Diapason

LES 120 CRITIQUES DU MOIS

en studio

• Cédric Tiberghien poursuit son intégrale des variations pour piano de Beethoven: le deuxième volume arrive dans quelques mois (Harmonia Mundi).

• Santtu-Matias Rouvali ajoute un quatrième volet à son intégrale Sibelius, en dirigant l’Orchestre symphonique de Göteborg dans la Symphonie no 4, complétée par la Valse triste et La Nymphe des bois (Alpha).

• Diana Damrau et Jonas Kaufmann ont enregistré des « Operetta Arias » à la Radio de Munich, sous la baguette d’Ernst Theis (Warner).

• Roland de Lassus au luth, c’est le pari d’Evangelina Mascardi qui a ficelé un bouquet de transcriptions pour Musique en Wallonie.

• L’altiste Timothy Ridout rend hommage à son illustre aîné Lionel Tertis et, entre autres, aux compositeurs britanniques qu’il a servis (HM).

• Une nouvelle version du Te Deum de Charpentier? Après Valentin Tournet, voici Louis-Noël Bestion de Camboulas et Les Surprises, qui lui adjoignent celui de Desmarest. Charpentier également pour Hervé Niquet et une belle affiche (Véronique Gens, Cyrille Dubois, Thomas Dolié, Judith Van Wanroij…), qui nous promettent une Médée. L’un et l’autre à guetter chez Alpha.

• Fuga Libera étoffe son catalogue franckiste avec l’oratorio Les Béatitudes, capté à Liège, sous la baguette de l’ardent Gergely Madaras. Anne-Catherine Gillet, Héloïse Mas, Eve-Maud Hubeaux, John Irvin, Artavazd Sargsyan, Patrick Bolleire étaient de la distribution.

Francesco Corti, La Morra et le Theatro dei Cervelli explorent cinq siècles de musique à Florence; le disque arrive chez Ramée.

• Bach pour Christophe Rousset, qui a posé sur son clavecin L’Art de la fugue (Aparté).

NOS COTATIONS

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MOYEN Pour fanas avant tout.

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EXÉCRABLE Évitez le piège!

NOTRE COUP DE FOUDRE Révélation d’une œuvre inédite ou d’un talent à suivre.

KURT ATTERBERG

1887-1974

Aladin.

Michael Ha (Aladin), Frank Blees (Sultan Nazzredin), Solen Mainguené (Laila), Oleksandr Pushniak (Muluk), Selçuk Hakan Turasoglu (Vieux mendiant/Dschababirah), Chœur et Orchestre du Théâtre d’Etat de Braunschweig, Jonas Alber.

CPO (2 CD. Ø 2017. TT: 2 h.

TECHNIQUE: 3/5

Il suffit d’écouter cet Aladin créé en 1941 pour mesurer la singularité de Kurt Atterberg, icône de la musique suédoise qui s’inscrit dans le post-wagnérisme sans abandonner le confort de la tonalité. Très estimé entre les deux guerres, dirigé par les plus grands chefs, ce présentu « Strauss du nord » voit son étoile pâlir après 1945, victime de courants décidés à liquider l’héritage du romantisme tardif – c’est aussi parce qu’il s’était compromis pendant la guerre.

Si Aladin paie son tribut à l’orientalisme, notamment lorsqu’on entend les femmes du harem, il ne tombe pas dans les facilités du chromo. Dramatiquement, l’œuvre se tient, soutenue par un orchestre généreux, suggestif ou lyrique, avec des échappées sensuelles, comme dans le duo de l’acte II entre Laïla et Aladin. A Braunschweig, Jonas Alber rend justice à la version allemande de l’ouvrage, attentif à restituer les atmosphères de cet « opéra féerique » (Märchenoper).

Si l’Aladin de Michael Ha pâtit d’une émission beaucoup trop tendue dans l’aigu, la soprano française Solen Mainguené séduit beaucoup en Laila, par le fruité du timbre, l’aisance de l’aigu et l’élégance de la ligne. Oleskandr Pushniak a la noirceur un peu brute du méchant grand vizir Muluk, Selcuk Hakan Tirasoglu la profondeur du vieux mendiant (en réalité Dschababirah, le génie de la lampe), Frank Blees l’autorité du sultan Nazzeredin. Une belle découverte, après celle de l’Aladdin du Danois Horneman (Da Capo, cf. no 714). Et l’occasion de pousser plus loin du côté d’Atterberg – le curieux cherchera ses neuf symphonies (gravées par Rasilainen chez CPO).

