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La vindication de Guillaume
La vindication de Guillaume
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Livre électronique432 pages4 heures

La vindication de Guillaume

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À propos de ce livre électronique

L’an 1033, une période caractérisée à la fois par le millénaire de la mort du Christ et la plus grande famine du XIe siècle, marque la prolifération des sectes manichéennes qui prophétisent la fin du monde. Guillaume, seigneur de Meyreuil, se retrouve blessé et défiguré par des loups. Le « gourou » d’une secte le désigne alors comme le diable aux yeux de ses adeptes. Susceptible de rumeurs malveillantes, Guillaume échappe à un attentat. Pour se venger, il confie un odieux marché à ses sujets qui se révélera fatal pour l’un d’entre eux. Quelle sera leur réaction à l’issue de ce traquenard ?




À PROPOS DE L'AUTEUR

Pascal Carausse a toujours souhaité se dédier à l’enseignement de l’histoire et de la géographie. En raison d’une hémiplégie, il abandonne ce rêve pour se consacrer à l’écriture de romans historiques, unissant ainsi ses connaissances et sa passion.
LangueFrançais
Date de sortie29 avr. 2024
ISBN9791042200947
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    Aperçu du livre

    La vindication de Guillaume - Pascal Carausse

    Pascal Carausse

    La vindication de Guillaume

    Roman

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    © Lys Bleu Éditions – Pascal Carausse

    ISBN : 979-10-422-0094-7

    Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    Du même auteur

    Parus chez L’Harmattan :

    À Denis et Alexis Carausse, en espérant réussir à les préserver

    de tous les Jean de Guth et les Pierrick du monde.

    I

    Les monstres véritables ne ressemblent pas à des monstres.

    Phillip. M. Margolin

    — Et voilà. Nous y sommes. Me voici donc devenu un monstre.

    — Mais tu étais un monstre, mon bon Guillaume. Tu en avais la plupart des attributs en tous cas.

    — Pas physiquement jusqu’alors. Et ce n’était pas visible de manière aussi criante, Foulque.

    Celui de qui cette remarque émanait, Guillaume, s’assit sur son lit, et se cala confortablement contre les coussins. De longues et profondes balafres écarlates, manifestement relativement fraîches, striaient son visage martyrisé. Il était évident qu’il avait été défiguré. À son chevet se trouvait un individu grand, mince et élancé, à la chevelure frisée, le dénommé Foulque donc, à l’expression marquant une évidente ironie. Celle-ci devait, à n’en pas douter, constituer chez cette personne une seconde nature.

    — Le physique a juste fini par suivre le spirituel. Il y a une logique dans tout ça, finalement !

    L’infortuné alité se préoccupa alors de son avenir affectif et demanda quelle femme voudrait d’un défiguré ? Son comparse répondit alors sans marquer l’ombre d’une hésitation : la sienne. Il lui rappela dans la foulée qu’il était toujours marié. L’Église n’était toujours pas disposée à annuler ce qu’elle avait béni, sans une raison un peu plus valable qu’un léger accident. Même si celui-ci vous enlaidissait définitivement et irrémédiablement. D’après son acolyte, son épouse l’aurait vu affligé d’une tête de veau ou d’un groin à la place du nez, qu’importe. L’essentiel restait qu’il demeure en vie. Il reconnut en passant que sur ce point, il aurait toujours du mal à la comprendre, d’ailleurs… Il se demanda même si son ami méritait vraiment celle-ci.

    — Elle m’aime donc à ce point ?

    — En doutais-tu ? À mon avis, elle se complaît dans la monstruosité… Mais ça, c’est un point de vue tout ce qu’il y a de personnel !

