Rock and Folk

ECHO & THE BUNNYMEN

Dans cette Angleterre tatchérienne désespérée

ÇA COMMENCE PAR UNE CHUTE. Une sorte de balise signale la descente en accéléré d’un corps inconnu en provenance d’un ailleurs lointain, traversant l’atmosphère dans un chaos de stridences. A la trentième seconde, une forme se précise, c’est alors une cavalcade sonore. Une verticale descendante, puis une ligne horizontale. Il ne faut qu’une minute pour qu’un semblant d’ordre s’agence, dominé par une voix au timbre abrasé: “Ain’t done watchin’ my film”. L’histoire commence par une interruption, c’est le début de “Going Up”, titre ouvrant déceptivement “Crocodiles”, premier album d’Echo & The Bunnymen. Les années quatre-vingt commencent: la clarté est opaque, ce qui est n’est pas, le ciel est vide, les étoiles brillent trop fort pour être vraies et Ian McCulloch se fera, le temps de quatre albums essentiels, entre 1980 et 1984, la voix augurale d’une époque inintelligible sacrant le règne tyrannique du simulacre. Au risque d’y sombrer lui-même à son tour.

“” Ce soir du 15 novembre 1978, on se presse sur Mathew Street. A l’affiche d’Eric’s, au sous-sol du n° 9, The Teardrop Explodes, groupe récemment formé par un enthousiaste aux cheveux peroxydés, Julian Cope. Initialement nommé Revolution Club, Eric’s a ouvert ses portes en 1976, non loin de la trouble Mersey dont le nom qualifiera non seulement un incontournable fanzine local – Mersey Beat, lancé en 1961 — mais aussi la cohorte de groupes formés sous l’impulsion des”. Le même Wylie devait en effet rejoindre le premier groupe fondé illico par Julian Cope, les éphémères Crucial Three, dont la carrière s’arrêta… le mois suivant, avant que Cope ne monte aussitôt les Shallow Madness. Pour ces deux groupes, outre l’éphémère Wylie, Cope s’était à nouveau associé à un vieil ami, habitué taciturne d’Eric’s, avant de le larguer à son tour. Graine de la working class — père magasinier dans l’industrie automobile, mère au foyer —, ce jeune homme élancé aux lèvres boudeuses à la Mick Jagger, cheveux noirs en bataille, chaussant sandales transparentes sur pantalons larges, ne rêve que de s’évader vers les oasis glitter du rock. Sachant se distinguer à tout prix, il ne manque guère de susciter la curiosité d’un autre habitué d’Eric’s: Will Sergeant, cuistot le jour dans une chaîne de junk food locale qui le croisera un soir aux toilettes femmes du club. Originaire de la petite bourgade voisine de Melling, Sergeant retrouve ici deux à trois fois par semaine deux amis d’enfance, Les Pattinson et Paul Simpson, en plus de Holly Johnson — qui fondera, en 1982, Frankie Goes To Hollywood — ou Peter Burns qui, lui, en 1980, formera Dead Or Alive. Sergeant étourdit son désœuvrement dans l’opium du rock’nroll qu’il déniche chez NEMS, l’incontournable disquaire situé sur Great Charlotte Street. Il écrit et compose sur une guitare Kay Sunburst qu’il apprivoise sur ampli FAL Merlin, accompagné d’une boîte à rythmes Mini Pops Junior — la même utilisée par Brian Eno sur “Another Green World”, et se rêve, lui aussi, dans cette Angleterre tatchérienne désespérée, un destin de musicien, rêve rendu palpable par la déflagration punk. “, lui répondra le charismatique ami de Cope, lorsque Sergeant se décidera à l’aborder, dans l’arrière-salle du Kirkland’s. Lui, c’est Ian McCulloch, dit “Macul”. Le courant passe aussitôt; on cause évidemment football et musique. Du tac au tac, Sergeant lui soumet l’idée de former un groupe, la décision est prise illico de commencer le jeudi suivant. Deux guitares, une boîte à rythmes; après une poignée de sessions, deux titres solides émergent, futurs “Do It Clean” et “The Pictures On My Wall”, sans paroles. Macul prend son temps. Une basse manque; le fidèle Pattinson, qui n’en a jamais joué, est intégré. Subjugué par Tina Weymouth, bassiste des Talking Heads, il casse sa tirelire pour une Grant à quarante livres sterling. Une corde manque, ce sera sa signature. La formation devient un trio, l’affaire est sérieuse malgré les absences systématiques de Macul aux répétitions. Moyennant quoi, lorsque le groupe se voit offrir par Cope la première partie de leur concert chez Eric’s, trois jours seulement après l’arrivée de Pattinson, le groupe n’a toujours pas de nom, et ni Pattinson ni Sergeant n’ont l’ombre d’une idée des talents de chanteur de McCulloch. Mais une chose est certaine, ils sont prêts à en découdre sur scène et, pourquoi pas, à conquérir le monde. Ce que l’avenir ne démentira pas.

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