“Il fallait se montrer fuyants, imprévisibles et désagréables”
“Notre objectif: être le plus maladroit et agressif possible”
S’IL FAUT UN REMPLAÇANT DERRIÈRE LE MICRO, C’EST POUR UNE RAISON INDÉPENDANTE DE LEUR VOLONTÉ: LE CHANTEUR S’EST PENDU. Aucun des trois survivants n’a envie de succéder à un vocaliste comme Ian Curtis. Leur manager, Rob Gretton, les enferme donc de force dans un studio où leur producteur, Martin Hannett, leur fait passer une audition. Le bassiste Peter Hook, dans son livre “Substance”, se souvient de la torture: “Martin surnommait Joy Division ‘Un génie et trois supporters de Manchester United’, nous signifiant à quel point on n’arrivait pas à la cheville de Ian. ‘Mais qu’est-ce que vous êtes nuls!’, se lamentait-il en écoutant nos performances et en se prenant la tête entre les mains. Pour lui, on était tous merdiques. Quand il a fini par nous dire d’aller nous faire foutre, il ne restait plus que la piste vocale de Barney. C’est comme ça qu’il est devenu notre chanteur”.
Une fatwa contre les synthés
New Order, soit Barney Sumner (guitare, clavier et maintenant chant), Stephen Morris (batterie) et Hook, enregistre maintenant son premier album. Avec qui? “” Le producteur de Joy Division passe les sessions dans une autre pièce, à sniffer. “” Il n’en bougera pas, ou alors “” Tyrannisé par ce cinglé qui leur fait rejouer les prises à l’infini, un soir, le” L’excellent “Movement” sort le 19 novembre 1981. Par rapport aux deux albums de Joy Division: moins puissant. Moins sidérant également que les quatre New Order à venir. En fait, le groupe trouve son propre style juste après “Movement”, quand il remplace Hannett par un séquenceur, glissant ainsi du post-punk à la pop électronique. Un séquenceur? Machine permettant de programmer une musique, automatisant l’exécution d’une séquence. Du 5 au 10 janvier 1982, il y a pile quarante ans, New Order enregistre à Advision, studio londonien, “Hurt”, sa première chanson entièrement programmée. Ian Curtis les avait initiés à Kraftwerk, ils ont désormais une seconde marotte: Giorgio Moroder. “” Le trio embauche une claviériste, Gillian Gilbert. Elle maîtrise le synthé comme Jean-Paul Sartre le catch? Peut-être, mais c’est la petite copine de Morris. Autour d’eux, tout le monde pense tout bas ce qu’Hannett baragouine tout haut — que ce groupe, sans le suicidé, avec un nom renvoyant au “Neuordnung” du Troisième Reich, ne vaut pas un clou. Les deux singles sortis dans la foulée de “Movement”, “Everything’s Gone Green” et “Temptation”, montrent un virage vers l’électronique? Une abdication à l’air du temps, et en plus pas payante — contrairement à Human League, Depeche Mode, Soft Cell ou Orchestral Manoeuvre In The Dark, qui enchaînent alors les hits. Certains avaient demandé que Bob Dylan soit brûlé sur la place publique quand il est passé à l’électricité: pareil, des poilus de la guitare, au nombre desquels les fans de Joy Division, lancent une fatwa sur toute production incluant une note de synthé. Personne n’imagine donc, pas même le groupe, quand il s’enferme en octobre et novembre 1982 aux studios Britannia Row de Londres, qu’il va en ressortir avec des compositions révolutionnaires.
