Le Camp de l'Éternel: Récits de retraites en monastères de montagne
Par Régis Roux
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Régis Roux est né à Grenoble. Il est Professeur de Lettres à Romans (Drôme.) Marié, il a quatre enfants. Poète, il a publié de nombreux recueils. Il a aussi beaucoup travaillé avec des peintres et graveurs autour de livres d'artiste. D'un tempérament enthousiaste, il est très attaché à la nature, aux montagnes, au grand plateau des Chambarans et à la rivière Galaure près de laquelle il vit.
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Aperçu du livre
Le Camp de l'Éternel - Régis Roux
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Recueils de poèmes
De Le Sud des collines (1996) à La Fin murmurée des collines (2021) : 15 recueils aux éditions Encres vives marquant chaque étape du parcours poétique.
Questions posées au paysage, Prix de Poésie de la ville d’Angers, Le Dé bleu, 1998.
Le Chemin des pays fossiles, Atelier du Hanneton, 2000.
Noces de l’abandon, l’Harmattan, 2000.
L’Ombre du territoire, Le Verbe et l’empreinte, 2000.
Le Grand Testament, Bibliothèque des Charbinières, 2001.
Le Rêve absent d’une marée, Océanes, 2002.
La Terre lointaine, L’Harmattan, 2013.
Mélusine, Varia poética, 2019.
Du soir aux Mont du matin, La Baraque de Chantier, 2020.
Printemps masqué suivi de Tombeau d’un arbre, 2020.
Nouvelles
Le Pot du loup, Abymes, 2005.
Livres d’artiste
Un éclat de rivage, avec Marc Pessin, 2014.
Corps de jasmin, avec Hakim Beddar, 2014.
Du fer oxyde une source, avec Gladys Brégeon, 2016.
La Carte profonde, avec Yukako Matsui, 2017.
À travers l’ombre, avec Marie de Rocca Serra, 2017.
Le Cœur de la rivière, avec Yannick Charon, 2017.
Eto, avec Yukako Matsui, 2018.
Nid bleu des galets, avec Véronique Nezan, 2019.
La Poésie Mélusine, avec Nelly Sanchez, 2020.
Petite suite au-delà de nous, avec Nadia Akrémi, 2022.
En 2020, pendant le confinement : collaboration avec des artistes autour de la figure de l’amabie.
Dédicace
À la mémoire de sœur Cécile-Marie
de la Sainte-Face
au sourire radieux,
comme si elle n’avait pas déjà répondu
à toutes les questions posées dans ce livre.
Citation
« Efforce-toi d’atteindre le bien, mais commence par mesurer tes forces. Cherche à savoir ce qui est utile pour ton âme. L’un y parvient en priant davantage, l’autre en lisant ou écrivant. Tout ceci est nécessaire, mais il est préférable à l’âme de prier sans distraction, et plus précieuses encore sont les larmes. Chacun s’adonne à la grâce que Dieu lui donne. »
Silouane l’Athonite
Avertissement
du frère Gabriel
Je suis le frère Gabriel, dominicain au couvent de Toulouse et je voudrais dire quelques mots à propos de ce Journal tenu par mon père, le poète Emmanuel Séconde.
Je ne suis pas sûr qu’il eût voulu le publier. Il devait craindre de passer pour un doux illuminé aux yeux de son lectorat, lequel était majoritairement composé d’esprits étrangers à la foi, de vagues déistes ou d’athées convaincus. Papa me parlait parfois de ses états d’âme, car s’il était beaucoup apprécié pour ses poèmes sur les traces en tous genres, les paysages de mémoire, les fossiles, les menhirs, les dolmens, les couches de terrains, les vieux manuscrits, les vieilles machines à écrire, les minéraux et les collections d’insectes, il en avait un peu assez de n’écrire que sur la matière, de ne pas composer des psaumes, des « dialogues spirituels », précisait-il. Pourtant, ses premiers livres s’intitulaient Les Signes du royaume et Questions posées au paysage. Je crois que déjà il avait cherché le Père, loué la beauté de sa création. Quand arriva le temps du Journal, ce fut celui d’une parole adressée directement à Dieu.
