FRANCISCO DE GOYA
Introduction par Élie Faure, Phaidon, 1937.
Accessible directement sur le web: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3041918s/f1.item
» (« »), commente Francisco de Goya (1746-1828) en représentant la fuite éperdue des villageois pour échapper aux soldats. Mais veut-il marquer son témoignage ou s’agit-il d’une métaphore? On ne le saura jamais., témoignage sur l’invasion de l’Espagne par les troupes de Napoléon, de 1808 à 1812. L’idée est vraisemblablement venue à Goya après un voyage effectué à la demande du général Palafox du 2 au 8 octobre 1808, de Madrid à Saragosse, sa ville natale dont les Français viennent d’abandonner le terrible siège. Parcourant les quelque 270 km qui séparent les deux cités dans une Espagne dévastée, l’artiste observe, interroge, esquisse… Il est également spectateur de la famine qui ravage Madrid en 1811-1812. La gravure est peut-être achevée avant la fin de la guerre en 1815, ou bien après 1820, si l’on en croit Élie Faure, le grand historien de l’art qui rédige l’introduction de cette édition. L’oeuvre ne sera cependant publiée qu’en 1863. Pour ses , Goya s’inspire des de Jacques Callot (1592-1635), série de 18 eaux-fortes décrivant l’invasion de la Lorraine par les troupes de Richelieu en 1633, dont le maître espagnol possédait sans doute une édition. Mais, comme le feront Capa, McCullin, Chauvel et autres, il abandonne les vues panoramiques soigneusement composées par Callot pour le gros plan dynamique, tandis que le trait sombre, rageur, brouillon, rompt radicalement avec les conventions de l’art militaire classique. Ni gloire, ni panache: l’Espagnol montre les exactions d’une armée d’occupation et l’horreur de la « petite guerre », cortège d’exodes, pillages, massacres, exécutions, viols, famine… Précurseur, visionnaire, Goya invente ici le reportage de guerre. Il y a une filiation directe entre la planche 60 (), la photo prise en janvier 1942 par Dmitri Baltermants après les exactions allemandes à Kertch et les clichés numériques pris à Bucha (Ukraine) en mars 2022. La présente édition offre un intérêt supplémentaire par son contexte. Datée de 1937, elle fait écho à la guerre d’Espagne en cours. Si son superbe texte ne le laisse pas forcément deviner, Élie Faure, antifasciste militant, réclame alors une intervention du Front populaire en faveur des républicains. La sortie de l’ouvrage coïncide en outre avec la réalisation de , le célèbre tableau de Picasso. Ce dernier citera d’ailleurs Goya directement en 1951 dans le (1951), reprise du fameux . Callot, Goya, Picasso… Si l’histoire de l’art se répète, c’est, comme aurait dit Thucydide, parce que les misères et les désastres de la guerre sont un perpétuel recommencement.