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L'incroyable destin d'Aubeline de Lambersac
L'incroyable destin d'Aubeline de Lambersac
L'incroyable destin d'Aubeline de Lambersac
Livre électronique442 pages4 heures

L'incroyable destin d'Aubeline de Lambersac

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À propos de ce livre électronique

Aubeline est la petite fille du marquis De Lambersac.Si après les événements de 1789, les campagnes conservent une relative tranquillité, la famine de 1792 incite bon nombre de paysans à prendre les armes contre leurs anciens maîtres. Les De Lambersac ne font pas exception.
Lorsque les « Républicains » investissent le château de Saint-Crépin pour tout piller, le vieux marquis De Lambersac meurt, foudroyé par une crise cardiaque. Il laisse Aubeline sans protection et la contraint à l’exil.
Cette Révolution, qui a bouleversé l’ordre établi, oblige la jeune femme à s’adapter et à se fondre dans la masse. Elle doit apprendre à survivre dans ce monde ravagé par la famine, les maladies, les dénonciations... La Terreur.

Bien que ce roman se déroule durant l’une des périodes les plus terribles de l’Histoire de France, l’auteure nous régale en sublimant les relations humaines. Servi par une écriture limpide et fluide, ce texte nous emporte comme les lacis d’un torrent, tortueux et espiègle. Ces épreuves qui jalonnent le quotidien de l’héroïne vont contribuer à forger le caractère impétueux, mais rationnel, d’Aubeline De Lambersac.

À PROPOS DE L'AUTRICE  

Agrégée de Lettres et enseignante, à la retraite, Jacquie Béal se consacre désormais à l’écriture. Elle vit en Périgord et l’action de ses romans se déroule en Nouvelle Aquitaine : Actuellement, trois livres sont édités chez Terres de l’Ouest au format poche. "L’incroyable Destin d’Aubeline De Lambersac" est son dernier roman publié.

"La dame d’Aquitaine", 2024, poche TDW.

"De sang et d’encre", 2024, poche TDW.

"Le temps de l’insoumise", 2024, TDW.
LangueFrançais
ÉditeurTerres de l'Ouest
Date de sortie8 févr. 2025
ISBN9782494231856
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    Aperçu du livre

    L'incroyable destin d'Aubeline de Lambersac - Jacquie Béal

    Jacquie Béal

    ----------

    L’incroyable destin d’Aubeline de Lambersac

    Roman

    -----------------------------------------

    ISBN Papier : 978-2-494231-84-9

    ISBN numérique : 978-2-494231-85-6

    Tous droits réservés © Terres de l’Ouest éditions

    292 rue des Artisans à Seignosse (40510) – Zone de Larrigan

    Site internet : www.terresdelouest-editions.fr

    Crédits photographiques :

    Réalisation de la couverture Terres de l’Ouest à partir d’un crédit adobe stock :

    Attractive man in a suit walking through the city, refined style, gentlemanly poise, confident. stylish urban man in raincoat suit jacket. Japan Tokyo Street Fashion, snapshot, ig photo, polaroid style The simplicity and sophistication of the elegance of Baroque clothing. Captivating Elegance and Opulence: A Visual Journey into the Exquisite 19th Century Victorian Fashion © Par Alla.

    Partie 1

    PÉRIGUEUX

    22 septembre 1792 — 23 décembre 1793

    1er vendémiaire An I _ 3 nivôse An II

    .1.

    22 septembre 1792

    1er vendémiaire An I

    de la République

    Léonie se lamentait, et plus elle se lamentait, plus mon grand-père fulminait.

    — Cesse de geindre ! À force de te plaindre, tu vas attirer le malheur sur cette maison !

    — Sûr qu’il va y avoir un malheur ! Tous les signes l’annoncent ! J’ai entendu le coucou chanter juste au moment où je me levais, alors que j’avais encore rien mangé, et cette pauvre sotte de Toinette a placé la boîte à sel du mauvais côté de la cheminée ! Je lui ai pourtant bien expliqué qu’il faut faire attention et toujours la reposer au même endroit !

