Diapason

LES 160 DU MOIS CRITIQUES

en studio

• Le feuilleton Beethoven continue : Nikolai Lugansky a enregistré les ultimes sonates, les Opus 101, 109 et 111 (Harmonia Mundi), et Teodor Currentzis s’est attaqué à la Symphonie no 7 (Sony).

• Les Jérusalem sont entrés en studio avec les partitions des trois quatuors impairs de Bartok (HM).

• Changement de siècle pour Patricia Kopatchinskaja. Après Vivaldi, la violoniste défend Ginastera, Veress, Holliger, Ligeti, Kurtag, et un double concerto signé Francisco Coll pour lequel Sol Gabetta lui donne la réplique.

• Philippe Jaroussky a écumé l’oratorio italien du XVIII e siècle pour un bouquet d’airs intitulé « La vanità del mondo » (Erato).

La Flûte enchantée, mais en français ! Le spectacle dirigé par Hervé Niquet à Versailles arrive en CD et DVD sous label maison (Château de Versailles Spectacles).

Riccardo Chailly et sa Filarmonica della Scala ont mitonné un programme Respighi où les Pins et Fontaines de Rome encadrent des pièces plus rares, dont la Légende pour violon (Decca).

• Duo de ténors américains chez Erato : « Amici e rivali », Michael Spyres et Lawrence Brownlee célèbrent les premiers héros rossiniens que furent Andrea Nozzari, Giovanni David, et Manuel Garcia.

• L’« Age d’argent », autrement dit la floraison de l’art russe des années 1890-1910 inspire au pianiste Daniil Trifonov un cycle de programmes (Prokofiev et Stravinsky pour les deux premiers volumes), à guetter chez Deutsche Grammophon.

• Giovanni Antonini poursuit son odyssée Haydn. Sous le titre « L’addio », il réunit les Symphonies nos 15, 35 et 45. En prime, la grande scène Berenice, che fai? par Sandrine Piau (Alpha).

CHARLES-VALENTIN ALKAN

1813-1888

L’œuvre pour piano.

YYYY Vol. II : 25 Préludes dans tous les tons majeurs et mineurs op. 31.

YYY Vol. III : Grande Sonate « Les Quatre Ages ». Trois Morceaux dans le genre pathétique.

Mark Viner (piano).

Piano Classics. Ø 2018-2019.TT : 58’, 1 h 07’.

TECHNIQUE : 3/5

Mark Viner est le premier à tenter l’édification d’une intégrale du piano de Charles-Valentin Morhange, dit Alkan – dix-sept volumes sont annoncés. Renfermant les douze Etudes dans tous les tons majeurs, le volet inaugural figurait dans le coffret Brilliant (cf. no 665).

La simplicité la plus désarmante irrigue les vingt-cinq Préludes dans tous les tons majeurs et mineurs, modestes d’allure et de dimensions. Si le bizarre y a peu sa place, une certaine naïveté de ton pourra dérouter. Psaumes et prières confèrent une certaine austérité au cycle, dont La Chanson de la folle au bord de la mer constitue le moment à la fois la plus singulier et le plus célèbre : cette mélodie fantomatique posée sur un glas de basses n’est pas de celles qui s’oublient facilement. Si J’étais endormie mais mon cœur veillait respire la pureté, une effervescence très mendelssohnienne irrigue le no 14. D’autres réminiscences, chopiniennes cette fois (Etude op. 10 no 4), viennent à l’esprit à l’écoute du no 24.

Résolument terrestre, le Rêve d’amour d’Alkan se révèle très éloigné de la suavité lisztienne. Viner concilie agilité, légèreté et précision : un guide sûr.

Sa plus fameuse d’Alkan, la Sonate « Les Quatre Ages » doit sa célébrité à sa structure : le tempo ralentit au fur et à mesure, de la flamme exaltée du premier mouvement (Vingt ans) jusqu’à la catatonie du dernier (Cinquante ans). L’exécution du pianiste anglais souffre d’une dynamique réduite – certains sforzandos n’éclatent pas suffisamment – et le deuxième mouvement tourne à vide, malgré un épisode joliment hystérique (à 8’ 44’’), indiqué « aussi fort que possible ».

Les trois Souvenirs, « morceaux dans le genre pathétique », valent le détour. Moins pour Aime-moi, dont Viner ne soutient pas assez le chant, ou Le Vent, dont les rafales de la main droite ne décollent guère, que pour Morte : l’apparition du motif du Dies irae fait vraiment froid dans le dos. Bertrand Boissard

DANIEL FRANÇOIS ESPRIT AUBER

1782-1871

YYY Ouvertures et extraits de Fiorella, Le Concert à la cour, Julie, Lestocq, Léocadie, Couvin, La Fiancée. Concerto pour violon.

Marketa Cepicka (violon), Orchestre de chambre tchèque de Pardubice, Dario Salvi.