Didier Van Moere

JACQUES AUBERT

1689-1753

6 sonates pour violon et basse continue.

Patrizio Germone (violon), Hemiolia.

Son an ero. Ø 2020. TT: 1 h 01’.

TECHNIQUE: 3/5

Né huit ans avant Leclair, Jacques Aubert appartient à cette génération qui vit le développement du violon virtuose en France. Ses sonates « évoluent beaucoup techniquement entre le premier Livre, édité en 1719, et le dernier, en 1738 », écrit Claire Lamquet-Comtet dans la notice, soulignant par ailleurs l’importance capitale de l’archet, « véritablement l’outil qui permet de sculpter les sons et d’obtenir le phrasé adéquat ». Une donnée qui n’aura certainement pas échappé à Patrizio Germone, luimême archetier: le violoniste soigne le phrasé qui devient instrument de la caractérisation – écoutez la Ga votta de l’Opus 25 no 4, parfaitement équilibrée. Il est en cela bien aidé par un continuo réactif et coloré, sans aucune lourdeur.

Piochant dans les Livres II (1721), III (1723, rév. 1737) et IV (1738), les cinq musiciens dévoilent des partitions pleines de charme, tant dans le lyrisme pudique de telle Aria (Opus 3 no 5) ou la douleur rentrée de tel Adagio (Opus 2 no 1) que dans la verve mise aux épisodes les plus vifs – les Tambourins de l’Opus 25 no 4 jouent de la complémentarité entre une basse percussive et un violon tout en liaisons virevoltantes. L’Allegro ma non troppo qui ouvre l’Opus 25 no 6 a des allures orchestrales que l’ensemble Hemiolia se garde de souligner, laissant le mouvement se déployer de lui-même, tout comme la Ciaconna bien dosée qui clôt la sonate et l’album. Certains pourront préférer une vision plus flamboyante, mais cette lecture tempérée est maîtrisée, même si quelques doubles cordes sentent un peu l’effort.

Si toutes les pages ne sont pas inoubliables (par exemple la Giga de l’Opus 25 no 5, aux progressions assez convenues), les interprètes évitent tout mauvais goût et les teintes raffinées dont ils parent ces six sonates font passer une heure agréable. Une porte d’entrée idéale pour qui veut connaître Aubert.

Loïc Chahine

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

Six sonates en trio BWV 525-530.

Manuel Tomadin (orgue Bosch/Schintger de la Hevormde Gemeente de Vollenhove, Pays-Bas).

Brilliant. Ø 2021. TT: 1 h 20’.

TECHNIQUE: 3/5

Les sonates en trio pour orgue ont toujours été utilisées, et peutêtre conçues, comme des exercices de virtuosité. Elles figurent aussi parmi les pièces les plus italianisantes de Bach. Nombre de mouvements ont d’ailleurs été transcrits ou connaissent d’autres versions pour formations diverses. S’il veut être expressif, l’organiste, par conséquent, ne peut s’y montrer seulement organiste: sur un instrument mécanique comme celui-ci, son toucher apportera un peu de l’élasticité des coups d’archet, de l’attaque des anches. Manuel Tomadin s’y efforce dans les finales, dotés d’une certaine vivacité – à part celui de la Sonate no 4, dont la pesanteur est à mille lieues de la gigue endiablée attendue. Les mouvements lents, eux, trouvent péniblement une forme d’expressivité, avec une ornementation qui sent le travail.

Mais c’est par les mouvements initiaux que ces sonates apparaissent avant tout, ici, comme des études. Au fil de ces allegros bien peu allègres, de ces vivace si peu vifs, ce jeu de pédales ne nous évoquera guère la souplesse d’une viole de gambe à qui reviendrait d’impulser le tactus: étonnant, pour qui a travaillé avec Andrea Marcon et enseigne la basse continue… C’est solide, c’est robuste, c’est lambin. La discographie regorge heureusement de versions de référence, parmi lesquelles André Isoir conserve une place de choix (La Dolce Volta).