    — Ce monde va mal Léonie, on le sait bien. Crois-moi, ce n’est pas la place d’une boîte à sel qui va y changer quelque chose !

    — Si encore on pouvait clouer du buis béni sur la porte comme avant ! Mais depuis que notre pauvre curé doit vivre comme un renégat, on peut plus lui demander de chasser le mauvais sort de nos maisons.

    — Le mauvais sort n’a rien à voir avec tes croyances d’un autre âge. Le malheur vient de la folie des hommes, pas de la magie des sorciers !

    — Je veux pas vous contredire, notre maître, mais le chant du coucou, lui, il trompe jamais. C’est prouvé que le malheur frappe si on l’entend au sortir du sommeil, quand on a le ventre vide !

    — Il avait chanté ton coucou quand ils ont pris la Bastille ?

    — La Bastille ?

    — Oui, la Bastille ! Et quand ils ont arrêté notre bon roi et toute sa famille, tu l’avais entendu chanter, ton coucou ?

    — J’ai pas fait attention.

    — Quel plus grand malheur pourrait nous arriver ? Quand un peuple lève la main sur son roi et l’emprisonne avec ses enfants, c’est que le monde est devenu fou.

    — Je sais pas, moi. Ce que je sais, c’est que votre Bastille, elle est aux cinq cents diables de Saint-Crépin.

    — Paris se trouve bien loin du Périgord, c’est vrai, mais les nouvelles vont vite et celles qui nous parviennent m’inquiètent plus que les piaulements de ton coucou !

    — C’est pas pour vous causer du dépit que je dis ça, mais avant qu’ils la prennent cette Bastille, je savais même pas qu’elle existait. Pour le roi et sa famille, c’est bien triste ce qui s’est passé, surtout pour les pauvres petiots, mais c’est pas des affaires de si loin que le coucou annonce.

    — Ah non ?

    — Non. Ce qu’il devine avant tout le monde, cet oiseau de malheur, c’est quand la mauvaiseté va s’abattre là où il vit, il le sent et il chante pour nous avertir.

    — Trop aimable !

    — Riez pas de ça, notre maître. Il faut jamais se gausser des présages parce que la misère, elle attend son heure pour se faufiler et tomber sur le brave monde. Quand on rit d’elle, elle se venge !

    — Eh bien, qu’elle se venge ! Je ne vois pas ce qui pourrait nous arriver de pire. Depuis 1789, tout va de travers. Nous vivons comme des reclus derrière nos murs. Le moindre bruit nous fait sursauter, nos bas ont été raccommodés cent fois et nous devons nous contenter du peu que nos paysans veulent bien nous laisser !

    — Il y a toujours à perdre, notre maître, vous le savez bien !

    — Ce qui est sûr, c’est que je vais perdre patience si tu ne cesses pas de gémir. A pleurnicher comme tu le fais du soir au matin, tu vas finir par nous rendre la vie plus impossible encore.

    — Les signes, ils trompent jamais. La dernière fois qu'on l'a entendu chanter de si bonne heure, la fièvre a emporté la moitié du village ! Vous vous en souvenez pas ?

    — La maladie frappe souvent ici, parce qu'on vit au milieu des étangs et des marécages, tu en as bien conscience, Léonie. Les coucous peuvent répéter leur cri autant qu’ils veulent et les boîtes à sel peuvent sauter de gauche à droite, ce n’est pas à cause d’eux que les épreuves se succèdent. C’est à cause de la malveillance et de la fureur des hommes !

    — N’empêche, notre maître, vous devriez pas garder la Toinette, elle vaut rien comme servante. C’est pourtant pas bien difficile de replacer le sel au bon endroit sur la cheminée ! J’en ai jeté quelques pincées par-dessus mon épaule pour chasser le mauvais sort, mais je sais pas si ça va être assez parce que la boîte à sel est restée du mauvais côté toute cette nuit...