Voici quelques années, papa nous a quittés. Je pense qu’aujourd’hui est venu le moment de publier son texte même si, à mon avis, papa ne l’aurait d’abord composé que pour lui face à l’amour du Très-Haut, un peu dans la tradition des auteurs chartreux restés volontairement anonymes.
C’était un homme enthousiaste. Le Camp de l’Éternel se lit comme un récit d’expériences intérieures, une recherche passionnée, un élan vers la Parole et la présence de Dieu au Désert, un enchaînement d’aventures vécues à travers les paysages profonds des monastères et de la nature qui les entoure. C’est l’hommage d’un rêveur à la création totale, et en particulier à un lieu très personnel. Papa rapporte ce qu’il vit dans des monastères à un moment où sa vie est traversée par des épreuves assez pénibles. Dieu est aussi en nous. Le lieu très personnel est celui de notre maison de famille et quand papa écrit, ce bien est mis en vente. Il s’agit bien d’un autre Désert. Le deuil a commencé. En relisant le Journal, je me suis dit que cet espace des Écornets se présentait comme un ermitage, une cellule.
Papa observe, célèbre ce qui est beau, secret, troublant pour lui et il raconte, il décrit, n’hésitant jamais à dire ses douleurs, ses doutes, surtout sa gêne face à cette Mélanie qui lui semblait perdue sur le plan spirituel mais qui souriait toujours. Moi je crois qu’elle lui aura permis de s’affirmer. C’était une amie chère – en dépit de ce qu’il en dit parfois – semblable à une fleur d’un Désert dont il ne connaîtrait jamais l’intimité, m’avoua-t-il un jour. C’était une artiste avec laquelle il collaborait beaucoup.
Par ailleurs, papa exprime ses sentiments amoureux car c’est lors d’une retraite qu’il rencontre Sara. Et puis, des questions il s’en pose sans arrêt. J’ai dit qu’il s’adressait à Dieu mais Dieu, qui le connaît ? On sait plutôt ce qu’il n’est pas ; aussi papa n’en finit-il pas de s’interroger. Faut-il s’étonner qu’il ait tant scruté la matière inerte, les traces en écrivant des poèmes ? Il disait qu’il contemplait l’inanimé venant de Dieu et qui révélerait le fond de son âme.
Il parle d’un Camp où règne la joie. Il cherche un Camp où l’esprit se réfugie. Parfois l’agacement le dépasse et alors il n’est pas loin de juger, de condamner, mais cela ne dure pas. Le regret arrive assez vite. Il fait avec son tempérament.
Au niveau du dogme catholique, certes papa exprime une position que moi, en tant que prêtre, je ne partage pas toujours – sacrements de communion, de confession, entre autres – mais quoi ? Lui et moi n’avons pas été appelés aux mêmes œuvres. Il est certain que moi qui suis pleinement dans l’Église, je pourrais lui reprocher la pratique d’une foi séduite par l’imagination avec le plaisir des sens, la mémoire et des pulsions pas toujours contrôlées ; mais comment ne pas reconnaître que le sentiment poétique est son charisme ? Pour moi, l’amour du Christ – une certaine façon de communier – reste incontournable, et il n’y aurait pas loin à penser que papa était possédé par quelque chose de trouble. Seulement, je le redis, la louange est là comme une couleur témoignant de la vérité. Comment être en fête avec Dieu ? Je crois que papa, dans son journal, pose et repose toujours cette question sans qu’il ait besoin d’y répondre. Tout est dans l’instant lui-même, dans la grâce reçue, dans le sourire de Dieu dont il parle d’ailleurs à un moment.
Le manuscrit est écrit au crayon de papier. Toutes les cinq ou six feuilles on trouve des photos. Parfois on tombe sur un dessin original de Mélanie. Une page après l’autre, papa décrit des lieux, des paysages. Il évoque des silhouettes, il rapporte des épisodes qui l’ont marqué. Il aimait les couleurs et les formes qui lui parlaient d’une musique intérieure très personnelle. Sa perception des mots était vraiment spéciale. Il prétendait les voir se matérialiser devant lui.
