Diapason

La dame au luth

Adamek / Babadjanian / Bach / Beethoven / Birtwistle / Bruckner / Campra / Chopin / Chostakovitch / Debussy / Crumb / Debussy / Dieupart / Duron / Enesco / Farrenc / Franck / Glazounov / Godowsky / Henze / Mahler / Marinuzzi / Mendelssohn / Monteverdi / Mozart / Mozart / Munktell / Nielsen / Puccini / Purcell / Rachmaninov / Rameau / Ravel / Rossini / Roussel / Scarlatti / Schubert / Saint-Saëns / Schubert / Sibelius / Schubert / Seiber / Strauss / Tesori / Vivaldi / Vivaldi / Weber / Weinberg / Zemlinsky / Récitals

En 2005, Evangelina Mascardi récoltait un Diapason Découverte (cf. no 524). Au programme, Weiss et Bach. Presque vingt ans ont passé, la musicienne argentine installée en Italie revient au Cantor et grave cette fois l’intégrale de son oeuvre pour luth. Cinq sessions d’enregistrements et trois instruments (deux luths à treize choeurs et un à quatorze, tous de Cezar Mateus) pour sept partitions de dimensions variées, pages « originales » et transcriptions dues à l’auteur, de la BWV 995, arrangement souvent joué de la Suite pour violoncelle no 5 BWV 1011, à la rare BWV 1006a tirée de la Partita pour violon no 3tutto, tuttissimo.

Les qualités précédemment louées chez la musicienne rayonnent à nouveau ici : l’aplomb technique admirable, la beauté des sonorités, et cette espèce de simplicité qui confine à l’évidence… Là où Jadran Duncumb (Audax, Diapason d’or, cf. no 700) mettait la rhétorique avant toute chose, c’est le flux irrépressible qui nous emporte chez Mascardi. Ecoutez comme elle lance la machine dans le Prélude de la BWV 1006a ! Bien des violonistes envieront le foisonnement qui jubile dans la Loure.

Tout un monde

L’art oratoire n’est pas oublié : il nous tient en haleine dans le Prélude de la BWV 995, aux effets si savamment pesés. Agogique, articulations, dynamiques y introduisent une variété qui ravit l’esprit autant que le don du chant culminant dans des ornements partout idéalement intégrés à la ligne.

Plus que celui de la chaire, le discours est celui d’un poète qui déploie sous nos yeux des univers. Dans la méditative Allemande, les silences et les relances se répondent avec une éloquence qui paraît à chaque instant se surprendre (et se suspendre) ellemême. Et le dessin torturé de la Sarabande, aux lignes brisées, aux pleins et déliés si subtilement dosés ! Ces simples Gavottes nous conduisent au bord de la suffocation, apportent ensuite une détente tout en lui donnant une apparence ô combien illusoire, désespérée… La même urgence nous saisit dans le Prélude de la BWV 996. On pourrait ainsi détailler chaque page, comme on décrirait les facettes d’un kaléidoscope : semblables et diverses.

Cette approche est éminemment classique. A certains, elle rappellera la guitare (à son meilleur) ; d’autres regretteront peut-être qu’elle ne soit pas plus expérimentale, plus extravertie. Mais, avec cette vision où la spontanéité et la contemplation s’équilibrent avec la raison, Evangelina Mascardi mérite assurément sa place au panthéon des luthistes.

Loïc Chahine

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

L’oeuvre pour luth.

Evangelina Mascardi (luths baroques). Arcana (2 CD). Ø 2020-2021. TT : 1 h 51’.

TECHNIQUE : 5/5

Enregistré entre février 2020 et septembre 2021 à l’Académie Montis Regalis de Mondovi et au palais épiscopal de Viterbe par Davide Ficco et Edoardo Lambertenghi. Un luth en très gros plan, sans résonances incongrues dans les bas médiums, avec pour alliée une acoustique assez mate, au service des détails et de la finesse du jeu musical. Un niveau d’enregistrement élevé qui autorise une écoute à bas niveau conservant toute la précision.