    Foulque reprit alors et affirma qu’on voyait bien que son comparse ne soupçonnait même pas à qui il avait affaire. Comme quoi on pouvait côtoyer quelqu’un de longues années en ne le connaissant finalement que superficiellement et sommairement. À force de la considérer comme « appartenant au mobilier », il avait presque oublié qu’il s’agissait d’un être humain, avec ses joies, ses peines, ses colères, ses sentiments, sa sensibilité propre, ses besoins d’affection et d’amour. Comme tout un chacun, en définitive. Dans ce contexte, la négliger devenait méprisable. Pour ne pas dire presque criminel. À tout le moins répugnant. Il ajouta également qu’elle avait fait preuve d’une force de caractère et d’une pugnacité qui ne pouvaient que susciter l’admiration. La sienne en l’occurrence. Elle avait soutenu son époux depuis son accident pas à pas, jour après jour, avait traité avec les médecins, sans qu’oncques¹ son coraige² ni sa détermination ne faiblissent d’un pouce. Et surtout sans faillir ! Elle l’avait impressionné. Il n’aurait jamais pensé, pourtant, être un jour ébloui par une femelle. Il en était venu à l’admirer presque autant qu’il « méprisait » son ami, prétendit-il sur un ton toujours plus narquois. Même lorsqu’il était entre la vie et la carnade³, elle restait des nuits entières à prier à son chevet. Et une bonne partie du temps à genoux encore ! Lui aussi, bien sûr, mais ses motivations étaient selon ses dires toutes autres. Il implorait le Seigneur afin que Guillaume n’en réchappe pour rien au monde. Mais il n’avait pas été entendu… Ah ! S’il pouvait avoir la même femme, fit-il remarquer ! Enfin, lui, c’était hors de question, en tout état de cause…

    L’homme défiguré approuva, et fit remarquer qu’il avait encore néanmoins conservé toute sa tête. Il fit également observer que si son comparse pouvait faire des efforts au lieu de jeter sans scrupule son dévolu sur la gent masculine…

    Ce dernier le stoppa net. Cette dernière remarque venait de lui donner des frissons dans le dos. S’intéresser aux femmes lui était aussi odieux que pour son ami l’idée de fricoter avec un moustachu. Puis il déplora qu’elle soit si terrible, la vie des gens de sa condition. À se demander parfois pourquoi Dieu les avait créés ainsi. Peu nombreux étaient ceux qui pouvaient savoir à quel point ils étaient mal considérés. Ils risquaient même la carnade, c’était dire ! Mais pour en revenir à ce qu’il disait, il insista sur le fait que quelqu’un qui soutient son ami au point de sa femme demeurait introuvable. Sauf pour lui, bien entendu, puisque c’était fait. Et puis en définitive, ils étaient à égalité, maintenant… Le convalescent répondit qu’il savait qu’on disait de son épouse qu’elle était laide à faire fuir toute une troupe de Sarrasins, mais qu’il l’aimait telle qu’elle était. Le reste n’avait pas d’importance à ses yeux et il n’en désirerait pas d’autre. Pour un mariage arrangé, c’était même inespéré, insista Foulque. Feu Enguerrand de Meyreuil, son père, avait eu le nez creux finalement !

    — Si tu préfères, j’ai appris à l’aimer. Elle le mérite à n’en pas douter.

    Foulque approuva sur le champ. C’était en réalité un tas de fumier abritant une rose en son sein. Et cela, il reconnaissait que nul ne pouvait le deviner. C’était tout de même malheureux qu’il ait fallu que Guillaume finisse défiguré pour que l’on s’en aperçoive. Et que l’on considère enfin cette pauvre femme à sa juste valeur. Quelle ironie !

    Ce Guillaume demanda alors qui allait gérer ses domaines, dorénavant ? Pour Foulque, cela ne pouvait faire une fois de plus aucun doute, ce ne pouvait être que lui, et qui d’autre, en tout état de cause ? Quel que soit son aspect désormais, il demeurait le seigneur de son fief, et personne d’autre que lui n’était en droit d’en exercer l’administration ni l’autorité. Il répugna alors de devoir le faire avec sa nouvelle tête ! Quand il se voyait comme ça, il lui venait l’envie de faire des choses terribles. Incompatibles avec l’existence d’un bon chrétien, en tous cas !

    — Mais je te rappelle que tu l’as déjà fait, baguenaud⁴ ! J’étais là à ton mariage, t’en souviens-tu ?

    — Coquefedouille⁵ ! Enlève-moi plutôt ce miroir, il me déprime.

    Foulque nota qu’au prix du verre, c’était pitié de l’ouïr s’exprimer ainsi… Mais peut-être disait-il ça parce qu’il l’avait montré la veille à un goupil⁶ et que ce dernier avait rapporté la poule qu’il avait dérobée à un fermier voisin rien que sous le coup de la terreur ?

    — Musardeau du diable⁷ !