Paul de Louit

Variations Goldberg BWV 988.

Aya Hamada (clavecin).

Evidence. Ø 2023. TT: 1 h 22’.

TECHNIQUE: 4/5

Après une Clavier-Übung II sur le superbe Ruckers de Neuchâtel (cf. no 707), Aya Hamada a choisi un autre clavecin du même facteur pour graver les Variations Goldberg: celui du musée Unterlinden de Colmar. Le tempo modéré de l’Aria, ornementée avec sobriété, donne le ton d’une lecture posée et équilibrée. Pour autant, l’énergie n’est pas absente des Variations III et IV, à la scansion presque autoritaire, ou des cascades de la XXIX. La XI connaît quelques baisses de tension, la XII avance avec une prudence où elle finit par s’essouffler, tandis que le cantabile discret de la XIII est bienvenu. Si la XV est dépouillée de ses accents tragiques, la plainte de l’Adagio (Variation XXV) est traduite avec plus de profondeur, à défaut d’une passion qui convoquerait les larmes.

La solennité, l’éclat qui imprègnent l’Ouverture (Var. XVI) sont bien là, avec toute la vigueur attendue. Une version un rien trop mécanique parfois (XXIII), sans être jamais pesante: les Variations XXVI à XXVIII ont le rythme pétillant. On aimerait seulement que le fort caractère de l’instrument infuse davantage la conduite du discours.

Jean-Christophe Pucek

BELA BARTOK

1881-1945

Les trois concertos pour piano.

Pierre-Laurent Aimard (piano), San Francisco Symphony, Esa-Pekka Salonen.

Pentatone. Ø 2022 et 2023. TT: 1 h 19’.

TECHNIQUE: 4,5/5

Après les avoir gravés jadis avec Yefim Bronfman à Los Angeles (Sony, version confondant Bartok avec Prokofiev), Esa-Pekka Salonen revient aux trois concertos pour piano de Bartok. Au pupitre du Symphonique de San Francisco, il offre un soutien à la fois énergique et souple à Pierre-Laurent Aimard, moins rigoureusement analytique qu’il n’y paraît.

L’austère Concerto no 1 (1926) voit ainsi sa formidable puissance d’abstraction contrebalancée par une fluidité mélodique inattendue. S’agissant d’une partition aussi décantée, presque exclusivement rythmique et percussive, refusant tout lyrisme, cela frise le paradoxe. Moins incisive et fulgurante que celle de Krystian Zimerman et Pierre Boulez à Chicago (DG, le must), mais tout aussi intense, l’interprétation des nouveaux venus impressionne par sa grande maîtrise et sa profonde originalité.

Dans le plus généreux et flamboyant Concerto no 2 (1931), Aimard et Salonen ne cherchent pas à rivaliser avec les poèmes épiques, barbares ou rêveurs, exaltés par Pollini et Abbado (DG), Kovacevich avec Colin Davis (Philips) ou Richter avec Maazel (Emi-Warner). Leur rutilance se fait plus intériorisée. D’une violence concentrée et quasi obsessionnelle, les mouvements extrêmes encadrent l’élégie nocturne qu’est l’Adagio lui-même traversé d’un étincelant Presto, sans qu’on perde ici un atome du discours soliste, ni de la solidité de ses basses, ni de la force d’impact de ses inflexions.

La poésie lunaire du Concerto no 3 (1945), testament spirituel du compositeur, appelle des qualités autres, mais un même souci d’aération de la texture et de cohérence formelle. Même s’il est possible d’aller plus loin encore dans la transparence des harmonies et des couleurs (Annie Fischer avec Fricsay, live 1960, Praga Digitals), Aimard et Salonen tissent un équilibre subtil entre rigueur et foisonnement, depuis le climat de doïna roumaine qui baigne la phrase initiale du premier mouvement et lui donnera sa substance, jusqu’aux bondissements de rythmes volontiers asymétriques de l’Allegro vivace final. Rarement le choral de l’Adagio religioso aura sonné aussi proche du Chant de reconnaissance que renferme le Quatuor à cordes no 15 de Beethoven, tout en revêtant une signification mystérieuse et fantastique différente.