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ONDREJ ADAMEK

NÉ EN 1979

Follow Me (a). Where are You ? (b).

Magdalena Kozena (mezzo) (b), Isabelle Faust (violon) (a), Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, Peter Rundel (a), Simon Rattle (b).

BR Klassik. Ø 2017 et 2021. TT : 1 h 01’.

TECHNIQUE : 4/5

Comme chaque oeuvre d’Ondrej Adamek, le concerto Follow Me (2016-2017) est mis en orbite par un geste inaugural au fort potentiel musical. C’est à Isabelle Faust que revient le motif d’oscillation sur une tierce qui parcourra tout l’orchestre. La tension dramaturgique de la pièce se concentre dans le premier mouvement. Même si les deux suivants manifestent une égale inventivité en termes d’orchestration (réverbération magistralement simulée, matière déliquescente inspirée de Dali…), des citations de Bach amènent une rhétorique plus conventionnelle. La réactivité de la phalange bavaroise fait remarquablement écho au violon brillant de la soliste, que l’écriture sous-expose un peu.

Magdalena Kozena est quant à elle bien présente dans Where are You (2020). Son ample lyrisme, l’intensité de son expression dramatique et aussi son agilité lorsqu’il s’agit de jongler avec les phonèmes sont bien mis en valeur par la composition. L’interprète s’y affranchit avec brio d’une articulation très rapide en forme de virelangue et que ce soit dans la langue tchèque (qu’elle partage avec le compositeur), l’araméen ou le sanskrit, sa façon d’incarner les mots ne manque pas d’allure. On en retiendra surtout les moments les plus poignants : la prière (Slotha) ouvrant le cycle, la Saeta qui amène Kozena sur le terrain du cante jondo, la Confession dont le syllabisme et les répétitions ont un air de Cold Song, et l’Extase que porte la volupté d’un pentatonisme planant.

Sans jamais étouffer la chanteuse, l’orchestre maintient un contact étroit avec elle, relaie les motifs en toupie, les oscillations amorties et autres glissements infra-chromatiques chers au compositeur, Simon Rattle mobilisant sa capacité d’écoute pour assurer une totale osmose.

Pierre Rigaudière

ARNO BABADJANIAN

1921-1983

Ballade héroïque. RACHMANINOV : Concerto pour piano no 2.

Jean-Paul Gasparian (piano), Orchestre symphonique de Berne, Stefan Blunier.

Claves. Ø 2021. TT : 55’.

TECHNIQUE : 4,5/5

Le folklore de son Arménie natale nourrit, comme chez l’aîné Khatchaturian, une écriture où l’élément rythmique, particulièrement prégnant, le dispute à la générosité mélodique. Après avoir étudié à Erevan et Moscou (auprès d’Igoumnov pour le piano), Babadjanian compose notamment un concerto pour violon, un autre pour violoncelle, trois quatuors à cordes, une sonate pour violon et un trio avec piano qu’enregistrèrent David Oïstrakh et Sviatoslav Knouchevitski avec l’auteur au clavier (Brilliant) – et plus récemment Vadim Gluzman, Johannes Moser et Evgeny Sudbin (Bis, Diapason d’or, cf. no 688) Accélérations et rubato confèrent à la majestueuse introduction de sa Ballade héroïque (1950) un aspect mouvant caractéristique. Le piano entre sur un Andante et expose le thème principal, suave et expressif. Une conclusion triomphale coiffe, bien entendu, cette partition épique que marquèrent, en 1953, un Guilels et un Kondrachine survoltés. Très investis également, Jean-Paul Gasparian et Stefan Blunier se montrent aussi à l’aise dans les épisodes énergiques ou très rythmiques que dans les moments plus introspectifs (telle cette marche funèbre qui enfle progressivement).

