À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le Japon est, de tous les futurs belligérants, celui qui dispose de la doctrine amphibie la plus élaborée et de l’expérience pratique et récente la plus importante. Ces opérations sont même l’un des rares domaines où armée et marine impériales coopèrent efficacement, alors qu’elles entretiennent depuis les années 1920 des relations exécrables, et préfèrent en règle générale opérer séparément. Lorsqu’ils se lancent à l’assaut des colonies occidentales d’Asie du Sud-Est et du Pacifique, les Japonais s’appuient donc sur une réelle expertise, qui explique largement la rapidité et l’ampleur des succès remportés sur les Alliés jusqu’au printemps 1942.
Cette maîtrise n’a rien d’étonnant: puissance insulaire et nation archipélagique, le Japon a été de longue date confronté à des opérations amphibies, tant pour les repousser – les plus célèbres étant les deux tentatives mongoles, à la fin du XIIIe siècle (voir p. 20) – que pour en mener – lors des guerres intestines de l’époque Sengoku ou des expéditions en Corée de 1592 à 1598. Lorsqu’à la fin du XIXe siècle, le Japon met sur pied une armée et une marine modernes, la problématique des débarquements se pose d’autant plus naturellement que la restauration Meiji conduit le pays à envisager des interventions outre-mer: il s’agit de faire pièce aux visées impérialistes des Occidentaux (en particulier des Russes en Corée), mais aussi, bientôt, de jeter les bases d’un impérialisme nippon, notamment dans une Chine en pleine déliquescence.
S’étendant exactement de 1477 à 1573, la période Sengoku (Sengoku-Jidai, « époque des États combattants ») désigne plus largement la longue période de guerres civiles entre seigneurs féodaux (les daimyo) qui marque, du milieu du XVe siècle à la fin du xvie, la fin du processus d’unification politique du Japon.
Lancées à l’initiative de l’un des unificateurs du Japon, Toyotomi Hideyoshi, les deux expéditions en Corée (1592-1598) sont la première tentative nippone d’impérialisme sur le continent asiatique, sur fond de nécessité politique d’employer loin de l’archipel, où l’on craint leur rôle déstabilisateur, les nombreux samouraïs désœuvrés par la fin des guerres civiles. Face à une guérilla coréenne et à des interventions chinoises, elles s’achèvent en échec.
Le terme de restauration Meiji (1868-1912), du nom de règne de l’empereur Mutsuhito (1852-1912, règne de 1867 à 1912), est appliqué à la période de transition entre le Japon « féodal » et le Japon moderne. Elle voit en un laps de temps très court l’archipel nippon se moderniser tant sur le plan technique (révolution industrielle) que social, avec l’abolition des castes et l’occidentalisation partielle des modes de vie. Le Japon entre alors dans le club des grandes puissances.
Premiers pas réussis en Corée
La première guerre du Japon moderne, qui l’oppose à la Chine en 1894-1895 avec la Corée pour enjeu, voit donc l’armée impériale réaliser sa première expédition en Asie. Le conflit est division japonaise à Chemulpo (actuelle Incheon). Réussie facilement en l’absence d’opposition, l’opération crée un précédent dans le rôle stratégique confié aux projets amphibies par les Japonais: ceux-ci doivent servir d’appât pour la flotte chinoise de Beiyang, qui défend la mer Jaune et dont la présence entrave la liberté d’action nippone.