Moi, Paysan au XVIe Siècle: Mémoire d’un Oublié de l’Histoire
Par Collin de Plancy
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À propos de ce livre électronique
Au cœur du XIVᵉ siècle, dans une France ravagée par la guerre de Cent Ans, la famine et la tyrannie féodale, un simple paysan raconte son destin. Arraché dès l’enfance à toute liberté, il décrit la vie des serfs soumis aux corvées, aux impôts écrasants, aux humiliations quotidiennes infligées par les seigneurs et par l’Église. Entre labeur harassant, privations et injustices, ces pages livrent le témoignage brut d’un homme sans nom, oublié des chroniques officielles.
Mais ce récit n’est pas qu’un catalogue de misères : il est aussi le cri d’un peuple en quête de dignité. On y suit la grande révolte des Jacqueries, ces soulèvements paysans qui mirent la noblesse en péril. On y entend l’écho des campagnes incendiées, des supplices infligés aux révoltés, mais aussi des élans de courage, de solidarité et de soif de liberté.
"Moi, Paysan au XIVᵉ siècle : Mémoire d’un oublié de l’Histoire" est un document rare qui brise le silence des siècles. À travers la plume de Collin de Plancy, il redonne voix à ceux qui ne laissèrent d’autre trace que leur sueur et leur sang. Un texte bouleversant, à la fois chronique sociale et appel à la mémoire, indispensable pour comprendre ce que signifiait vraiment « être vilain » dans la France médiévale.
Un témoignage essentiel pour tous les passionnés d’histoire médiévale, de luttes populaires et de récits authentiques.
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Aperçu du livre
Moi, Paysan au XVIe Siècle - Collin de Plancy
PRÉFACE
Avant de commencer cette préface, je préviens les femmes et les personnes nerveuses qu’elles feront bien de ne point lire cet ouvrage. Elles y trouveraient à la vérité quelques épisodes d’amour, de longs malheurs, des situations terribles, de l’intérêt peut-être, mais des choses trop révoltantes pour leur sensibilité, des aventures trop noires, des héros qui ne sont remarquables que par leurs misères et un courage impuissant.
Je ne me suis décidé à publier ces Mémoires, que pour fermer la bouche à ces imprudent apologistes du temps passé, qui ne voient rien d’admirable que ce qu’ils ne connaissent pas, et qui vantent les siècles de barbarie, parce qu’ils sont au dessous des siècles policés.
Je dois dire ici comment cet ouvrage m’est tombé entre les mains. Messieurs les auteurs du Constitutionnel en ont déjà prévenu le public . En cherchant, pour le Dictionnaire féodal, quelques-uns de ces tristes jurisconsultes dont les ouvrages ne se vendent plus qu’à la livre, je trouvai dans la boutique d’un épicier un cahier de parchemin, écrit en gothique ; je jetai les yeux sur la première page, j’y lus ce titre : Annales et chronica vitæ Marcelli, miserrimi inter servos, ab anno 1312 ad annum 1369. Je n’eus pas besoin d’en voir davantage pour me persuader que le hasard venait de m’offrir une heureuse découverte. Je fis aisément l’acquisition de ce manuscrit, et je me mis à le lire. Il était écrit en mauvais latin, mais plein de faits et de détails qui peuvent éclaircir quelques passages de notre histoire.
Je cherchai à découvrir qui pouvait l’avoir conservé. Quelques lignes d’une écriture plus récente, tracées sur la dernière page, m’apprirent qu’il avait appartenu à une bibliothèque de Bénédictins, où sans doute on l’avait laissé sans le lire ; mais je ne sais point de quelle maison de Saint Benoît ce manuscrit est passé dans une épicerie.
Quoiqu’il en soit, je ne pensais point à le traduire. Des hommes de lettres, à qui j’en fis part, changèrent mes résolutions. On me représenta que, dans un moment où les hommes féodaux exaltent avec tant de hardiesse les bienfaits de l’ignorance et de la féodalité, un ouvrage comme celui-ci ne pourrait manquer d’être utile, en retraçant le tableau fidèle de ces temps misérables où la noblesse était tout, et le peuple rien, en montrant aux Français ce qu’ils ont perdu et ce qu’ils ont gagné sous le régime actuel. On me fit remarquer aussi que ces Mémoires étaient un monument historique qu’il ne fallait point laisser perdre.
