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Festival d’un siècle Épopée lyrique en trois actes et un prologue

Prologue

1856. Mozart aurait cent ans. Sa ville natale déploie fanions et choristes par milliers. « Je vous jure sur mon honneur que je ne puis souffrir Salzbourg et ses habitants » (lettre du 8 janvier 1779); « Je ne veux plus rien entendre de Salzbourg – je hais l’archevêque jusqu’à la frénésie» (mai 1781); « Salzbourg n’est plus un endroit pour moi » (juin 1781). Chut! Effaçons l’archevêque, la haine, le pied au cul. Du passé faisons table grasse et prospère. A genoux célébrons saint Amadeus.

Vingt ans passent. Durant l’été 1876 l’Europe éberluée assiste à la réalisation d’un rêve : le premier festival de Bayreuth. L’année suivante, la vénérable Société Mozarteum réplique en organisant une Mozartfest à Salzbourg. L’idée se précise en 1887 quand le créateur du Ring justement, le chef Hans Richter, recrute quelques musiciens pour fêter le centenaire de Don Giovanni – Lilli Lehmann, qui chante Elvira, entonne son cantique : donnez-nous un festival! En 1890, l’éditeur Reinhold Kieser publie le plan détaillé d’un Mozart-Festspielhaus. On ne le construit pas mais « Bayreuth à Salzbourg » fait son chemin.

Chemin chaotique, semé d’anniversaires : cent ans de la mort, cent cinquante ans de la naissance (Mahler dirige Figaro, Reynaldo Hahn Don Giovanni, Saint-Saëns joue le Concerto en mi bémol, Strauss affronte les Philharmoniker pour la première fois)… jusqu’à ce que la décision s’impose : en 1914, Mozart aura son festival, chez lui, à sa mesure et pour toujours. Vous savez la suite. Le prince héritier tombe à Sarajevo, l’Autriche déclare la guerre à la Serbie, le monde prend feu. Festival annulé.

Dix-neuf millions de morts plus tard, le désir s’est mué en besoin. Pour guérir l’Europe, il lui faut plus que des pansements : des horizons. A la fois noble et public, égoïste et prodigue, l’art se propose. Ainsi une poignée d’administrateurs fonde-t-elle le 14 juin 1917 une « Société du festival » qui, avant l’armistice, nomme un comité à trois têtes : le compositeur Richard Strauss, le chef d’orchestre Franz Schalk et, au centre, le metteur en scène Max Reinhardt. Pour mieux se faire comprendre, Reinhardt acquiert le palais délabré de Leopoldskron qu’il restaure dans un style chevaleresque à la rose.

Le triumvirat s’élargit alors au peintre scénographe Alfred Roller et à l’écrivain Hugo von Hofmannsthal, lequel voit dans l’immémoriale « tribu austro-bavaroise » le creuset de la culture supérieure, le jardin où s’épousent les deux mythes de l’Europe moderne, Faust et Don Juan. Face à Vienne, capitale humiliée du défunt empire, Salzbourg prétend ranimer une Autriche rustique et créatrice, éternelle et vitale. L’ancienne principauté sera le temple nouveau du seul rite que le pays peut célébrer sans amertume : un festival. « Nous croyons en la paix par l’esprit, écrit Max Reinhardt. Salzbourg servira l’héritage classique du monde ».

Acte I

Scène 1 (1920-1930)

Tout ça pour ça. Six représentations d’une pièce de théâtre, point. La pièce? , adaptation par Hofmannsthal d’un médiéval, créée par Reinhardt sous un chapiteau berlinois fin 1911 et transportée le 22 août 1920 sur le parvis de la cathédrale salzbourgeoise avec l’approbation enthousiaste de l’archevêque. Nul ne le soupçonne : tout le siècle durant, sera le roi de la fête et verra défiler dans le rôle-titre les étoiles du théâtre austro-bavarois : Alexander Moissi, Curd

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