Le soliste soulignant tout ce que l’écriture pianistique, massive et volontiers grandiose, doit à Rachmaninov, le Concerto no 2 de ce dernier offre un judicieux couplage. La captation assez sourde accentue le lyrisme un peu court d’un Orchestre symphonique de Berne trop en retrait, mais le piano de Jean-Paul Gasparian s’impose par sa noble sévérité et sa saine franchise, se gardant de céder aux sirènes sentimentales auxquelles succombent nombre de ses confrères. D’une maîtrise de tous les instants, il brille particulièrement dans l’Allegro scherzando final. C’est toutefois l’attrayante Ballade héroïque qui vaut ici le détour.

Bertrand Boissard

CARL PHILIPP EMANUEL BACH

1714-1788

Symphonies en mi bémol et en ut majeur. Symphonie Wq 177. Et oeuvres de W.F., J.C.F., J.E., J.L. et J.S. Bach.

Berliner Barock Solisten, Reinhard Goebel.

Hänssler. Ø 2021. TT : 1 h 03’.

TECHNIQUE : 4/5

Depuis qu’il a lâché les cordes en boyau pour se consacrer à la seule direction d’orches tre, Reinhard Goebel s’emploie à démontrer les vertus du confort moderne. Les Berliner Barock Solisten, réunion de quelques Philharmoniker, participent de cette démarche qui, une nouvelle fois, échoue à prouver qu’appliquer des recettes (coups d’archet, allègement des textures) permet de retrouver l’esprit. On ne prendra certes pas des musiciens aussi aguerris en défaut d’homogénéité ; elle est si prégnante qu’elle s’étale sur toute cette réalisation comme un vernis, gommant aspérités et couleurs. C’est d’autant plus dommage que les symphonies des fils Bach exigent du contraste, de l’alacrité. Prenez la Wq 177 d’Emanuel, comparez avec le Freiburger Barockorchester (Carus, 2005) et tout devient limpide : avec Goebel, l’Allegro assai fait du surplace, l’Andante file droit en oubliant son moderato, le finale est fastidieux ; on cherche les orages sanguins, la tendresse éperdue. Tout est lisse.

Le constat vaut aussi pour la Ré mineur de Johann Christoph Friedrich, servie avec vigueur par Controcorrente (Passacaille, 2020, cf. no 696), manquant ici de nerf, de caractère, ou le concerto de Johann Ludwig, beaux violons mais hautbois en retrait et orchestre en pilotage automatique, qui ne tient pas un instant face à la version de Musica Antiqua Köln (Archiv, 2001) où régnaient galbe et pulsation. Certes, le programme peut se prévaloir d’une poignée d’inédits intéressants, mais son exécution standardisée, sans saveur, nous prive de leur véritable nature. Reste à imaginer.

Jean-Christophe Pucek

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

Le Clavier bien tempéré, Livre I (extraits). Et oeuvres de Beethoven, Rachmaninov, Fauré, Chopin, Ravel, Mozart*, Brahms, Chostakovitch, Busoni, Ligeti, Reger, Schönberg.

Julien Libeer, Adam Laloum* (piano).

HM (2 CD). Ø 2021. TT : 1 h 29’.

TECHNIQUE : 4/5

« Une conversation bien tempérée » au gré de laquelle les préludes et fugues majeurs de Bach alternent avec diverses oeuvres dans les tonalités mineures : un disque-concept dans toute sa splendeur. Côté piano, chapeau. Du précédent album de Julien Libeer, où Bach dialoguait avec Bartok (cf. no 688), on retrouve ici les qualités : fluidité, plénitude, ampleur du chant, distinction, équilibre. Sa fabuleuse indépendance des doigts permet au pianiste belge une liberté des accents qui fait merveille dans les préludes en ut dièse ou en fa dièse. A défaut de Pleyel ou de Bechstein anciens, l’onctueuse longueur de son de l’instrument de Chris Maëne seconde cette suprématie de la ligne mélodique, ce lyrisme frémissant qui rend Schönberg aimable et sert les oeuvres automnales ou crépusculaires : le Capriccio op. 76 no 1 de Brahms, les préludes de Fauré, de Chostakovitch ou de Busoni.

