Heartbreakers
“L.A.M.F – THE FOUND ’77 MASTERS”
Jungle Records (Import Gibert Joseph)
A ce stade, ce n’est plus une histoire à rebondissements, mais une intrigue archéologique: Indiana Jones au pays du punk rock. Tout le monde pensait en avoir fini avec les mutations de “L.A.M.F”, classique de 1977, mais non, voici que contre toute attente, l’album est disponible tel qu’il aurait dû sortir, et ce n’est pas de la flûte. Retour sur les méandres chaotiques d’un disque a priori condamné. Peu après leur arrivée en décembre 1976 à Londres, les Heartbreakers de Johnny Thunders, Jerry Nolan, Walter Lure et Billy Rath sont signés sur Track Records, label tenu par deux anciens mods qui avaient managé les Who à leurs débuts, Chris Stamp (frère de l’acteur mythique du Swinging London, Terence) et Kit Lambert. Ils ne sont pas très en forme, et les Who sont en guerre contre eux.
Qu’importe, les Heartbreakers jouissent de la réputation de Thunders et Nolan: à Londres, tous les punks ont adoré les New York Dolls, et Steve Jones a raconté cent fois qu’il avait appris la guitare en écoutant non-stop les deux albums du groupe. Apportant avec eux un blizzard d’héroïne et la pétasse Nancy Spungen (, selon l’un des membres de la formation), les Heartbreakers enregistrent leur album dans différents studios. Il y a au répertoire d’anciennes chansons “Pirate Love”, “Chinese Le tas de boue en question s’est vendu à plus de vingt mille exemplaires en Angleterre durant la première semaine suivant sa sortie, mais il était évident que le disque, d’un point de vue sonore, ne pouvait entrer en compétition avec ceux des Pistols ou des Buzzocks. Childers a décidé d’agir, a envoyé deux jeunes truands cambrioler les locaux de Track Records, fermés, qui ont récupéré ce qu’ils pouvaient: des mixes alternatifs. Thunders a révisé le tout dans les années quatre-vingt, puis en 1994, toujours à partir de ces mêmes bandes, est sorti “L.A.M.F – The Lost ’77 Mixes”, mieux que l’original, mais pas franchement satisfaisant. Et voici qu’après la mort du producteur Daniel Secunda à l’âge de quatre-vingt-huit ans, on a trouvé dans ses archives deux boîtes sans aucune autre mention que “Copy Master 12.7.77”. Les bandes master de “L.A.M.F”. Le Graal. Le disque éclate, la musique devient cristalline. Tout sonne parfaitement, on entend des choses jamais entendues, certains morceaux sont plus longs, les instruments étincellent, c’est une merveille. Pourquoi? Parce que les Heartbreakers jouaient bien, soudés, et que les compositions étaient bonnes et ajoutaient cet ADN américain au punk anglais, tout en restant radicalement différentes de ce que faisaient les Ramones, les Dictators ou Television à l’époque. Il y a des bonus bien connus (“Do You Love Me” des Contours, “Can’t Keep My Eyes On You”), un CD de démos, un livret palpitant, et chaque titre est un hit: “All By Myself”, “Chinese Rocks”, “Pirate Love”, “One Track Mind”, sans oublier le classique, bizarrement orthographié – jeu de mots oblige – “Born Too Loose”. Nés pour perdre, plutôt que trop détendus, les Heartbreakers l’étaient: tous les membres du groupe sont morts, et n’auront par conséquent jamais eu la chance d’écouter ce disque comme ils en avaient toujours rêvé. Mauvaise nouvelle pour les fans: ils vont devoir repasser à la caisse. Bonne nouvelle pour les néophytes: ils vont découvrir un chef-d’œuvre dans la bonne version.