agglomération, le trafic se densifie: des files d’ânes chargés de volumineux sacs de toile rayée noir et blanc, quelques chameaux, des taxis, reconnaissables à leurs couleurs jaune et blanche, des bus… Nous traversons la zone «industrielle» avec ses boutiques vendant toute sorte de matériaux de construction, puis sa gare routière qui dessert le nord-ouest du pays. Autobus, taxis, triporteurs embarquent leurs passagers vers Cheberghan, Akcha, Maïmana ou Badghis, plus à l’ouest, à la frontière du Turkménistan. Dans la campagne environnante, le soleil levant dévoile les contours de constructions en terre disséminées et des épaves de blindés russes qui jalonnent le bord de la route pour nous rappeler que nous sommes dans un pays tout juste sorti de 20 ans d’une guerre cruelle. Arrivé à Balkh, l’antique Bactres, une grosse bourgade agricole, mais aussi l’une des plus anciennes villes d’Asie centrale, à une centaine de kilomètres au sud de l’Oxus - l’Amou-Daria d’aujourd’hui, qui sépare l’ex-Union soviétique de l’Afghanistan -, notre convoi se scinde en deux: une première voiture part en direction de la citadelle, Bala Hissar (fort en hauteur, en persan), tandis que les deux autres prennent la large route non goudronnée qui mène à Tepe Zargaran à la limite est du site antique. Au pied du (colline artificielle), l’un des véhicules se dirige vers la portion de rempart au nord alors que l’autre gravit la pente de la colline pour s’arrêter sur l’autre versant, à la limite d’un champ où nous attendent déjà bon nombre d’ouvriers. La fouille a commencé depuis quelques semaines et, les jours raccourcissant, nous partons de plus en plus tard de Mazar-e Charif de sorte à arriver sur notre lieu de travail quand la lumière est suffisante pour lire la liste de présenceet se terminaient généralement par des séances photo qui furent interdites le jour où les maris découvrirent que nous avions vu ces images, dévoilant ainsi ce qui devait rester, à leurs yeux, réservé au monde des femmes.

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