Côté pensée, bof. Libeer voit Le Clavier bien tempéré comme un « monument de rigueur », une « structure en béton armé ». Un toucher globalement lisse et un usage décoratif des ornements ou arpègements recouvrent ce béton d’un stuc aux teintes suaves. Surtout, ils gomment les contrastes de ce kaléidoscope d’affects d’où, par la suppression de son versant mineur, ont été retranchés l’élégiaque et le pathétique. Dans les vides ainsi laissés vient se nicher un éclectique catalogue de pièces détachées d’où l’émotion n’est pas absente mais dont le prétendu lien à Bach est lâche : quoi qu’en pense le pianiste, l’Opus 23 no 3 de Rachmaninov n’a rien d’un vrai menuet ni la Mazurka op. 50 no 3 de Chopin d’« une fugue à quatre voix ».

On reste donc écartelé entre l’admiration devant une telle sensibilité pianistique, et la gêne devant ce bric-à-brac mal déguisé.

Paul de Louit

Les six Suites pour violoncelle seul BWV 1007-1012.

Bruno Philippe (violoncelle).

HM (2 CD). Ø 2020-2021. TT : 2 h 04’.

TECHNIQUE : 4,5/5

Glenn Gould jadis, Hilary Hahn plus récemment ont montré de façon éclatante qu’avec Bach, la valeur n’attend point le nombre des années. Bruno Philippe, qui n’a pas encore trente ans, peut donc légitimement aspirer à l’excellence. Servi par une prise de son naturelle, raisonnablement proche de lui et de son instrument, il varie le jeu et la sonorité, grâce à un archet tour à tour abrasif ou arachnéen sur les cordes en boyau.

Il aborde le texte avec sincérité et détermination, lui conférant beaucoup de caractère et de liberté, ornant parfois les reprises. L’ensemble est riche en contrastes, moins entre les différentes Suites que dans la succession de leurs mouvements : le geste ample et puissant des préludes (Suites nos 3 et 6) frappe tout autant que l’ascèse des sarabandes et l’élégance des doubles menuets, bourrées et gavottes. Mais il y a aussi une véritable prise de risque technique et esthétique dont témoignent une spontanéité, une juvénilité voire une urgence auxquelles on n’est pas habitué dans ces oeuvres. Le tempo est d’ailleurs souvent vif, trop pour ne pas bousculer l’articulation dans les gigues et, plus encore, les courantes (Suites nos 2 et 4).

Pour s’en tenir aux versions saluées de longue date dans nos colonnes, on retrouvera donc assurément ici la « franchise » que Jean-Christophe Pucek prête à Bylsma (Seon), mais pas son « humble et patiente alchimie » (cf. no 690), bien plus que la « modération » et la « somptuosité des sonorités » que Jean-Luc Macia entendait chez Jean-Guihen Queyras (HM, Diapason d’or) ou bien les « beautés veloutées », la « fluidité » et la « souplesse » qu’il appréciait chez Ophélie Gaillard (Aparté, Diapason d’or).

Simon Corley

LUDWIG VAN BEETHOVEN

1770-1827

Quatuors à cordes op. 18 nos 4 à 6.

Quatuor Chiaroscuro.

Bis (SACD). Ø 2019. TT : 1 h 20’.

TECHNIQUE : 4/5

TECHNIQUE SACD : 4/5

Après la première moitié des (1798-18 0 0), abordés avec une grande virtuosité mais inégalement réussis (), voici la seconde. Là encore, le Quatuor Chiaroscuro assume vaillamment les prises de risques et les codes (cordes en boyau, , tempos véloces, contrastes dynamiques et rythmiques exacerbés) d’une interprétation « historiquement informée » plutôt singulière. Malgré leur grande énergie, les interprètes peinent à sauver ce qui en mineur, il est vrai le plus faible, le moins inspiré des seize quatuors de Beethoven, le seul où le compositeur regarde en arrière et sacrifie à la tradition, par une écriture, pleine d’emphase, de procédés déjà éculés à l’époque.

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