Je les livre donc aux méditations du public ; mais je prie qu’avant d’aller plus loin on me permette de faire ici quelques observations sur le quatorzième siècle. J’essaierai de montrer, par des témoignages historiques, qu’il n’y a rien d’exagéré dans les noirs tableaux que présentent ces Mémoires, et qu’ils s’accordent assez bien avec l’histoire et les mœurs du temps, pour qu’on ne craigne pas de les dire authentiques. Ces observations me coûteront peu de peine, parce que je les donnerai sans prétention et sans ordre.
Il faut d’abord se figurer la situation politique de la France. La féodalité, que l’on avait inutilement tenté d’adoucir, était en pleine vigueur ; le despotisme allait croissant ; le peuple payait des impôts aux seigneurs et au clergé ; les seigneurs et le clergé n’en payaient point au roi, le roi n’en levait que dans ses domaines ; les paysans étaient forcés au service militaire auprès de leurs seigneurs ; les seigneurs ne servaient que volontairement.
Jusqu’à la captivité du roi Jean, le roi était un seigneur suzerain, que les seigneurs ordinaires reconnaissaient, lorsque leurs intérêts ne les armaient pas contre lui. Si plusieurs de ces rois furent des tyrans, la plupart des seigneurs l’étaient également dans leur village.
Depuis la régence de Charles V, la puissance du trône s’étendit, et à la fin du quatorzième siècle c’était, à quelques formes près, le pur despotisme, sans que les roturiers fussent plus heureux sous leurs seigneurs.
Cependant Louis le Hutin avait régné, et ce prince, à qui le peuple français doit une éternelle reconnaissance, avait ordonné l’entier affranchissement des serfs, affranchissement que Louis VI avait commencé dans ses domaines. Mais l’ordonnance de Louis le Hutin ne diminua pas le nombre des malheureux ; on vendit la liberté aux serfs, on leur enleva quelques sommes d’argent qui leur avaient coûté tant de sueurs ; et Louis étant mort après deux ans de règne , on resserra les chaînes des Vilains.
Sous les règnes de Philippe VI et du roi Jean, la servitude de la glèbe était aussi cruelle que jamais. Tous les droits féodaux étaient en usage. Un paysan qui recueillait dix livres de blé, en donnait sept à son seigneur et à son curé : il payait la dîme ecclésiastique à l’un, la dîme féodale à l’autre ; il devait, en outre, à son seigneur, le champart, ou la cinquième partie des revenus de son champ ; le cens, qui était une rente arbitraire imposée à chaque serf ; la corvée, qui prenait souvent dix jours dans le mois ; des impôts considérables et des redevances sans nombre. Il gardait pendant la nuit le château de son seigneur ; il lui payait la taille aux quatre cas . Les serfs et les vassaux étaient encore obligés de servir d’otage à leur seigneur ; on les vendait comme des bêtes de somme ; et l’on vit dans le quatorzième siècle un prélat faire son entrée dans son évêché, sur un cheval qui lui avait coûté trois hommes et trois femmes de corps.
Les seigneurs jouissaient du droit de cuissage ; les prêtres même, les abbés et les évêques, en usèrent pareillement jusqu’au commencement du quinzième siècle. Ils avaient le droit des fillettes, en vertu duquel ils imposaient une amende à toute fille qui faisait un enfant ; les droits de havée, de vente, de mesurage, de quint et de requint, qui leur donnaient une part de tout ce qui se vendait sur leur fief ; le droit des Épaves, par lequel ils s’appropriaient toutes les bêtes égarées ; le droit de péage sur les chemins et les rivières qui passaient dans leurs terres ; le droit de fouage, en vertu duquel ils levaient un impôt sur les paysans qui faisaient du feu en hiver ; le droit de confiscation à volonté ; les droits de chasse et de pêche, les droits de banalité et de capitation, le droit de ravage dans le champ du pauvre, quand c’était leur bon plaisir ; les droits d’aubaine et de naufrage, qui privaient la France de tout commerce ; etc.
On ne pouvait être inhumé en terre sainte, si l’on n’avait songé à enrichir son curé avant de mourir ; on ne pouvait se marier, sans faire bénir le lit nuptial, et sans payer au prêtre les plats de noces. Le clergé, qui avait d’énormes bénéfices, s’était encore donné le droit d’excommunier ceux qui ne payaient pas exactement la dîme, ceux qui ne testaient pas en faveur de leur paroisse, ceux qui ne dépouillaient pas leurs enfants, lorsqu’un moine leur en apportait l’ordre.
Les cadets de famille étaient réduits à la misère par le droit d’aînesse ; les châteaux forts étaient souvent des repaires de brigands ; les seigneurs, qui avaient renoncé, sous Saint Louis, à ne plus détrousser les passants, et à ne plus battre la fausse monnaie, ne s’étaient pas purifiés tous de leurs habitudes anciennes ; les serfs soumis à la glèbe étaient condamnés à mourir sous le même chaume où ils avaient eu le malheur de naître . Point de lois, point de sûreté, point de justice, point de mœurs ; la France n’offrait partout que brigandage, superstition, fanatisme, privilèges et misères.
