Vanity Fair France

RAISINS AMERS

Le printemps est venu avec des frimas d’hiver. En cette nuit d’avril 2021, un froid glacial a frappé Saint-Émilion. Dans les vignes, le gel menace de brûler les bourgeons à peine éclos. Quelques minutes sous la barre des zéros degrés sonneraient le glas de la récolte. Joséphine Duffau-Lagarrosse ne dort pas. Toutes les heures, la jeune viticultrice se lève, enfile sa parka et, dans l’obscurité, descend les pentes douces du Château Beauséjour. Elle contrôle les thermostats fixés au pied des vignes. Le moment critique se situe juste avant l’aube ; à cette heure, les températures peuvent dégringoler en un rien de temps. Il faut alors allumer des centaines de bougies pour protéger les ceps. Des amis dorment au domaine pour lui prêter main-forte. À 4 heures, elle les réveille – fausse alerte, les températures se maintiennent. Une heure plus tard, le mercure baisse brutalement. En une vingtaine de minutes, un millier de braseros sont enflammés, illuminant les vignes. Un hélicoptère arrive en renfort pour rabattre au sol l’air chaud circulant à faible altitude. Le jour se lève enfin sur cette scène irréelle, les premiers rayons du soleil réchauffent la terre. Joséphine Duffau-Lagarrosse peut souffler. « J’ai eu peur pour la récolte, confie-t-elle. C’était une grosse pression.»

Elle me raconte cet épisode au terme d’une longue bataille. Voilà des mois que cette femme de 31 ans est au cœur d’un feuilleton financier qui tient en haleine l’élite de Saint-Émilion, du monde du vin et, fait plus rare dans ce milieu feutré, les médias. La vente récente du Château Beauséjour, premier grand cru classé, propriété de sa famille depuis 1847, a fait l’objet d’âpres luttes. Pour se maintenir à la tête du domaine, elle a dû naviguer au gré des jeux d’influence, des mannes financières et, parfois, adopter leurs armes. Ici plus qu’ailleurs, chacun lorgne la parcelle du voisin. Les investisseurs, de grands groupes, des banques ou des assurances, se disputent les lopins à prix d’or. Celui-ci et sa société d’exploitation se sont vendus à 75 millions d’euros, soit environ 11 millions l’hectare, un record dans les annales des

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