UNE VUE imprenable

Pauline reprochait à son mari son manque d’ambition. Pourtant, Benjamin n’était pas prêt à renoncer à sa vie dans les arbres, d’où il avait une magnifique vue sur la ville.

Benjamin s’abstrayait de tout quand il était perché dans un arbre : du monde qui grouillait quelque dix mètres plus bas dans la rue, des bruits de la circulation, des effluves de monoxyde de carbone dégagées par les voitures.

Et quand il mettait en marche sa tronçonneuse, son imagination le transportait très loin, dans la forêt des Landes où, enfant, il passait ses vacances. Il se remémorait alors les sensations qu’il avait éprouvées à regarder travailler son oncle bûcheron, quand celui-ci l’autorisait à l’accompagner.

Quelques années plus tard, son brevet agricole en poche, il devenait élagueur urbain. C’était dans les grandes villes que la végétation requérait le plus de soins. En tant que citadin, il avait eu le temps d’observer les dégradations occasionnées par la pollution sur les arbres, et il se sentait comme investi de la mission de les protéger. Il avait trouvé son bonheur dans ce métier où il se savait utile.

Cependant, cette sérénité était loin d’être partagée par Pauline, son épouse, qui lui reprochait son manque d’ambition. Mais, se mettre à son compte comme elle le désirait, créer sa propre entreprise d’élagage, nécessitait des fonds et la perspective de s’endetter auprès d’une banque, pour un projet qui lui semblait risqué, le rebutait. Si, au début de leur mariage, sa frilosité avait été critiquée plutôt gentiment par Pauline, le ton de cette dernière s’était nettement durci depuis qu’elle s’était mis en tête de quitter Paris et leur petit deux-pièces, pour acheter une maison en proche banlieue. Cela aurait été dans le domaine du réalisable, car il arrivait au terme de son plan d’épargne logement et il pouvait espérer acquérir à un prix raisonnable un pavillon, certes modeste,