Philippe-le-Bel avait trompé les Français avec finesse ; et cependant les Français s’étaient aperçus qu’il les avait trompés . Ses successeurs suivirent son exemple, sans avoir son adresse : il n’y eut bientôt plus que défiance entre le peuple et ses rois. Lorsqu’Édouard III voulut enlever la France à Philippe de Valois, Philippe ne fut vaincu à Crécy que parce qu’on le servait mal. Le monarque anglais était épuisé, une seconde bataille l’eût chassé de nos provinces ; mais nos provinces le reçurent, parce qu’il n’y avait ni union, ni confiance.
D’ailleurs, le gouvernement de Philippe était si dur et si injuste, que lorsqu’Édouard eut publié un manifeste, où il promettait de rendre justice à tous, on refusa tout secours à Philippe, et la France ouvrit ses portes à l’anglais.
Le roi Jean succéda à Philippe de Valois ; le caractère de ce prince n’était pas non plus sans dureté, il avait tout ce qui fait les tyrans ; mais les murmures l’intimidèrent. « Le roi Jean, ayant l’âge mur, l’expérience des affaires, une valeur éprouvée dans les occasions, l’exemple des fautes de son père devant les yeux, et quatre fils bientôt capables de tirer l’épée, promettait, dit Mézeray , un gouvernement florissant ; mais il avait les mêmes défauts que Philippe, trop d’impétuosité et de précipitation pour la vengeance, peu de prudence, et aussi peu de considération pour les misères de son pauvre peuple. » Il commença son règne par des actes arbitraires et l’effusion du sang. Les seigneurs furent prompts à le surpasser ; et le peuple, au désespoir, se disposa de toutes parts à la révolte.
On assembla, en 1355, des états généraux, à qui on promit beaucoup ; mais les députés du peuple ne furent pas plutôt partis, que l’on recommença les exactions et les injustices. Les esprits s’effarouchèrent : la nation se partagea en deux partis, dont l’un s’appela le parti de la liberté ; l’autre soutenait la monarchie .
Dans ce fâcheux état, on se prépara à la bataille de Poitiers ; au commencement de la mêlée, Charles, duc de Normandie, qui régna depuis sous le nom de Charles V, prit lâchement la fuite, et entraîna avec lui les princes et la plupart des seigneurs. Le plus jeune des fils de Jean, Philippe, surnommé l’Intrépide, alors âgé de treize ans, resta seul auprès de son père ; combattit à ses côtés, lui fit un rempart de son corps, et reçut plusieurs blessures ; mais il ne put empêcher la perte de la bataille, et le roi Jean fut prisonnier, tandis qu’il eût pu remporter la victoire, si seulement le quart des siens l’eût secondé…
Jamais l’union et la concorde n’avaient été si nécessaires à la France qu’après la funeste bataille de Poitiers, et jamais les esprits ne furent si divisés ; jamais il n’y eut dans l’état tant de confusion, de trouble et de désordre . Les paysans et les roturiers, n’ayant rien à perdre en changeant de roi, ne remarquèrent que la lâcheté de leurs seigneurs, et rougirent d’un joug qui leur était imposé par de tels maîtres. Les seigneurs ne s’effrayèrent point de voir l’étranger en France.
Charles (depuis Charles V), gouverna la France pendant la captivité de son père ; il commença sa régence par une convocation des états généraux. On lui promit de l’aider d’hommes et d’argent, pourvu qu’il renonçât au despotisme, qu’il éloignât de sa personne les vexateurs du peuple, qu’il reçût dans son conseil quelques hommes du tiers-état. Charles, persuadé que sa puissance était sans bornes, et que le peuple était fait pour lui obéir, cassa les états-généraux.
Dès lors, toute la France refusa avec fermeté de le secourir, et il fut obligé d’assembler de nouveaux états. Il promit de faire tout ce qu’on lui demandait, et renvoya vingt-deux courtisans, qui depuis plusieurs années ruinaient le peuple. Mais comme on n’exigea point que les coupables fussent poursuivis et jugés, aussitôt après la clôture des états ces vingt-deux hommes reparurent auprès de Charles, qui les traita comme des favoris, et fit avec eux de nouvelles injustices.