    Foulque ricana et insista sur le fait que le nez arraché ainsi qu’une oreille, un œil en moins, jusque-là il fallait le faire, mais bon. Nul ne disait rien. Enfin tout de même, des balafres à faire pâlir d’envie un flagellant tendant à l’exagération, il qualifia sans hésiter son ami d’orfèvre en la matière. Ou au minimum de perfectionniste, c’était le moins que l’on puisse dire. Restait à savoir, d’après Guillaume, si tout ça provenait d’un loup. Foulque ne put se montrer réellement catégorique. Peut-être y en avait-il eu plusieurs. Nul ne les avait vus, sinon on lui aurait porté secours, c’était évident. Ou du moins, on aurait essayé… Quand même ! S’assommer en chassant à la branche d’un arbre, soit. Mais se faire à moitié dévorer le visage par des loups, où s’arrêterait-il, déplora Foulque ? Quelles frayeurs leur réservait-il encore ? Guillaume plaida sa cause et signala que jusqu’ici, il ne pensait pas être oncques⁸ tombé de son donjon dans ses douves. Une simple défaillance, se contenta de conclure son ami. Pourtant, avec son adresse naturelle… Et son donjon, parlons-en ! Il le trouvait bien présomptueux.

    — Le tien est mieux sans doute ? Bon, ma tour carrée, ou ma motte castrale, si tu préfères.

    — C’est plus réaliste, oui, approuva Foulque.

    — Mais je maintiens que la tienne n’est pas mieux.

    Raison de plus d’après son ami pour faire preuve d’une certaine humilité. Dans les deux cas, d’ailleurs. Guillaume supposa que ce n’était pas l’état de sa tour qui le poussait à remettre en cause son adresse naturelle et oncques démentie. Foulque ironisa alors et demanda si c’était son adresse naturelle qui l’avait poussé à attaquer à coup de tête la plus grosse branche d’un chêne centenaire, et ce sans casque ? Donc pour la chute du haut de sa tour, tous les espoirs demeuraient permis, ce n’était peut-être qu’une question de temps. Ceci dit, il lui conseilla de ne pas espérer rester alité trop longtemps. Durant son interminable sommeil, ils avaient dû, son « infecte moitié » et lui…

    — « Mon infecte moitié », je te remercie, c’est agréable. Surtout pour elle.

    — Je me situais uniquement sur le plan du physique, tu sais très bien que j’adore dame Constance.

    — Bon, comme ça, ça va.

    Ils avaient donc dû gérer son domaine, et que le connaissant comme il le connaissait, son ami serait surpris que Guillaume ne trouve rien à redire. En plus, la famine menaçait, et il ne se passerait probablement que très peu de temps avant qu’il soit nécessaire de repartir en de hasardeuses chevauchées contre d’éventuels bandouliers⁹ qui ne manqueraient pas d’écumer la région. Le convalescent nota que d’éventuels hypothétiques qui pourraient à la rigueur, mais ils n’en étaient pas sûrs… En gros, il constatait qu’on ne savait pas grand-chose. Mais que pouvait-on lui dire de plus ? Son entourage n’allait tout de même pas inventer des événements. Ils se trouvaient tous à son chevet, crut bon de lui rappeler Foulque. Et très peu parmi eux possédaient ce talent si convoité qu’est l’ubiquité.

    — Sur ce plan-là, vous me décevrez d’ailleurs toujours.

    — Ben tiens ! Sinon tu penses bien qu’on l’aurait utilisé. Non, mais regardez-le celui-là ! Il roupille, voire en délirant de fièvre, pendant que les autres s’appuient la sale besogne, et à son réveil, il fanfaronne, critique et trouve encore à redire ! Je te rirais bien au nez, si sa vue ne me déprimait pas tant !

    Guillaume s’excusa et reconnut qu’il avait été injuste. Il est vrai que ce n’est pas lui qui avait subi la tension de la perspective de la perte d’un être cher. Foulque l’incita à nuancer ses propos. « Cher », il s’agissait de ne pas se surestimer malgré tout.

    — Buison¹⁰ ! Mais toujours la famine, me disais-tu ?

