SA VIE nouvelle
Un peu d’enfance lui remonte au visage, étire ses yeux, passe dans sa voix : « Ah vous êtes déjà là ? » Charlotte Gainsbourg sourit. Elle a vingt minutes d’avance ; moi aussi. Quand elle traverse les salles de cet hôtel « déshabité » pour cause de crise sanitaire, me revient l’étrange phrase écrite immédiatement après l’avoir vue crever l’écran du nouveau film de Benoît Jacquot, Suzanna Andler, adapté d’une pièce de Marguerite Duras: ainsi arpente-t-elle les palais de mémoire du monde, infatigable car toujours déjà épuisée, toujours à la fois au bord et au-delà de dormir, de mourir ou d’aimer.
Il est, dans la carte de Tendre du portrait d’actrice, un lieu que j’ai toujours trouvé tout à fait exécrable: le long détour, empesé, dès les premières lignes, sur le physique. Comme si, chez une femme, la présence, en acte, ne passait d’abord que par cela. De physique, voire de tenue et même de robe, il sera parfois question ici, mais toujours dans le souci de peindre une âme. Sa propriétaire s’enfonce dans une banquette moelleuse, commande un thé fumé au serveur, tout dépité de n’en avoir pas pour elle, se rabat, pour ne pas le contrarier, sur un earl grey au lait, consulte rapidement son portable, yeux obscurcis par un rideau de cheveux bruns, puis quand je lui dis que je ne peux pas commencer cet entretien sans lui demander comment elle traverse ces temps si âpres, se met à raconter ce que fut, pour elle, le désordre des jours : l’épidémie. La famille, à ce moment-là, scindée en deux. La peur. La maladie. Charlotte Gainsbourg était à New York avec ses filles pendant le confinement. Elle a attrapé la covid, assez salement. S’en est remise. Puis soudain, une évidence: la France lui manquait. New York, dans laquelle elle avait trouvé refuge, en 2013, après la mort de sa sœur, la photographe Kate Barry, avait peut-être fait son temps. « Nous sommes parties alors que les manifestations pour George Floyd venaient d’éclater. Quand nous sommes arrivées en France, c’était le
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