Naxos. Ø 2019. TT : 1 h 01’.

TECHNIQUE : 2,5/5

Ce deuxième volume des Ouvertures d’Auber ne séduit guère plus que le premier (cf. no 689). Les moins connues ne sont pas forcément les plus captivantes, même si certains passages se laissent savourer – les bois dans Léocadie, par exemple. L’interprétation ne les transcende pas : à Dario Salvi, éditeur des partitions, font toujours défaut la légèreté de touche, la verve rythmique et la fraîcheur de coloris. L’intérêt de ces pages – souvent des premières au disque – reste donc surtout documentaire. Au moins reflètent-elles l’évolution d’Auber sur trois décennies, depuis Julie ou l’Erreur d’un moment (1805), Ouverture bien troussée mais scolaire, jusqu’à Lestocq ou L’Intrigue et l’Amour (1834).

L’année 1805 est aussi celle du concerto pour violon destiné à Jacques-Féréol Mazas, ici très bien défendu par Marketa Cepicka. On en retiendra surtout le joyeux Presto final, le compositeur comme le chef ne parvenant guère à faire décoller les deux premiers mouvements. Et n’allez pas croire que nous n’aimons pas Auber : c’est tout le contraire. Didier Van Moere

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

YYYY Les quatre Sonates pour violon et basse continue BWV 1021-1024. Sonate pour clavecin BWV 964. Adagio pour clavecin BWV 968.

La Divina Armonia.

Passacaille. Ø 2019. TT : 1 h 09’.

TECHNIQUE : 4/5

Les quatre sonates pour violon et basse continue de Bach font partie des œuvres qui posent encore d’épineux problèmes aux spécialistes. Les autographes ayant disparu, les musicologues tiennent aujourd’hui pour seules authentiques les BWV 1021 et 1023, la première connue par une copie d’Anna Magdalena, la seconde par une main dresdoise de l’entourage de Pisendel, à qui la BWV 1024 est en outre régulièrement donnée. La BWV 1022 serait, elle, une adaptation du Trio BWV 1038 par Carl Philipp Emanuel. Toutes suivent le modèle da chiesa, à l’exception de la BWV 1023 : à un Prélude où le violon brasille ses doubles croches sur une note tenue de la basse succèdent un Adagio non tanto troublé puis, à la manière d’une Suite, deux danses plus détendues. C’est une œuvre volontiers mélancolique, quand la BWV 1021 joue plutôt la carte du tendre enjoué.

La Divina Armonia nous offre l’intégralité de ce corpus avec un souci d’exactitude qui l’honore. Articulations, nuances, caractérisation des différents mouvements, tout est là, avec un continuo actif et malléable où se distingue le clavecin de Lorenzo Ghielmi, savant et savoureux dans ce rôle comme dans ses deux échappées en solo. Mais la violoniste Mayumi Hirasaki nous laisse sur notre faim ; on aimerait que sa technique immaculée se pare d’un sourire, s’autorise un soupçon de lâcher-prise, de risque, de chaleur. Malgré un programme lacunaire, le disque gravé par Hélène Schmitt en 2001 (Alpha) démontrait à quel point ces sonates peuvent parler, chanter, s’enflammer. Jean-Christophe Pucek

Y Y Y Y YSuites anglaises BWV 806-811.

Paolo Zanzu (clavecin).

Musica Ficta (2 CD). Ø 2017 et 2018. TT : 2 h 13’.

TECHNIQUE : 4/5

On le sait, les Suites BWV 806 à 811 n’ont d’anglais que le nom. Forkel rapporte qu’elles furent composées pour un « Anglais de qualité » ; s’il s’agit bien de Dieu-part, c’était un Français travaillant à Londres. Peu importe, au fond, ces jeux de masques ; pour les familiers de Bach, elles étaient les « grandes Suites » afin de les distinguer de leurs sœurs plus brèves, dites françaises. Leur ampleur et le souffle quasi orchestral de la majorité de leurs préludes traduisent leur ambition. S’y allient la brillance concertante à l’italienne et l’élégance chorégraphiée à la française.

Paolo Zanzu s’empare du recueil avec une irrésistible ardeur ; la bourrasque qui emporte le cascadant Prélude de la BWV 807, les girations étourdissantes de celui de la BWV 811 laisseront sans doute ébaubis les amateurs d’ondes plus tranquilles. Dans cette lecture sans temps mort, chaque Suite se joue comme une scène aux rebondissements palpitants. Des couleurs inattendues (Bourrée II de la BWV 806), des rythmes percutants (l’insatiable vitalité des Gigues), quelques échappées rêveuses (Sarabande de la BWV 811) : tout sauf l’ennui. Les moyens digitaux sont à la hauteur tant des exigences du texte que des pyrotechnies ornementales. Cette assurance conduit parfois le claveciniste à quelques excès, avec des duretés ponctuelles (Prélude de la BWV 808) mais aussi à des absences (l’Allemande de la BWV 810, peu habitée). Proche de celle gravée par Christophe Rousset en 2003 (Ambroisie, Diapason d’or), la nouvelle version la surpasse en effervescence mais lui cède souvent en cantabile et en gravité. Zanzu ose, et s’il ne convainc pas toujours, sa façon d’écheveler la musique demeure une expérience enivrante. Jean-Christophe Pucek