Quand il est décédé, papa vivait avec Sara qui était protestante. Il l’adorait, l’appelait la Merveilleuse et répétait souvent qu’elle lui avait sauvé la dernière partie de sa vie. Je le confirme : jusqu’à sa disparition, papa ne fut jamais aussi heureux, épanoui. Cependant, il faisait un cauchemar de façon récurrente dans lequel il ressentait une souffrance atroce à la langue et au palais, sans pouvoir parler ni embrasser la femme qui était devant lui et souriait en lui jouant un air triste au violon. Ce n’était pas Sara.
Je vois Sara de temps à autre et nous parlons de papa, de la Vierge Marie, des rites et des sacrements, même si, on s’en doute, nous avons des vues bien différentes. C’est elle qui m’a confié le manuscrit du Camp de l’Éternel. Il est donc publié avec son accord. Pour ma part, j’y vois un signe du Seigneur, un geste de miséricorde.
Journal
d’Emmanuel Séconde
Monastère Notre-Dame-de-Chalais
Massif de la Chartreuse
Premier séjour
5 avril
13 heures.
J’ai quitté mon quotidien. J’arrive ici pour être au plus près du Seigneur, du Désert. La qualité d’accueil des sœurs dominicaines est légendaire. Avec la contemplation, c’est leur charisme, alors je suis venu, en toute confiance. Je suis aussi venu pour prendre un peu de recul, pour écrire quelques psaumes et, je l’espère, pour vivre de belles randonnées. À ce sujet, Marie-Dominique, la sœur hôtelière qui me reçoit, fronce un peu les sourcils quand je lui parle de marcher en montagne. Elle m’avertit qu’en ce moment de dangereux éboulements se produisent. Des blocs se détachent des falaises à cause des écarts de température. La semaine dernière, dans un versant très raide de la forêt, un arbre énorme est tombé dans un couloir et l’a dévalé, passant juste devant un groupe de randonneurs. Du monastère on a entendu une grosse détonation. La sœur hausse les épaules. « Mais pas de souci, tout le monde est rentré en un seul morceau ! C’est un peu comme ce que fait Dieu. » Elle ajoute : « Ce qui est sans risque, ce sont nos biscuits ! Il en tombe du ciel pour le plus grand bonheur des gourmands. » Cette sœur a de l’humour, je la trouve bien bavarde et originale, et voici ce qu’elle me rapporte : « L’été dernier, en contrebas du même sentier mais plus près du monastère, figurez-vous que l’on découvre une valise ouverte avec pas mal de choses qui en sortaient, ça faisait une belle traînée dans la pente… peut-être l’objet d’un vol… On aurait pu aussi pousser son propriétaire, alors vous voyez, cher Monsieur, à Chalais, les retraitants ressemblent à ce type de voyageurs… On laisse ses bagages, on laisse tout de soi-même, on confie son âme au Seigneur. Enfin, rassurez-vous : de Chalais, on peut toujours repartir avec nos bons biscuits ! »
Amusant et à méditer mais je la rassure : je ne suis venu ici ni pour m’empiffrer ni pour mourir en montagne mais pour prier, pour écrire quelques psaumes et pour faire de belles photos.
J’annonce que je suivrai les offices. Cependant, pour la Messe, je tais que je ne communierai pas au corps et au sang du Christ. Si je suis divorcé, cela regarde d’abord le Seigneur et moi. Cela me gêne d’en parler à un prêtre, à un homme pendant la confession même si celui-ci a été consacré. La sœur a l’air de s’intéresser à l’écriture. Elle a un autre petit sourire, avec l’air de quelqu’un habitué à ménager des sensibilités. « Des psaumes ? Vous avez envie d’en réécrire, de vous en inspirer, un peu comme l’a fait Paul Claudel ? Vous savez, à Chalais nous accueillons parfois des auteurs, des retraitants pas forcément chrétiens ou même croyants. Ils ont besoin de calme pour écrire. Ils sont en recherche spirituelle. Dieu nous attend, toujours. Parfois ce sont des orthodoxes, des protestants qui viennent se reposer. » Bien… Alors je lui ferai lire quelques poèmes. Je lui montrerai des photos en expliquant ce que j’espère obtenir. J’ajoute : « Figurez-vous que j’arrive le jour de mon anniversaire. Est-ce un bon signe ? »
Je parle aussi de mon fils Gabriel qui, un an auparavant, a prononcé ses premiers vœux dans le même ordre des Dominicains. Alors le visage de Marie-Dominique s’illumine.
