Le patron le plus puissant du monde
Nous sommes un mardi de janvier 2021 à Seattle, et dehors la pluie est torrentielle. À l’abri du déluge, installé dans son bureau du campus Amazon, Andy Jassy s’apprête à passer le coup de fil le plus important de sa vie. Quelques heures plus tôt, ce quinquagénaire qui dirige l’immense département AWS (Amazon Web Services) a reçu un e-mail de Jeff Bezos. Le patron veut lui parler en urgence, ce qui n’arrive pas si souvent. Téléphone en main, Jassy arbore son uniforme habituel : chemise presque ringarde, jean usé, baskets montantes. Ce jour-là, comme depuis plus de vingt ans, il a été le premier arrivé au bureau, dans la Jeep Cherokee Sport qu’il conduit depuis son installation dans la Cité émeraude en 1997 – il a été embauché ici sitôt diplômé de Harvard. Contrairement à la plupart des salariés de l’entreprise, pas de télétravail pour lui durant la pandémie : Jassy est venu du lundi au vendredi. Son bureau est une mosaïque de tableaux blancs couverts de to-do lists et d’idées, au point qu’on ne voit même plus les murs.
Jassy se dit que Bezos va certainement lui parler d’un problème touchant l’une des 36 branches d’Amazon, qui couvrent à peu près tous les domaines possibles, des contrats gouvernementaux top secret à la fabrication de papier toilette. Alors que des trombes d’eau fouettent la façade du bâtiment, il appelle donc son P.-D.G. Celui-ci décroche et commence par parler de la pluie et du beau temps. Puis soudain, il lui annonce quelque chose de proprement inouï : « J’envisage de quitter la direction générale d’Amazon, mais seulement si toi, tu te vois monter au créneau pour me succéder. » Jassy est surpris et enthousiaste, mais il se sent surtout un peu pris de court : « Je peux réfléchir quelques jours avant de te répondre ? » Accordé.
Jassy est un homme de rituels. Une fois par semaine, depuis des années, il retrouve l’un de ses deux enfants pour le petit déjeuner : chacun a sa journée. Depuis des lustres, il organise les mêmes soirées sport chez lui, où il invite ses amis à regarder des matchs de hockey ou de basket. Chaque semaine, il cale dans son agenda un créneau de deux heures pour lire (en général des mémos professionnels) et, tous les mardis
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