Ignorés ou injuriés à leur sortie, certains albums méritent une bonne réhabilitation. Méconnus au bataillon? Place à la défense.
Voxx Records
SUITE AU FOUR DE “SCHOOLBOYS IN DISGRACE”, RAY DAVIES PÈTE UN CÂBLE. Personne ne veut de ses comédies musicales? Mi-aigri mi-farceur, il décide d’aller directement rivaliser avec les mastodontes les plus populaires du moment, style Aerosmith. Résultat, le lourdingue “Sleepwalker”. Ces pachydermes d’Américains adorent: de nouveau, après une interminable traversée du désert, les Kinks cartonnent. Ils continueront donc de se Rue, l’équivalent de la 42 new-yorkaise, s’enfile quelques bourbons au Reno Club et à l’Orchid Room, y recrute des musiciens, et le voilà testant avec eux sur la scène du Knuckleheads Saloon ses nouvelles compositions. Onze sont enregistrées, regroupées sous un titre qui coule de source: “Kansas City Slickers” — en argot, “slicker” signifie aussi “combinard”. C’est une renaissance pour Ray Davies, un retour de flamme inespéré. Sur une compilation sixties, coincés entre “David Watts” et “Dead End Street”, les sublimes “It Must Be Love”, “Bugle Boy” et “Dancing In The Snow” ne feraient pas tache. Ray envoie cet album, signé The Leopards, au gros label des Kinks, Arista. Il attend. Rien. Ces raclures du business ne prennent même pas la peine de répondre. Davies casse sa tirelire et sort l’affaire en autoproduction. La Terre n’en veut pas? Le disque est édité sur Moon Records, à mille exemplaires, en attendant un plus gros retirage. Qui n’aura pas lieu: “Kansas City Slickers” a beau être une merveille, tout le monde s’en tape — en premier lieu, les acheteurs de “Sleepwalker”. Totalement désabusé, Ray décide d’oublier ce miraculeux épisode. Il ne révélera jamais le pot aux roses, rentrant à Londres enregistrer avec son frère Dave l’horrible “Misfits”. S’il doit repasser à Kansas City, c’est pour s’y produire avec les Kinks, dans le stade de la ville. Tel un zombie, résigné, Davies le ressasse dans sa tête: “Give The People What They Want”. Il lui faut toucher le fond pour repartir. En 1986, le minable “Think Visual” provoque un sursaut. Trop, c’est trop. Sans réfléchir, sans même prendre de foulards, il monte dans le premier avion pour la terre promise, Kansas City. Le voilà reformant The Leopards — les vrais Kinks, ce sont eux. Dix ans après le premier album, il enregistre “Magic Still Exists”. Pourquoi un titre si godiche? Parce que c’est la réalité: la magie de nouveau opère. Des chansons aussi fantastiques que “Psychedelic Boy”, “Chief Red Scar’s World Famous Herbal Cure Show”, “Maggie Lane” ou “Back On The Track”, les Kinks n’en avaient pas composé depuis plus de douze ans. Et cette fois, un label est preneur — Voxx Records, fondé par Greg Shaw, signataire des Barracudas, spécialisé dans le revival garage. Rodney Bingenheimer se met à matraquer “Psychedelic Boy” sur les ondes de KROQ. En vain: l’album reste ultra-confidentiel. Marre de donner de la confiture aux cochons, en plus pas intéressés: Davies laisse tomber, sabordant définitivement The Leopards. Fin de la prodigieuse parenthèse féline.