« C’est une grâce ! »
« J’aurais aimé t’accompagner » me dit la blonde Mélanie dans un SMS. Mélanie peint, dessine avec talent. Elle est mariée, mère de jumeaux adolescents. Elle n’est pas ma maîtresse. Ça fait beaucoup de « m ». Entre elle et moi c’est orageux même si elle a toujours le sourire, et que cela me désarme. Des fois je l’appelle Mademoiselle M. Au SMS j’ai envie de répondre : « Fais d’abord le ménage dans tes mondanités. » Heureusement je me retiens. Pourquoi se montrer cruel, injuste ? Et puis je ne suis pas amoureux d’elle. Je ne sais pas trop à quoi elle joue. Elle ne m’a jamais fait d’avances. Parce que je suis libre, espère-t-elle qu’un jour ?… Je crois que non. Quelle comédie ! Certes, j’ai comme de l’affection pour elle, mais ce n’est qu’une amie chère. Il y a surtout de l’art entre nous, des sensibilités très proches, et puis un grand mystère dont le Seigneur, sans doute, connaît la raison. Un chemin a souvent besoin d’orages, d’éclairs pour avoir de singuliers repères de lumière.
Son SMS est accompagné d’une photo. De face, Mélanie sourit de plus belle, déguisée en fée ou en sorcière, je ne sais pas trop, les mains posées sur les épaules de deux hommes – des artistes – venus à son dernier vernissage. Eux sont habillés négligemment, les cheveux longs, avec un air absent.
Mélanie, me suivre en retraite religieuse ? J’ai peur que spirituellement sa recherche ne soit entachée d’ombres. Comment me faire bien comprendre ? Cette Mademoiselle M. est d’abord une collaboratrice avec laquelle je travaille depuis quelques années. J’écris des poèmes. Elle dessine. Elle n’hésite jamais à poser à moitié nue sur les affiches annonçant ses expositions, ses performances. Je lui ai bien donné une Bible, qu’elle n’ouvre pas. Alors elle me provoque ? J’ai bien essayé de la faire assister à des offices. Absente au rendez-vous. Quand je lui parle un peu de Dieu elle paraît n’en saisir qu’une vague entité habitant la nature, et elle rit sous cape. Alors la révélation du Christ, la résurrection ? Pas de réponse. Ah, Mélanie, tu m’exaspères ! Tu es bien gentille mais que cherches-tu ? Je peux être impulsif. Je ferme les yeux un instant, pour me calmer. Mélanie, je te laisse avec le Seigneur qui doit bien savoir comment te parler.
Donc je réponds à son SMS : « je t’écrirai » puis j’éteins mon portable.
Je me souviens de son dernier dessin représentant un « roi » perché sur une boule noire piquetée d’« étoiles ». Je mets ces mots entre guillemets car ils sont de Mélanie, je veux dire qu’elle explique alors que ce roi serait celui de l’Univers visible et invisible, et qu’il règne sur tout. Fort bien, mais je trouve cet ensemble assez triste. Un Dieu pour elle ? Plutôt un Dieu vengeur. Apparemment, Mélanie ne cherche qu’à se révolter.
C’était il y a trois jours. Je donne alors un titre au dessin – Silence – puis j’écris :
L’empreinte aux étoiles
Et son roi muet
Ne voient pas la fête
Seul le silence accorde à l’image
Un équilibre habité par l’Esprit
Maintenant, j’ai un peu honte. Alors je serais venu à Chalais pour me comporter en grognon, en juge égoïste ? Allons, il faut que je m’attendrisse un peu… allez, rien qu’un peu…
Je me souviens d’une autre œuvre, plus ancienne. À l’époque, j’avais réagi différemment. J’avais accepté la beauté de cette peinture comme un hommage au corps, à la vie, aux questions existentielles que l’on se pose naturellement. C’était une peinture à l’huile – l’une des rares, Mélanie ayant surtout produit des dessins comme si, me semble-t-il, elle tentait d’ébaucher des visions au crayon plutôt que de les mettre au grand jour – une peinture où l’on voyait une belle femme plantureuse penchée en arrière, complètement nue et tenant un crâne dans la main droite. Le visage – souriant – était bien celui de Mélanie. Quant à la généreuse poitrine et aux hanches, au ventre, je voulais bien croire que c’était la même chose, même si je ne les avais jamais vus, n’étant pas intime avec l’artiste, je l’ai dit. Ce corps était très blanc mais autour du front, un bandeau était là, bleu et qui donnait de l’intensité au regard détendu et direct ; car du bleu venait aussi des orbites creuses, en face. Qu’est-ce qui passait du crâne au visage ? Je trouvais que les formes du corps provoquaient ce crâne, que la Vanité se trouvait dans le livre de l’Ecclésiaste, que l’apparition du bleu dévoilait, au fond, une espèce d’appel, de désespoir.
