Moto Revue

La rivale

Pincez-moi, je rêve… Alors que depuis le matin, on enchaînait les pauses (trop longues) sur les parkings à attendre je ne sais quoi (plus que je ne sais qui), tandis que les séances photos étaient expédiées fissa (avec une mention spéciale pour la section off-road où on ne fit qu’un unique passage sur un chemin sans intérêt), vous comprendrez qu’on commençait à désespérer. Surtout qu’au début de la journée, le staff Aprilia nous vendait une session toutterrain engagée, histoire de mesurer in situ le potentiel de ce trail que la firme de Noale annonce porté vers l’aventure et ce, quelle que soit la route, ou le chemin. On a bien cru ne jamais le vivre, ce moment, surtout quand notre guide nous a ramenés en milieu d’aprèsmidi à l’hôtel, nous faisant ranger les motos bien en épi. De quoi se dire qu’on allait carrément rester sur notre faim… Si on avait bien eu le temps de tester les capacités de l’italienne sur la route (mouillée, séchante et sèche, la totale!), c’était moins vrai pour la partie off-road, bien qu’une liaison assez longue sur un chemin roulant nous en avait déjà donné un aperçu. Mais cette fois, l’espace de jeu proposé au coeur de l’immense complexe hôtelier (d’où notre retour à l’hôtel) permet de répéter les gammes, varier les situations et engager son pilotage sur un terrain devenant de plus en, ce sont 80 ch que l’on trouve, et un peu plus de 7 mkg (7,1 mkg exactement). Une jolie promesse de performance pour un trail de moyenne cylindrée d’autant qu’il ne pèserait «que» 187 kg à sec. Alors, bien sûr, avec le même moteur, la sportive RS 660 avance une puissance de 100 chevaux, soit 20 de plus que le trail. Mais si la course à la puissance s’entend pour une sportive dont on devine quelques escapades à venir sur piste, c’est tout sauf une nécessité pour un trail. Plus que les chiffres, ici, c’est la manière dont les chevaux vont être distribués qui va se révéler déterminante. Disons-le d’emblée: nous n’avons ressenti aucun manque de puissance sur route – et encore moins sur piste. Le but, alors, est de ne pas se laisser déborder pour profiter du plaisir que procure la maîtrise de cette gestion de la puissance, qui se manifeste même à bas régimes. C’est en effet dès l’ouverture des gaz que les ingénieurs se sont attachés à apporter de la présence à leur Tuareg. Si en dessous de 2 000 tr/min, il ne se passe que peu de choses, passé ce seuil, tout devient évident. Une facilité naturelle sur laquelle on surfe – tout en souplesse – jusqu’à 4 000 tr/min, puis un tempérament qui devient plus incisif, plus réactif, entre 4 000 et 6 000 tr/min, avant de s’énerver vraiment entre 6 000 et 9 000 tr/min (les 10 000 tr/min de l’entrée en zone rouge ne sont pas un objectif à rechercher: trop hurlants). Dans cette large plage d’utilisation, c’est entre 3 000 et 6 000 tr/min que l’on jouit le mieux de cette architecture mécanique. La puissance est alors distribuée avec efficacité et confort, et s’accompagne d’une excellente présence sonore. C’est rond, c’est plein, c’est vif! OK, comparé au bloc CP2 (un bicylindre en ligne également) de la Ténéré, le moteur italien se montre moins démonstratif à la remise des gaz. Il est peut-être un peu moins fun, mais pas moins efficace. Le twin Aprilia, linéaire dans sa manière de libérer ses chevaux (5 de plus que celui de la Yamaha), apporte prévenance et sérénité, notamment dans une utilisation off-road où il est important de pouvoir compter sur une accélération prévisible (c’est le cas pour la Ténéré, mais encore plus ici). D’ailleurs, contrairement à la japonaise, l’italienne est dotée d’une électronique qui offre différents modes de conduite (Urban, Explore, Off-road et Individual) et propose des assistances comme le contrôle de traction, la gestion du frein moteur, le caractère moteur… Soit la possibilité de rouler avec une moto à la carte, ce qui est encore plus vrai quand on sélectionne le menu «Individual». Alors, bien sûr, pour des motos de 80 chevaux, ces assistances n’ont rien d’indispensable me direz-vous, et une Ténéré sans un tel bagage électronique se gère sans problème. Certes, mais il s’agit là d’un choix pertinent pour séduire une partie de la clientèle férue des accessoires permettant de se faciliter la vie à bord. Et pas que. Tout bien considéré, c’est peut-être parce qu’elles ne sont pas indispensables que ces assistances sont essentielles. En effet, on pourrait penser que désactiver l’ABS sur les freins avant et arrière en off-road est suffisant (sur la Ténéré, un bouton permet cette action), mais c’est oublier qu’en mettant en avant ses avancées technologiques, la marque nous fait aussi profiter de nouvelles expériences. Attention, il ne s’agit pas de croire que le comportement de la Tuareg s’en trouverait transfiguré: la distribution de puissance ne passe pas du tout au