John Prine
“CROOKED PIECE OF TIME : THE ATLANTIC & ASYLUM ALBUMS (1971-1980)”
Atlantic / Asylum (Import Gibert Joseph)
uestion pour les niais: à quoi reconnaît-on un grand musicien ou un grand groupe? Au nombre d’albums qu’il a vendus (dans ce cas, Muse, Mireille Mathieu et Queen sont des génies) ? Au nombre de musiciens qu’ils ont influencés, comme le Velvet Underground, les Stooges, Kraftwerk, Suicide, les Sex Pistols, et qu’il était . D’un autre côté, il y a plusieurs années, alors que la clique de Thom Yorke incarnait l’avenir du rock, un journaliste avait demandé à Roger Waters s’il reconnaissait l’influence de Pink Floyd dans les albums de Radiohead. La réponse a été limpide : Waters était tellement fan qu’il a même souhaité produire ses albums lorsque l’intéressé était financièrement mal en point (c’est finalement le bassiste des Heartbreakers qui s’en est chargé). Prine avait commencé comme facteur, fan de folk, dans les faubourgs de Chicago. Il échappe au Vietnam en faisant son service en Allemagne, rentre chez lui, joue dans des soirées . Son allié Steve Goodman le recommande à Kris Kristofferson au début des années soixante-dix. L’auteur de “Me And Bobby McGee” se pointe, n’en revient pas, et propose à Prine de chanter plusieurs de ses compositions lors de ses propres prestations. , écrit le surdoué dans les notes de pochette du premier album du postier, signé directement chez Atlantic par Jerry Wexler, qui a également assisté à l’un de ses concerts grâce aux recommandations de Kristofferson. Dylan le rejoint sur scène, sans le prévenir. Il n’en croit pas ses oreilles. Sur ce, Prine enregistre un premier album, son meilleur, avec les musiciens d’Elvis aux studios American de Memphis. Là-dessus, il lâche quelques chansons stupéfiantes, dont “Donald And Lydia”, “Sam Stone”, l’histoire d’un vétéran du Vietnam accro à l’héroïne , et surtout “Hello In There”, l’histoire d’un vieux couple dont tous les enfants sont partis et dont l’amour part en vrille bien qu’il faille se serrer les coudes : . Prine n’avait pas la grandeur mélodique de Kristofferson ou Dylan, mais comme parolier, ce n’est rien de dire qu’il se posait là. Tout le monde était à genoux devant lui et on ne compte plus les musiciens qui ont repris ses chefs-d’œuvre. Ce coffret, sorti il y a quelques mois mais passé sous nos radars, est essentiel: sept albums parmi lesquels quatre indispensables (les trois premiers et le cinquième), plus un truc funky produit par Sam Cooper (“Common Sense”, comptant le grand “Come Back To Us Barbara Lewis Hare Krishna Beauregard”), puis une folie rockabilly enregistrée avec le grand manitou de Sun, Sam Phillips, durant laquelle un ampli explose en direct (“Saigon”). La reprise de “Ubangi Stomp” a dû plaire à Alex Chilton. Ce songwriter géant a survécu à deux cancers avant de finir terrassé par le Covid le 7 avril 2020. Le coffret en question lui rend justice et permettra aux néophytes de découvrir une œuvre exceptionnelle. Mieux vaut comprendre l’anglais pour en apprécier toute la grandeur.