    Foulque approuva l’air grave. Les pluies torrentielles et continues avaient fini par faire sortir les cours d’eau de leur lit, et provoquer des inondations qui avaient non seulement empêché les labours, mais en plus de fait considérablement perturbé les moissons. Son ami avait-il donc déjà tout oublié ? Quand il ressortirait, il pourrait s’en rendre compte par lui-même : en marchant sur une motte de terre, il aurait l’impression de poser le pied sur une serpillière détrempée. Ça faisait trois ans que ça durait ! À se demander si les écluses célestes finiraient par se refermer un jour. En plus, un moine lui avait dit qu’ils arrivaient en l’an 1033. Au cas où il soit comme son ami et qu’il n’ait pas fait le rapprochement, ce qui ne serait pas étonnant de la part d’un mécréant de son espèce, cela correspondait à la millième année de la mort du Christ… Guillaume reconnut n’y avoir point songé, et il ne savait même pas qu’ils se trouvaient en 1033. Foulque était sûr de l’ignorance de son ami, sur ce point. Lui non plus ne le savait pas, du reste, avant que quelque ecclésiastique alarmiste et apeuré ne l’en informe. Et il semblerait fort que cette crucifixion, si lointaine soit-elle, ce soit à eux de la payer, et même au prix fort, bien que finalement ils n’y soient pour rien. Il mentionna que Dieu avait parfois tendance à faire payer à certains hommes bien au-dessus de leurs moyens. Certains prêtres itinérants et probablement illuminés, appuyés par quelques moines cloîtrés et peut-être avinés, commençaient même à parler de la fin du monde. Enfin, bon, sur ce plan, il fallait garder la tête froide : ils s’effarouchaient naturellement aussi vite qu’un convoi de pucelles en route pour la demeure de leur promis. La fin du monde, ils en voyaient les signes avant-coureurs à tous les coins de rue et depuis si longtemps que ça en devenait presque risible. À tout le moins lassant… Sauf que cette fois, ils avaient l’air plus sérieux que d’habitude. Pourtant, en temps normal, un quelconque phénomène céleste inaccoutumé, un nuage un peu tordu, un animal naissant de forme bizarre, et ça y était, c’était annonciateur de la fin du monde ! Dieu avait-il donc besoin de tels artifices pour démontrer sa toute-puissance et son intention de tout envoyer à cul ? Et qui avait perçu le moindre élément qui puisse laisser croire que les trompettes qu’on leur annonçait dans l’Apocalypse selon saint Jean avaient seulement commencé à retentir ? Sur ce plan, la crédulité humaine commençait franchement à l’indisposer. Guillaume conclut qu’il fallait que son ami soit simple¹¹ ou aveugle pour ne pas s’être rendu compte d’un tel phénomène jusqu’à aujourd’hui. Ce n’était point tant la fin du monde qui était redoutable, que l’acharnement de leurs semblables à en voir continuellement survenir les signes avant-coureurs. Il était certes vrai que ceux qui avaient effectué le calcul avaient certainement raison sur une chose : c’était probablement bel et bien la millième année de la carnade du Christ. Du moins, il le supposait. Mais pour tout le reste… Et quand bien même, était-on vraiment sûrs que ce soit réellement la millième année ? Même s’il est vrai que sur ce point, on puisse faire confiance en l’administration de l’empereur Tibère.

    — Tu ne crois donc pas à ces contes de femelles effarouchées ? demanda Guillaume.

    Foulque reconnut qu’il était certain que tout cela pouvait faire réfléchir. Mais que faire, en tout état de cause ? Puis pour en revenir à la famine, même céans¹² au château, comment se nourrirait-il si les vilains¹³ ne pouvaient plus fournir une part de leur récolte suffisante ? C’était d’ailleurs tout aussi valable pour lui. Guillaume demanda alors si la situation était dramatique à ce point ? Foulque prit alors l’air offusqué et demanda si son ami s’était donc tellement coupé de la réalité ? Il n’osait croire qu’il s’agissait juste d’une conséquence de son accident. Il le somma même de réagir un peu ! La situation était désespérée et il se trouvait peut-être encore en dessous de la réalité. On avait beau dire « quand les riches seront pauvres, les pauvres seront morts », il semblerait qu’aujourd’hui la carnade s’apprêtait à frapper indifféremment les uns comme les autres. C’était la première fois que l’on pouvait apercevoir certains dignitaires ecclésiastiques et même certains gents¹⁴ pâlir d’inanition. C’était plutôt inquiétant, d’après le jeune homme. Guillaume rappela aussi qu’il lui semblait avoir ouï que les Sarrasins avaient débarqué. Foulque, s’il reconnut que son compère n’était pas mal renseigné, l’inclina à la prudence. Ce n’était selon lui que trois fois rien. Une petite troupe, et encore bien réduite. Pas de danger de ce côté-là, donc. C’est sûrement une tempête qui les avait poussés près des côtes. Il se considéra comme heureux néanmoins de constater que son ami prenait bien sa nouvelle condition. S’il commençait à penser à en découdre avec les infidèles, c’est que ça allait. Guillaume démentit immédiatement ! Personne, selon lui, ne pouvait imaginer ce que c’était que de se trouver subitement défiguré, plongé dans l’anormalité au point peut-être d’en perdre même son identité ! Sa personnalité ! Et pourquoi pas son esme¹⁵ ! Quoi de plus terrible en somme ? Que de devenir ce qui chez un autre l’aurait fait peu avant mourir de rire, même s’il s’agissait en l’espèce d’un humour d’un goût particulièrement douteux. Défiguré… Même le terme était déplaisant ! Il allait pourtant devoir s’y faire puisqu’il reflétait désormais sa réalité. Son visage aujourd’hui martyrisé allait, l’air de rien, bouleverser sa vie du tout au tout. Mais tout compte fait, cela aurait pu être pire. Il n’avait pas perdu sa force et pouvait toujours assumer sa mission en guerroyant… Fut-ce en effrayant l’ennemi rien qu’en le regardant en face, en plus. Foulque, esquissant un large sourire, lui suggéra alors de combattre nu-tête ! Mais enfin, il le retrouvait, toujours prêt à la castagne !