Le peuple, joué, las, accablé, désespéré, se révolta plus sérieusement. La confusion fut à son comble, chacun ne songea plus qu’à ses intérêts particuliers ; on renversa tout pour y parvenir ; et il ne faut pas s’en étonner : chacun suivait l’exemple du Souverain, qui songeait plus à l’agrandissement de sa puissance qu’au bien public.
Plusieurs bandes couvraient le royaume ; la plus redoutable était celle d’Arnaud, seigneur de Cervoles. Il entra dans le comté d’Avignon, et obligea le Pape de racheter le pillage de ses terres, moyennant quarante mille écus, de lui donner ensuite l’absolution, et de le recevoir à sa table, avec les honneurs dus aux souverains…
Dans cet état des choses, Robert-le-Coq, évêque de Laon, et Marcel, prévôt des marchands de Paris, se mirent à la tête des mécontent. Nos historiens (presque tous nobles ou moines) ont prodigué à ces patriotes les noms les plus odieux . Mézeray est peut-être le seul qui ait eu à leur égard quelque impartialité. Si le zèle de Marcel dégénéra en faction, dit-il, c’est que ce zèle qu’il avait pour la liberté publique trouva de trop fortes oppositions . Après qu’il se fut rendu maître du peuple de Paris, il obligea Charles de convoquer de nouveau les états généraux. On n’y montra pas plus de bonne foi que précédemment, et la noblesse les fit dissoudre, sans qu’on eût rien fait d’important.
Cependant l’anarchie était si grande, que les paysans des environs de Paris venaient chercher leur sûreté dans la capitale ; les religieuses abandonnaient leurs couvents, devant les bandes qui pillaient la France. La condition des serfs était plus malheureuse que jamais. On leur avait enlevé leurs bêtes de somme ; on enchaînait l’homme et la femme à la charrue pour labourer la terre ; on noyait les vieillards inutiles. On les tuait, non-seulement pour une faute légère, mais pour le moindre soupçon, voire tout simplement pour en avoir le passe-temps .
Un nouvel incident vint mettre le comble au désordre. Le roi Jean, inquiet des mouvements que se donnait Charles-le-Mauvais, roi de Navarre, pour lui enlever la Champagne et la Brie, avait fait arrêter et emprisonner ce monarque. Pendant les troubles qui suivirent la défaite de Poitiers, le roi de Navarre s’échappa de sa prison et accourut à Paris. Bientôt le régent, le roi de Navarre et le prévôt se disputèrent le pouvoir ; tous trois eurent des partisans. Charles-le-Mauvais promettait au peuple de le ménager ; et ce peuple, traité avec tant de rigueur sous la régence, jurait de bien servir son libérateur.
Le régent parlait à son tour, il se justifiait avec adresse, faisait au peuple de grandes concessions ; et ce peuple, aisé à séduire, promettait de soutenir son prince, pourvu qu’il renonçât à la tyrannie.
Marcel parlait enfin, il désabusait la foule ; il faisait entendre le nom de la liberté, si longtemps méconnue ; et ce peuple, las du joug, jurait de combattre pour vivre libre.
Cependant le roi de Navarre, se conduisait mal ; le régent se jouait de ses promesses ; Marcel montrait seul de la fermeté et de la constance : son parti fut bientôt le plus fort. Charles-le-Mauvais crut qu’il ferait, bien de se tourner du côté des plus nombreux. Il n’avait point de parti prononcé ; il se décida à protéger les Parisiens contre le despotisme du régent.
Celui-ci, qui allait être obligé de céder enfin quelque chose au peuple, se lassa de ne pas régner à sa fantaisie, et sortit de Paris, bien résolu de n’y rentrer qu’avec des forces imposantes.
Pendant cette anarchie la noblesse continuait ses brigandages, avec les excès les plus monstrueux. Les gens de guerre exerçaient toutes sortes de violences sur les habitants des campagnes : ces malheureux, battus, pillés, courus comme des bêtes sauvages, n’ayant la plupart pour retraite que les bois, les marais et les cavernes , prirent enfin ce courage du désespoir qui fait braver tous les périls, et qui montre la mort comme le remède des maux insupportables. Ils levèrent l’étendard de la révolte, avec la ferme résolution de ne déposer les armes qu’après avoir exterminé les seigneurs. Une foule de moines, opprimés comme les vilains, imaginèrent des confréries pour associer les révoltés.
Cette guerre commença dans le Beauvaisis ; elle eut pour premier chef un paysan intrépide, nommé Jacques Caillet, que nos historiens ont peint comme un chef de brigands, sans pouvoir lui trouver aucun crime. Mais il marchait à la tête de cent mille hommes qui demandaient la liberté . On nomma cette guerre la Jacquerie, du nom de son chef, qui se nommait Jacques . Elle fut terrible. Une armée de cent mille paysans parcourut les provinces du nord de la France, exterminant les seigneurs, mais non leurs femmes et leurs filles ; brûlant les châteaux, mais respectant la cabane du pauvre ; pillant les trésors des nobles, et partageant ces dépouilles avec les malheureux.
