Immigrée au Japon

Mia tenait depuis dix ans les rênes de l’atelier de restauration du musée des Costumes de Kyoto. Un musée de miniatures, comme ses jardins, réduction séduisante des jardins japonais millénaires dont elle s’inspirait souvent pour ses créations, en marge de son travail à l’atelier.

Elle passait de longues heures à les contempler, jusqu’à son retour à la maison où elle inventait chaque jour un nouvel ikebana pour accompagner le thé qu’elle servait à Kogi selon le rite japonais.

Ce jour-là, une stagiaire envoyée par un cabinet de recrutement fut introduite dans son bureau. Mia n’avait pas eu le temps de lire son dossier quand la jeune fille entra et tendit ses documents d’accréditation du gouvernement. Mia sursauta presque et se revit soudain dix ans plus tôt. Elle aussi avait vécu ce que vivait la jeune étrangère, au regard à la fois intimidé et anxieux. Intimidé parce qu’on l’avait avertie du caractère affirmé de Mme Emoto, anxieux de voir sa candidature acceptée ou rejetée.

C’était déjà un grand pas pour elle, Vietnamienne, d’avoir franchi victorieusement les redoutables barrières de la demande de visa. C’était autre chose de se voir acceptée dans le métier qu’elle désirait exercer. La directrice de l’atelier de restauration parcourut la feuille de renseignements qui mentionnait les diverses collaborations de la postulante à des ateliers textiles de Hué ou Hanoï, ses expositions au Vietnam et au Laos.

Mia en tremblait presque ; elle aurait voulu la serrer dans ses bras, l’accueillir aussitôt chez elle, lui communiquer la joie qu’elle avait de pouvoir aider une étrangère en quête de travail au Japon.

Elle n’en fit rien, fidèle à sa ligne de conduite qui n’avait jamais varié : son passé n’appartenait qu’à elle et elle s’était toujours abstenue de s’épancher sur son propre douloureux parcours d’immigrée. Personne ne le connaissait et, du reste, il n’intéressait personne ; les gens qu’elle fréquentait, pourtant des intellectuels très ouverts, étaient totalement