    — Baguenaud ! Je n’ai pas perdu l’affection de ma femme qui m’aime toujours, même si plus tard elle finira par me reprocher mon accident. Quelle idée, aussi, d’aller chasser seul ! Et de m’éloigner de ma meute. On ne m’y reprendra plus. Le seul inconvénient réellement gênant de ma condition provient surtout du fait qu’oncques je ne pourrai dire : « bon, maintenant ça suffit, j’en ai marre, j’arrête ». Je ne pourrai m’arrêter qu’avec la carnade, qui sera peut-être pour moi plus que pour tout autre une réelle délivrance. Que j’aille au paradis ou en enfer, maintenant, cela n’a plus vraiment d’importance, puisqu’a priori l’enfer sera désormais pour moi ici-bas. J’en suis prisonnier ! Enfin, je n’ai pas perdu mon statut social, sinon seulement en partie : je peux gérer mon fief d’ici, mais ne peux plus paraître au milieu de mes pairs. Du moins dans l’immédiat.

    — Tu veux dire parmi la noblesse ?

    — Dame ! Parmi les manants, je n’en ai cure !

    — Avec une plume de coq ou de faisan dans le crépion¹⁶, tu ferais sensation, je te le promets.

    Guillaume estima qu’il était facile à son comparse d’ironiser ! Qui pouvait savoir ce que cela représentait que d’être brutalement longé dans l’anormalité, arraché du monde des gens dits « normaux » sans le moindre espoir d’y revenir oncques. Il l’incita à se regarder dans un miroir, faire une grimace, la plus hideuse qu’il connaisse, et se dire : « ce monstre pourrait être moi. Non, c’est moi ». Et il verrait alors que le délit¹⁷ qu’il pourrait en retirer s’évanouirait très vite lorsqu’il s’apercevrait que c’était la réalité qu’il contemplait en fait. Ou du moins lorsqu’il en prendrait conscience s’il lui arrivait malencontreusement la même chose qu’à son ami, ce que ce dernier ne lui souhaitait en aucun cas. En lui volant son visage, il croyait l’avoir déjà dit, c’est son identité, sa personnalité et une partie de son âme qu’on lui avait dérobées. Et quoi de plus ignoble tout bien réfléchi ? Quoi de plus horrible, d’autant qu’il n’avait pas spécialement embelli ? En lui prenant ce simple, arbitraire et subjectif artifice qu’est un faciès, fût-ce le plus banal, il avait tout perdu. Son rang, son individualité, il s’était en fait perdu tout seul. Lorsqu’il croisait sa propre image, il n’y voyait plus qu’un étranger. Quoi de plus terrible que de ne pas se reconnaître en soi-même ?

