Sur le fil
Gala de l’Union des artistes, 1973. Jane Birkin se lance sur un fil, déguisée en bunny girl, une ombrelle à la main et sourire obligé de celle qui n’en mène pas large. L’image, légère et d’un autre temps, est réapparue sur les réseaux sociaux alors que le premier titre extrait de son nouvel album, une chanson folk nonchalante baptisée Les Jeux interdits, glissait sur les ondes. Birkin funambule, on ne peut rêver meilleure métaphore, elle qui s’équilibre tant bien que mal depuis six décennies entre deux pays, deux langues parfois mélangées au grand martyr des pronoms et des accords de verbes, deux métiers, deux hommes à une époque, deux tragédies souvent et qui tient, par miracle, toujours debout. Calée dans le salon forcément un peu anglais d’un hôtel proche du jardin du Luxembourg – café honteusement américain pour elle, thé earl grey de circonstance pour nous –, elle se souvient de la douloureuse application dont il lui aura fallu faire preuve pour traverser ce Styx dérisoire de 1973 devant les regards souvent libidineux du « métier », alors réuni pour la bienfaisance envers les artistes les plus démunis. « Je suis maladroite, je dis pardon quand je me cogne aux meubles, je rate la table, je me renverse la tasse sur le pantalon, alors il m’a fallu une concentration monstre pour marcher sur un fil de fer, mais c’est possible. »
Des choses impossibles, des montagnes insurmontables, Jane B. en a dompté pas mal tout au long de sa vie, particulièrement au cours des dix dernières années. Le cancer sournois dont elle a fini par s’acclimater (« L’hôpital est ma seconde maison, rit-elle, ce n’est pas dramatique pour moi »), la mort de sa fille Kate en décembre 2013 dont elle exorcise les stigmates sur le nouvel album, l’entrave à son(dont la sortie a été repoussée à 2021 pour cause de confinement), elle le doit entièrement à la ténacité d’Étienne Daho, qui ne pouvait se résoudre à voir Jane ensommeiller éternellement sa voix sous des douleurs muettes, draper uniquement ses souvenirs dans la nostalgie impuissante et n’être plus aux yeux du plus grand nombre que ce charmant minois sixties/seventies qui surgit à longueur de temps sur Instagram.
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