    — Quelle histoire ! Plus rien ne va autour de nous et tu te lamentes à cause d’une servante étourdie et d’une salière !

    — La salière mal rangée, c’est du malheur sur la maison !

    — Que pourrait-il arriver de pire ? Nous n’avons plus rien.

    Mon grand-père ne l’aurait pas admis ouvertement, mais si nous n’avions plus rien, c’était parce qu’il s’était ruiné pour payer les frasques de mon oncle, Armand de Lambersac, le frère cadet de mon père.

    — Tu dois comprendre, Aubeline, Armand est le seul fils que Dieu m’a laissé. Pour tenir sa place à Versailles, il lui fallait de l’argent.

    De l’argent ! Mon oncle en réclamait dans chacun de ses courriers. Il lui en fallait pour tout, pour payer son tailleur, ses dettes de jeu, un équipement complet afin de suivre l’exemple du marquis de La Fayette1 et partir se battre en Amérique ! Y était-il allé ? Nous n’avions plus de nouvelles depuis longtemps. De l’eau avait coulé sous les ponts, le roi était emprisonné, La Fayette avait dû émigrer. Tous deux avaient été puissants et respectés, mais ils n’étaient plus que des objets de répulsion. Après les avoir adulés, le peuple les avait en horreur. Armand de Lambersac avait-il suivi ses maîtres dans la disgrâce ? Rien n’était moins sûr. De nature infidèle, il avait dû quitter leur navire bien avant le début du naufrage, comme le rat qu’il était !

    Autour de Saint-Crépin, il n’avait récolté que haine et mépris. Les paysans le maudissaient tout bas et dans les autres couches de la société, personne ne se privait de le dire : le fils du vieux marquis de Lambersac était un vaurien qui finirait mal. Trousseur de jupons, querelleur, joueur et buveur, il avait fui à Paris pour échapper à la vindicte publique. Seul mon grand-père faisait semblant de croire qu’Armand s’était rendu à la Cour de Versailles pour s’y distinguer et porter plus haut les couleurs de sa maison. Pour autant, je savais bien qu’il ne se berçait pas d’illusions. S’il avait préféré se démunir petit à petit pour satisfaire son fils, c’était pour retarder son retour au pays. On ne comptait plus les malheureuses qu’il avait engrossées parce qu’elles n’osaient pas lui résister. Il avait fallu que son cher Armand s’en prît à moi pour qu’il acceptât d’ouvrir les yeux sur ce qu’il était vraiment. Les exigences de cette fripouille nous avaient rendus plus pauvres, mais son départ nous avait permis de respirer un peu.

    Qu’était-il devenu ? Nous n’avions plus de nouvelles depuis longtemps. Était-il vivant ou mort ? L’avait-on poussé à émigrer comme tant d’autres « ci-devant » aristocrates ? Les Peaux-Rouges américains l’avaient-ils tué d’une de leurs flèches ? Plus personne ne parlait de lui, il avait déserté les mémoires.

    Depuis quelques années, le vieux monde vacillait. En 1789, non seulement la Bastille avait été prise par le peuple en colère, mais les campagnes s’étaient embrasées. Les paysans avaient attaqué les châteaux et brûlé les archives. Des églises avaient été pillées et des religieux molestés. La plupart de nos voisins aristocrates avaient fui à l’étranger. Ceux qui restaient se terraient.

    La maison de mon grand-père avait été épargnée jusque-là, car ses métayers le respectaient. En août 1789, ils avaient emporté tous les documents qu’ils avaient pu trouver et en avaient fait un immense feu de joie au milieu du village avec ceux des autres propriétaires. C’était le prix à payer pour avoir un peu de paix. Seule Léonie avait fait mine de s’opposer à leurs revendications. Elle les avait chassés à coups de balai et ils étaient partis comme ils étaient venus, plus penauds qu’agressifs.