    Pour tenter de dédramatiser la situation, Foulque lui suggéra d’aller tuer tous les loups du comté, pour se défouler, se venger, enfin exorciser tout ça en somme. Il y avait la possibilité d’une grande hécatombe en perspective. Guillaume, plutôt écœuré, préféra laisser ces pauvres bêtes à leur place. Il ne pouvait pas réellement se venger, le loup ne se mangeait même pas. Fut-il bien assaisonné. Il n’empêchait qu’il se chassait bel et bien, et qu’il ne tenait qu’à lui d’en proférer grand massacre. Là encore, Guillaume lui demanda de ne point insister. Pour l’heure, il n’y aurait aucun goût. Il précisa même qu’il lui faudrait du temps avant qu’il puisse reparaître en société, et ça, par contre, ça l’inquiéterait plutôt. Foulque, une fois encore, temporisa. S’il n’y avait que ça pour le tracasser, il pouvait se rassurer, il n’avait pas à s’en faire. Son comparse était prêt à s’occuper personnellement du premier qui aurait l’outrecuidance d’exprimer la moindre remarque désobligeante. Et peu de temps se passerait avant que l’indélicat n’ironise sans la tête. Ou du moins sans les dents. Ou encore qu’il ne bascule de vie à trépas. Et tous le reconnaissaient : il n’était pas le pire dès lors qu’il s’agissait de manier l’épée. Puis il demanda à son comparse si ses cicatrices lui faisaient mal.

    — Seulement quand je rigole.

    — Bon. Alors je vais essayer d’être le plus sinistre possible.

    Guillaume reconnut que la lame de son ami était plus fine et redoutable encore que son esprit torturé et malade ou son verbe ravageur, mais qu’il aimerait malgré tout pouvoir éviter les effusions de sang. Sans parler de la possibilité de tomber sur plus fort que lui. Même si Foulque pensait qu’à son humble avis, ça n’existait pas, il admit qu’il valait mieux ne pas prendre de risque inconsidéré ni tenter le diable. Le convalescent, en définitive, reconnut que tout n’allait pas si mal finalement. Il aurait pu y laisser mon esme, mais de ce côté-là, tout semblait à peu près en ordre. Non sans effort de sa part, il devait bien le reconnaître. Et aussi en apparence. Seul l’avenir pourrait leur dire de quoi il en retournait exactement. Et s’il était judicieux de l’enfermer dans un cul de basse-fosse pour le bien-être de son entourage proche. Foulque demanda alors s’il avait oncques eu toute son esme. Il y avait très longtemps, peut-être ? Il se le demandait parfois… Et il conclut que Guillaume n’était finalement pas à plaindre ! Il aurait pu perdre l’affection aussi, alors que sa femme l’aimait toujours. Tant il est vrai qu’elle n’était pas dégoûtée cette pauvre dame Constance. Si c’était lui à sa place, les choses seraient allées différemment !

    — Tu courrais déjà la campagne à la recherche d’une nouvelle âme sœur, hein, vieux saligaud ? Mais elle, c’est une sainte.

    — Sans aller jusque-là, il fallait qu’elle soit drôlement éprise. C’est plus que du sacrifice, c’est carrément de l’abnégation, à ce niveau. Et ce en toute discrétion, sans le montrer outre mesure, pourtant.

    Guillaume prétendit que c’était là la subtilité, mais que son ami était bien trop rustre pour s’en rendre compte. Foulque rit, et lui demanda si celui-ci se prenait pour un modèle de raffinement. Guillaume répondit que même parmi la fine fleur de leur estimée aristocratie, il ne pensait pas qu’il s’en trouve moult qui puissent se vanter d’être autre chose que des lourdauds sans finesse, guère plus sophistiqués que les manants de base. À peine un peu plus dégrossis. D’où d’ailleurs sa crainte de reparaître parmi eux. Pour le rassurer, Foulque fit aussi remarquer que des difformes, borgnes, boiteux, goitreux, bancals, estropiés et tordus, il y en avait partout, tout le temps, dans tous les milieux et en toutes circonstances. Alors pourquoi pas un défiguré ? Les accidents de la vie étaient si nombreux ! Et tout le monde s’en accommodait fort bien. Comment faire autrement, quoi qu’il en soit ? On ne les voyait même plus ! Ils finissaient par appartenir au quotidien. On en venait même jusqu’à oublier leur différence.

    — Ne te sens même pas original, désolé de te départir¹⁸ de cette dernière lueur d’espoir. Et puis c’est quand même mieux que d’attraper la lèpre. Qui t’aurait non seulement mis au banc de la société, amené l’excommunication, défiguré, mais amoindri physiquement, en plus, sans vouloir verser dans un « optimisme délirant ».

    Guillaume sourit et

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