Il périt, dans cette guerre sanglante, un grand nombre de comtes et de barons. Il s’en fallut de bien peu que la France ne secouât tout-à-fait ses chaînes, comme la Suisse s’était délivrée de ses tyrans. C’était fait de la noblesse, si les villes se fussent jointes aux campagnes, et si les gentilshommes, revenus de leur première frayeur, n’eussent appelé à leur secours la noblesse de toutes les nations voisines.
On vit alors arriver en France, par pelotons et par escouades, les gentilshommes de la Flandre, du Hainaut, du Brabant, de la Bohême, de l’Allemagne, du Piémont, et des autres contrées où le bruit de la Jacquerie était parvenu.
Charles-le-Mauvais tourna aussi ses armes contre les paysans, pour venger le meurtre de deux gentilshommes, ses favoris.
Dès lors la scène changea ; les seigneurs français et étrangers tinrent la campagne ; et, le fer et la torche à la main, ils portèrent dans les chaumières l’incendie et la mort. Les troupes anglaises, qui pillaient la France, prirent aussi la défense de la noblesse. Les paysans, forcés de tenir tête à la fois aux quatre vingt mille seigneurs français, à un nombre au moins aussi grand de gentilshommes étrangers, aux troupes de Charles-le-Mauvais, aux bandes anglaises, trouvèrent encore dans leur désespoir assez de courage pour se faire redouter et pour traîner la guerre en longueur.
Un détachement anglais vint attaquer deux cents paysans renfermés dans Longueil, près de Compiègne. Un de ces pauvres gens, voyant son beau père percé de coups, saisit une hache, ranime ses compagnons, tombe sur les Anglais, en tue quarante, et met le reste en fuite. Après cet exploit il tomba malade. Des Anglais, qui le surent, vinrent pendant la nuit, au nombre de douze, pour le surprendre et le tuer dans son lit : il les entend, se lève, en tue cinq, dissipe les sept autres, se recouche, et meurt de fatigue…
Mais le courage ne tient pas longtemps contre le nombre et la barbarie. On ne faisait aucune grâce aux paysans que l’on pouvait saisir. Charles-le-Mauvais en fit passer plus de vingt mille au fil de l’épée. Il en extermina plus encore, au moyen des gibets, des bûchers, des potences, et d’une certaine machine qui coupait deux mille têtes par jour.
Pour comble de malheur, Jacques Caillet fut pris : on lui trancha la tête ; et sa perte, aussi bien que l’effroi des supplices, dispersa bientôt le reste des Français qui cherchaient la liberté.
Du moment où ils furent désunis, on les massacra sans peine. Mézeray et quelques autres Historiens disent que l’Évêque d’Auxerre se vantait d’avoir tué deux cents Vilains pour sa part. On exterminait également les moines qui avaient pris le parti du peuple ; et comme les vainqueurs s’enrichissaient de la dépouille des vaincus, les Seigneurs s’entre-tuèrent eux-mêmes, sous prétexte de vieilles injures qu’il fallait venger.
Paris, cependant, n’était pas soumis. Après que le régent, de concert avec Charles-le-Mauvais, les Anglais et les Seigneurs, eut anéanti l’armée des paysans révoltés, il se présenta devant Paris, à la tête de ses Gentilshommes. L’Université et le Prévôt des marchands, qui ne l’avaient point chassé, lui firent dire que les portes de la Capitale lui étaient ouvertes. Le régent répondit qu’il voulait qu’on lui livrât cinq ou six des principaux coupables. Comme on n’en reconnaissait point, on lui ferma les portes, et Paris fut assiégé.
Marcel soutint le courage des habitants. Le siège eût duré plusieurs mois, car le Roi de Navarre était rentré dans Paris et s’était brouillé de nouveau avec le régent. Mais un soir, au moment où l’on allait combattre, un Échevin, nommé Maillard, tua Marcel d’un coup de hache, ouvrit les portes au fils du Roi Jean ; et pour rendre odieux au peuple le prévôt des marchands qu’il venait d’assassiner, il l’accusa d’avoir voulu livrer Paris aux Anglais…
Après ces temps de troubles, le peuple était libre, dit Thouret, s’il eût su faire un usage raisonnable de ses droits ; mais l’ignorance où les Français étaient plongés fit