    — Il faut pas les laisser commander. Vous auriez pas dû leur donner les papiers. Si ces ingrats gardent la dîme2 pour eux, comment qu’on va faire ?

    — Nous apprendrons à vivre avec le peu qu’il restera.

    — Comme des miséreux ?

    — Comme des gens simples.

    — Vous voulez dire qu’on devra se contenter de nos quelques bêtes et des légumes du potager ?

    — Ça ne te paraît pas suffisant ?

    — Pour le Gustou, Toinette et moi, ça sera bien assez, mais pas pour vous, mon bon maître, ni pour notre demoiselle. C’est pas convenable de vivre comme des gueux !

    — Plus rien ne sera comme avant, Léonie. Il va falloir nous y habituer. Nous avons toujours notre maison et nous sommes vivants, ce n’est pas si mal, après tout.

    Mon grand-père faisait allusion aux violences qui avaient mis le pays à feu et à sang. On ne comptait plus les exécutions sommaires. Des groupes se formaient un peu partout, commandés par des brutes avinées. Ils envahissaient les églises, les couvents et les châteaux pour s’emparer des richesses qui s’y trouvaient. Résister ne servait à rien, ils étaient trop nombreux. Depuis que les Parisiens s’étaient soulevés, les provinces ne voulaient pas être en reste et c’était à qui imposerait sa loi.

    Il avait raison, cependant, nous nous en tirions plutôt bien. Le groupe qui s’était présenté devant la grille s’était contenté d’emporter les titres de propriété. Personne n’avait été bousculé et rien n’avait été dégradé.

    .2.

    En août 1789, je venais d’avoir treize ans. Les événements ne m’avaient pas perturbée outre mesure, bien au contraire. Quand les paysans étaient partis après avoir volé les papiers, ils s'étaient aussi emparés des livres et des feuillets qui servaient à mon instruction. Je détestais les leçons que m’imposait le vieux curé moralisateur choisi par mon grand-père et ne plus subir son enseignement me réjouissait. Peu de temps après, comme pour rendre mon bonheur plus complet, ce fut le curé qui disparut. Pour échapper aux révolutionnaires qui faisaient la chasse aux prêtres, mon vieux précepteur s'empressa d’émigrer et mon grand-père l’aida à fuir.

    Trois années passèrent ainsi. Nous vivions simplement du peu que nous avions, mais cela ne me pesait pas, au contraire. Je partageais le quotidien de ma nourrice et de Toinette. J’apprenais à cuisiner et à coudre. À toujours courir la campagne à la recherche de baies ou de champignons, j’étais devenue habile et endurante. Léonie seule trouvait à redire à mes mains écorchées et à mes jupons déchirés.

    — C’est pas digne d’une demoiselle de galoper partout comme la fille d'un paysan ! Ah !… Si votre pauvre grand-mère vous voyait ! Heureusement pour elle, le Bon Dieu l’a rappelée avant toute cette misère ! Elle ne sait pas que nous vivons comme des proscrits !

    Ma grand-mère, la marquise de Lambersac, était une aristocrate d’un autre temps, bienveillante et soucieuse de tenir son rang... Elle m’avait recueillie à la mort de mes parents, emportés par une épidémie de petite vérole³ alors que j’avais à peine trois ans. Ma venue dans sa vie avait-elle adouci un peu le chagrin d’avoir perdu son fils aîné ? Je n'en eus jamais vraiment la certitude, car le deuil l’avait rendue austère, elle m’intimidait et je ne l’approchais guère. L’affection rugueuse de ma nourrice me comblait davantage.

    Quand je repense à cette dame triste, je revois surtout ses yeux clairs et sa bouche mince. Avait-elle éprouvé des sentiments pour mon grand-père ? Je ne saurais le dire, car je n’ai jamais rien surpris d’un tant soit peu intime entre eux. Ce dont je suis certaine, en revanche, c’est de son amour pour ses deux fils. À la mort de mes parents, un grand pan d’elle-même s’est effondré, du moins si j’en crois Léonie. Les frasques de mon oncle Armand ont achevé de mettre le reste à bas. Un jour, elle a cessé de faire semblant de trouver de l'intérêt à son existence. Je me souviens surtout de l’affliction de mon grand-père et du chagrin des serviteurs.