Quand j’avais essayé de le dire à Mélanie, elle avait montré son plus beau sourire mais n’avait rien répondu. Cela avait éveillé en moi du regret, de la honte. Aurais-je voulu reprocher à Mélanie sa vocation que je ne m’y serais pas mieux pris. Qui étais-je pour voir cette œuvre avec des yeux de poète inquisiteur ? Ensuite, j’avais simplement continué à être présent avec des mots accompagnant ses dessins le mieux possible.
Après complies, 22 h 30.
J’avais décidé de n’écrire que des psaumes et me voici d’abord devant un journal. Je voulais saisir par des vers ce qui me touche… une rencontre, une idée, une image en appelant une autre, un prénom, peut-être celui de Mélanie revenant avec celui de la sœur hôtelière. Je sens qu’il faut que je raconte, que je décrive. On verra bien quels mots arrivent.
Je m’assieds à la petite table et j’écris en me sentant libre, là, devant la fenêtre ouverte sur les falaises et la crête. Au premier plan se trouve un petit champ assez pentu. Il est limité par ce qui ressemble au reste d’un mur délimitant des parcelles de solitude. C’est-à-dire que les chambres d’aujourd’hui sont construites sur les anciennes fondations des ermitages des chartreux. Je me sens bien.
Il n’y a plus qu’à méditer, qu’à écrire, qu’à entreprendre un voyage intérieur. J’avouerai que pénétrer d’un coup dans cette chambre, dans cette « cellule » en solitude et en silence m’a d’abord saisi. Je me suis retrouvé accaparé par des pensées, des impressions inattendues, même des gestes un peu comme si je voulais fuir, comme si la vérité du Seigneur était là et me bousculait. Je me suis dit : « Tiens, j’ai des gestes, des pensées qui sont des tics nerveux. Silence, mon corps, silence ! » J’ai prié, et puis maintenant je suis bien à ma place, tranquille, rassuré, avec l’écriture qui pour moi est une forme de prière.
Voici l’office des complies, la prière du soir. La paix qu’elle dégage est profonde. À la fin se chante l’angélus. Les sœurs se dirigent alors vers la statue de Notre-Dame qui se trouve dans une petite chapelle, à la droite du chœur. Salutation d’une grande simplicité. Un vide éblouissant se creuse en moi. J’aime la mélodie. Je me laisse emporter par la montagne en paix, les silhouettes. J’éprouve le sentiment que ma présence elle-même s’est mise au service d’un décor secret, profond, plein de joie.
Maintenant il fait nuit. Je laisse la fenêtre ouverte sur les parois d’encre noire. L’infini s’y précipite.
Mélanie, pourquoi fuis-tu dans des dessins qui te montrent nue avec une auréole ? Je médite, je réfléchis.
Seigneur, Je suis venu avec mon histoire, peut-être sans grâce en poésie, je ne sais pas, c’est toi qui en décideras, mais je ne crains plus la solitude. Je suis prêt à devenir l’ombre qui te permettra de m’arracher à tout ce que je peux regretter ; mais Seigneur, comment ne pas me sentir coupable de l’appel pour la vie religieuse que mon fils a entendu ? Seigneur, dis-moi ce qui m’arrive.
23 heures.