LUDWIG VAN BEETHOVEN

1770-1827

YYYY « Immortal Beloved ». Extraits de la Cantate pour l’avènement de Léopold II, La Belle Cordonnière, Leonore Prohaska, Fidelio et Egmont. No, non turbarti WoO 92a. Primo amore WoO 92. Ah! perfido.

Chen Reiss (soprano), Olivier Wass (harpe), Academy of Ancient Music, Richard Egarr.

Onyx. Ø 2019. TT : 58’.

TECHNIQUE : 3/5

Fidelio, la Symphonie no 9, la Missa solemnis : trois parties de soprano très différentes qui ont en commun de ne guère ménager la voix. Rien de tel dans les œuvres sans numéro d’opus du jeune Beethoven, fidèle aux modèles de l’époque, composant des airs de concert, souvent sur des vers de l’incontournable Métastase, troussant un numéro pour le singspiel La Belle Cordonnière. Ni dans la simple romance de salon, accompagnée à la harpe, « Es blüht eine Blume im Garten mein » destinée en 1815 à la tragédie Leonore Prohaska, qui célèbre une femme allemande déguisée en homme pour rejoindre l’armée prussienne et combattre Napoléon… C’est ce Beethoven méconnu qu’a voulu exhumer Chen Reiss, à côté de celui, beaucoup moins rare, de Fidelio, Egmont ou Ah ! perfido.

Un timbre plaisant, avec une pointe d’acidité néanmoins, une belle technique, un style orthodoxe : la soprano israélienne ne manque pas d’atouts. On aime sa charmante Marcelline, son éloge des chaussures neuves dans « Soll ein Schuh nicht drücken ». Du « Fliesse, Wonnezähre, fliesse ! », de la Cantate pour l’avènement de Leopold II, jusqu’aux deux airs de la Clara d’Eg-mont, tout est décidément très joli. Mais le caractère çà et là conventionnel de l’écriture demanderait à être dépassé par une interprétation plus caractérisée : l’ensemble pâtit d’une certaine monotonie.

Cela gêne beaucoup dans Ah! perfido, taillé sur mesure pour l’incendiaire Josefa Dusek (donc pour une voix plus dramatique) et ici trop uniquement décoratif. On y attendrait une Léonore plutôt qu’une Marcelline et la soprano est contrainte à la prudence. Bref, l’album vaut surtout par les curiosités. Soutien efficace de Richard Egarr, successeur de Chrisopher Hogwood à la tête de l’Academy of Ancient Music. Didier Van Moere

YYY Les cinq concertos pour piano. Avec des cadences de Beethoven, Reinecke, Bellucci, Gould, Stavenhagen, Liszt, Brahms, Fauré et Busoni.

Giovanni Bellucci (piano), Sinfonie Orchester Biel Solothurn, Kaspar Zehnder.

Calliope (5 CD). Ø 2015-2019.TT : 4 h 15’.

TECHNIQUE : 2,5/5

Avouons un attrait coupable pour cette intégrale hors norme. Ses défauts sont pourtant flagrants et nombreux. La formation suisse se révèle souvent dépassée (les cordes en particulier), la direction de Kaspar Zehnder reste brouillonne quand elle n’est pas absente. En témoignent l’ambiance de foire aux bestiaux du Rondo du Concerto no 4 ou le laisser-aller du premier mouvement de l’« Empereur ». La prise de son, excessivement réverbérée, n’arrange rien. Avec ses outrances, son goût discutable, Giovanni Bellucci rappelle les virtuoses du début du XX e siècle.

C’est peu dire qu’il prend les partitions à bras-le-corps et s’y autorise tout. Tel ornement sorti de nulle part, délicieuse fanfreluche, tel trait d’une légèreté de harpe ( du  ) ou au contraire telles immenses déferlantes ( du  ) ou tel invraisemblable coup de sang (cadence de Beethoven pour le  ). Parfois franchement rude, jusqu’à faire dangereusement ferrailler le piano, le jeu de Bellucci n’est pas de ceux qui cherchent à plaire. Au moins ne s’ennuie-t-on jamais, à cent lieues des exécutions bien léchées, figées dans le conformisme. Surtout, Bellucci ajoute encore, comme autant de friandises, nombre de cadences alternatives, très rarement jouées. Elles visitent les styles les plus variés, du contrepoint exacerbé de Gould à la sévérité de Brahms, de la pétulance de Liszt à la souplesse tranquille de

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