L ’amour sur un plateau

Et pour ces messieurs, qu’est-ce que ce sera ? demanda Annie.

Tous les jours, Bernard, Francis et Jojo s’accoudaient au comptoir du Balto pour commenter les affaires du monde en sirotant leur apéro.

– Un blanc.

– Une Suze.

– Et moi : un pastis.

La patronne du Balto remplit les verres en gardant un œil satisfait sur la salle. Elle aimait que tout soit au carré : les clients servis, les tables toujours propres et les grandes plantes vertes bien arrosées. Annie Ranault gérait le café de Chevigny-sur-Allier depuis près de quarante ans, ce qui faisait dire à ses trois amis que les murs avaient été construits autour d’elle.

Sa voix grave et autoritaire contrastait avec sa petite taille et ses rondeurs.

– Marinette, le demi pour la dame de la six.

– J’y vais ! chantonna Marinette.

Francis la regarda s’éloigner vers la dame au demi.

– Elle est encore là, ta sœur ? demanda-t-il à Annie. Elle vit toujours chez toi ?

– Bien obligée, répondit la patronne en comptant la monnaie.

Le voisin de Marinette était parti en vacances en laissant un robinet ouvert et l’eau avait imbibé le plafond et les murs pendant des jours avant qu’on s’aperçoive de la catastrophe. Annie hébergeait donc sa sœur Marinette, le temps qu’on répare les conséquences du dégât des eaux.

– L’eau, c’est très dangereux, déclara Jojo en buvant sa Suze.

– Surtout l’eau ferrugineuse, précisa Bernard.

Annie ne le montrait pas, mais elle était contente d’accueillir Marinette, toujours guillerette. Et Marinette, qui s’ennuyait depuis sa retraite anticipée, prenait plaisir à aider sa sœur au café.

Le soir, elles montaient toutes les deux à l’étage et rejoignaient le petit logement situé au-dessus du Balto. Comme au temps où elles partageaient la même chambre d’enfant, Annie lisait quelques minutes, puis s’endormait, bercée par le doux bavardage de sa cadette.

– Elle au moins, elle donne un coup de main ! dit Jojo. Pas comme l’autre, là…

Annie lança un regard à son vieil ami qui rentra la tête dans les épaules. Puis elle sourit. Au fond, elle ne lui en voulait pas de