tout en fonction du mode enclenché, d’autant que le seuil maxi reste identique pour tous (80 ch). Mais sur les routes détrempées que l’on a parfois croisées lors de cet essai, on a pu apprécier de se savoir encadrer par un contrôle de traction au moment d’accélérer. On peut même l’utiliser sur terre, bien que perso, je trouve que c’est à la «manette» que l’on se montre le plus efficace, en jouant sur la puissance et la réactivité du bicylindre pour corriger une trajectoire, délester la roue avant et la poser au-delà d’un problème potentiel, laissant le Pirelli Scorpion Rally STR arrière faire ensuite le boulot et bousculer les pierres que le pneu avant finit de survoler. À ce titre, le grip de ces pneus s’est révélé étonnant, leur polyvalence et leur performance entre les surfaces également. À la manière de la Ténéré, la Tuareg ne galvaude pas son patronyme et montre de réelles aptitudes en tout-terrain. La position debout est plutôt naturelle, même si on aurait préféré un guidon un petit peu plus haut. On apprécie en revanche l’échancrure dans les flancs de réservoir qui permet de venir y caler ses genoux sans effort, et ainsi guider la machine avec quelques impulsions. Un aspect sur lequel la Yamaha perd des points du fait d’une base de réservoir un peu trop ventrue. Très fine à l’entrejambe pour une moto de 200 kg, l’Aprilia jouit d’une hauteur de selle plus limitée (860 mm contre 875) et de suspensions très souples dans leur début de course, ce qui abaisse encore la moto quand on s’installe au guidon, et permet de poser tranquillement les deux pieds au sol. En action, et en augmentant le rythme dans des portions abîmées, les suspensions montrent toutefois leurs limites. Ça tape, ça bouge un peu aussi. Rien de dramatique, surtout que l’on parle là d’un engagement presque comparable à celui qu’on aurait avec une moto d’enduro, et non avec un trail pensé davantage pour la découverte. Dans une utilisation normale, la Tuareg passe le «cut» de l’exercice off-road avec les honneurs, puisqu’elle se laisse piloter avec beaucoup de sérénité. Quant à ceux qui décideraient de s’engager dans le «trail extrême», il leur faudra durcir les suspensions, mettre un kit cartouche dans la fourche, et certainement changer l’amortisseur (si une bonne préparation ne suffit pas). Ainsi renforcée, la Tuareg s’engagera encore plus loin. Mais sachez que dans sa livrée d’origine, elle permet déjà beaucoup, grâce à de vraies capacités en off-road (objectif atteint, donc), et un très bon équilibre sur route. Une route qui, comme nous l’avons évoqué plus haut, proposait un grip changeant. Rappelons ici le très bon comportement des Pirelli sculptés sur asphalte: pas de glisse, et même un bon grip. Quant à la position, elle se révèle naturelle, avec le dos droit et les bras pas trop tendus. Seules les jambes sont un peu pliées, ce qui, à la longue, sollicitera les genoux. La selle est étroite, et la mousse assez épaisse. Reste à mesurer, lors d’un prochain essai, quel confort l’italienne proposera vraiment (nous n’avons roulé qu’un peu plus de 160 km lors de cette prise en main), mais on peut déjà affirmer que la protection assurée par le saute-vent aux allures de pare-brise est efficace, et que la position (assez basse), «encastrée» dans le réservoir, agréable. En action, la Tuareg 660 se manie sans effort. Maniable, vive, elle s’appuie sur un train avant très naturel qui n’exige pas plus que ce que son pilote lui demande. On salue le travail d’intégration du réservoir d’essence qui descend très bas, finissant au plus près du ressort d’amortisseur, ce qui a pour avantage d’abaisser le centre de gravité. Sur la Ténéré, le poids reste important, en raison d’un bloc placé haut sur le cadre (nécessaire pour offrir une garde au sol suffisante dans une utilisation off-road), ce qui, au moment d’entamer un virage, provoque une sensation particulière. Sensation qui s’estompe avec la pratique régulière. Sur la Tuareg, rien de tel. Tout est d’emblée évident: la moto ne tombe pas à la mise sur l’angle, elle va chercher la prise d’angle. Grosse nuance qui rend son pilotage presque plus instinctif. J’écris «presque» car, un peu comme en tout-terrain, quand on élève le rythme, et en fonction de l’état de la chaussée, la souplesse des suspensions perturbe la précision. En fait, il faut enrouler sans trop forcer et ne pas se montrer trop saccadé. La Tuareg reste un trail – avec un grand débattement de surcroît (240 mm) –, il est donc logique de percevoir ce genre de limites à son guidon. Problème: la machine est si évidente que l’on est tenté de forcer davantage, au risque, du coup, de se confronter à cette fameuse «limite». Mais c’est aussi le lot des vrais trails aventureux ayant dû faire des compromis pour s’adapter à toutes les utilisations.

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