J’ai peut-être un caractère joyeux mais je suis aussi venu jusqu’ici pour avouer, dans le secret, que je souffre. Papa est mort il y a quelques années mais pour moi c’est toujours difficile. Maman est démente, en Ehpad. Je me sens seul. J’ajouterai que j’ai subi une opération du cœur voici un peu plus d’un an et demi. Ce fut une épreuve assez pénible, et j’ai eu peur. Aujourd’hui je vais très bien mais quand j’écoute attentivement la valve artificielle ponctuer je ne sais quoi dans le silence, j’avoue que cela finit par m’angoisser.
Seigneur, tu es si grand, viens à mon aide ! Je voudrais que ma foi ne soit pas déjà sclérosée, repliée sur ma vie craignant ceci ou cela.
6 avril
6 heures.
Je n’ai plus mal au dos ce matin. Voilà qui est surprenant puisque depuis dix jours la douleur ne me lâchait pas.
Que s’est-il passé ? Je me couche et vers les trois heures la douleur me réveille. Je lis un peu. Je suis alors très impressionné par cet extrait des Mémoires d’une âme de sainte Thérèse de Lisieux. Donc je lis, et puis j’essaie de me rendormir ; je me rendors… mais au réveil, plus aucune douleur !
Est-ce un miracle ? « Essaie de voir ce que Dieu cherche à te dire », m’a suggéré un jour Gabriel à propos d’une soudaine amélioration de tendinite. Eh bien pour le dos, je ne sais pas. La réponse concernerait-elle la marche ? Est-ce qu’au fond je ne me dirigerais pas vers quelque Désert, je veux dire en montagne et en moi-même ? D’ailleurs, à cet instant, que suis-je en train de faire, assis devant ce paysage, à écrire pour demander un itinéraire, me semble-t-il ? Que de questions, je le sais bien, mon âme… Il se pourrait bien que les réponses ne soient que dans les impressions d’un rêveur. Je le dis en toute lucidité.
8 heures.
À 6 h 30, l’office des lectures me fait presque honte. Ô la prière des sœurs brillant de toute la profondeur de la voie lactée ! Qui suis-je en comparaison, moi le poète à la petite mine de plomb, aux feuilles de papier qui vibrent si peu ?
Stupéfiant office des lectures ! Insondable et brûlant canal ! Les religieuses arrivent l’une après l’autre. Le silence dure un long moment pendant lequel je sens une hauteur se poser en moi. Je n’entends plus mon cœur. Plus de valve artificielle. L’homme, la matière, tout vient de disparaître. Je suis devenu l’office des lectures, et je suis de partout.
Petit déjeuner pris librement dans une tranche horaire. Dans cette maison dominicaine il est permis, comme à midi, de parler entre retraitants. À midi, on attend tout le monde, puis on fait le signe de croix. La sœur hôtelière lit alors une prière, nous souhaite bon appétit et le repas peut commencer dans cette bonne humeur respectueuse qui est un peu le sceau de Notre-Dame-de-Chalais.
Ce matin un nouvel homme, un homme vraiment nouveau est là – bien sûr je le dis avec humour mais sans faire allusion à notre Seigneur Jésus-Christ – un frère dominicain très bavard, ce doit être un sacré lève-tôt pour parler au point d’en oublier de manger sa tartine – un ouragan passionné même si la voix reste calme et n’est souvent qu’un chuchotement, quelque chose de presque inaudible. Il est intarissable et très gentil, très calme, ce religieux. Il est souriant, tendu vers une source qui peut traverser toute montagne de fer. Il parle encore et encore en touillant son café, il jette à pleines poignées des étincelles dans chaque mot, dans chaque phrase. Il a conscience de l’or, des diamants, des mille rubis qui font scintiller ce qu’il évoque et son visage, son bon gros visage de personnage enveloppé répète lui aussi : « Regardez ! Mais regardez donc ! » Nous sommes là, quelques-uns, sans réaction, emportés par le spectacle. L’homme parle en se penchant vers nous comme pour bien occuper le seuil d’un royaume en fête et nous y inviter.
Et le voilà parti à l’aventure dans une description détaillée de son abbaye, celle du Boscodon. Le BOS CO DON ! lance-t-il en détachant les syllabes. BOS CO DON ! L’envol que ce mot peut avoir dans sa bouche est extraordinaire. On prend une pierre en pleine figure. Ah !… le Boscodon ! Fait-il encore presque en tremblant.
Le Boscodon ? C’est surtout l’écho de ce