Patrick Szersnovicz

VALENTIN BIBIK

1940-2003

Les trois sonates pour violon et piano.

Annabelle Berthomé-Reynolds (violon), Luka Okros (piano).

Indésens. Ø 2022. TT: 1 h 08’.

TECHNIQUE: 4/5

Formé dans son Ukraine natale, Valentin Bibik fut membre de l’Union des compositeurs soviétiques, enseigna à Saint-Pétersbourg avant d’émigrer en Israël en 1998; il est mort à Tel Aviv en 2003. Son œuvre la plus connue est peut-être le poème symphonique Crier et pleu rer dédié à la mémoire des victimes de l’Holodomor (la grande famine de 1932-1933 décrétée par Staline). Musicien à la fois très officiel et plutôt avant-gardiste, Bibik a composé dans un style plus tourné vers Chostakovitch ou Schnittke que vers le folklorisme de Khatchaturian.

Ses trois sonates pour violon et piano, écrites respectivement en 1975, 1995 et 1998, diffusent un accablement et une désespérance plutôt glaçants. Nul élément populaire ukrainien mais une intensité permanente (le terme sostenuto est celui qui revient le plus souvent dans les titres des mouvements). La notice qualifie cette musique de « carte postale rigoureuse du paysage esthétique ukrainien de la deuxième moitié du XXe siècle » – l’ensemble, en tout cas, s’avère sinistre.

Les interprètes n’en ont que plus de mérite. Le jeu habité et techniquement remarquable d’Annabelle Berthomé-Reynolds parvient même à soutenir l’intérêt (néanmoins plus historique que musical) dans ces pages austères, au climat uniformément pesant. Tout aussi investi, le pianiste géorgien Luka Okros tient la gageure de clarifier un langage complexe et chargé. Espérons retrouver ces deux artistes dans un répertoire qui leur offre plus de substance.

Jean-Claude Hulot

HILDEGARD VON BINGEN

1098-1179

« Ad Lucem ».

Romain Dayez (chant, harmonium, électronique et arrangements), Jean-Paul Dessy (violoncelle, aquaphone, électronique et arrangements).

Cyprès. Ø 2021. TT: 49’.

TECHNIQUE: 2,5/5

Au rayon des tentatives de psychédélisation de cette pauvre Hildegard von Bingen, voici un « oratorio électro-médiéval » d’après l’Ordo Virtutum. Cette « relecture » attribuant à une seule voix tous les rôles, y compris les chœurs des vertus (ceux des patriarches passent à la trappe), ose vanter le respect des « monodies » et des « textes originaux ». Que nenni! Les monodies sont parfois munies de (très vilains) déchants: l’échantillonnage permet tout, à moins que ce miracle ne soit à mettre au compte de la sainte qui n’a, rappelons-le, jamais composé en polyphonie. Pire, les mélodies sont quelquefois transposées (Paciencia, Ego sum columpna), niant le choix originel de deux modalités distinctes (dorienne et phrygienne), chacune dévolue à des personnages spécifiques. Quant aux textes, très largement charcutés et piochés au hasard, ils réécrivent un déroulement à mille lieues de la succession des quatre « scènes » constitutives du drame.

De celui-ci, que reste-t-il? Une exécution au sens propre, où le latin est dénué de toute accentuation (même de celle proposée naturellement par les neumes, ici nullement différenciés). La voix de Romain Dayez hésite entre emphase romantique et blancheur désincarnée. La seule théâtralité provient d’effets convenus (notes enflées ou répétées, écho, inévitables cloches) tandis qu’un halo sonore new age et une réverbération outrancière tentent maladroitement de gommer les imperfections vocales et instrumentales – oui, justesse et précision manquent trop souvent à l’appel. Une « expérience de transcendance » dont on se passera.

Anne Ibos-Augé

JOHANNES BRAHMS

1833-1897

Intermezzi op. 117. Lieder und Gesänge op. 32*. SCHUMANN: Kreisleriana.

Konstantin Krimmel (baryton)*, Hélène Grimaud (piano).

DG. Ø 2022-2023. TT: 1 h

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