    En dépit de tous ces malheurs accumulés, je vivais une enfance heureuse. Le domaine des Lambersac se situait à Saint-Crépin, près d’un de ces villages du Périgord demeurés figés dans le passé. J’aimais ses vieilles pierres médiévales, ses ruelles étroites. Si un chevalier en armure avait surgi tout à coup, personne n’en aurait été surpris. Il avait fallu les bouleversements parisiens de l’été 1789 pour que tout s’écroulât. Mon grand-père ne l’avoua jamais tout à fait pour ne pas encourir les récriminations de Léonie, mais il sentait depuis un moment que le monde ancien avait fait long feu.

    Les textes des philosophes l’avaient nourri autant que les Évangiles et il apportait tout son soin à secourir ceux qui le sollicitaient. Il avait toujours été partagé entre son éducation et sa conscience. Bien avant que le pays fût enflammé par les discours des révolutionnaires, il avait allégé les charges qui pesaient sur ses métayers. Les habitants de Saint-Crépin n’étaient pas les plus riches de la région à cause de la terre qui est marécageuse et donne ce qu’elle peut, mais personne n’y avait jamais connu la faim. Le vieux marquis de Lambersac ne l’aurait pas toléré. Dans ses greniers, il y avait toujours assez de boisseaux de blé pour permettre à tous de tenir tête à la disette. La mort des enfants le bouleversait et il encourageait Léonie à leur venir en aide.

    La vie aurait pu cheminer encore longtemps à ce rythme. En effet, nous avions pu trouver un semblant de sérénité. Mon grand-père chassait un peu avec Gustou pour fournir les cuisines en gibier, et quand il était à la maison, il lisait. Ces trois années furent pour lui comme pour moi, relativement plaisantes. Débarrassés des obligations de notre rang, car il n’était plus question de paraître en société, nous étions heureux de poursuivre notre existence simplement, au jour le jour.

    Pour son malheur, si le château de Lambersac se trouvait à l’écart des routes fréquentées, ses vieilles pierres ne le garantissaient ni de la haine ni de la jalousie. Les paysans de Saint-Crépin ne nous voulaient aucun mal, nous en avions la certitude. Nous vivions tous en bonne intelligence et mon grand-père ne s’était opposé à aucune des mesures votées par les députés nouvellement élus. Seuls les événements survenus dans la capitale pouvaient encore le désespérer et pour leur échapper, il refusait de lire les différents messages apportés par la voiture de poste. Pour lui, la vie de l’extérieur avait pris fin avec l’arrestation du roi à Varennes en juin 1791 et elle avait définitivement fait naufrage avec l’emprisonnement de ce dernier.

    .3.

    2 octobre 1792

    11 vendémiaire An I de la République

    Depuis quelque temps, des rumeurs nous parvenaient. Autour de Nontron, les paysans avaient pris les armes. La récolte avait été mauvaise et les réquisitions les avaient rendus fous de rage. Des voix s’élevaient pour dire que le petit peuple souffrait toujours autant. Les rares propriétaires qui n’avaient pas fui faisaient figure de nantis et devenaient des cibles.

    À Saint-Crépin où le temps avait paru s’arrêter jusque-là, des groupes commençaient à se former sur la place du village. Des meneurs attisaient les colères et leurs discours trouvaient un public désireux d’en finir avec la misère. Les femmes étaient les plus décidées, elles en avaient assez de voir leurs enfants souffrir. Léonie avait assisté à l’un de ces attroupements alors qu’elle se rendait au marché. Alarmée par les propos qui étaient tenus, elle était revenue en courant pour nous avertir.

    — Ils veulent nous attaquer, notre maître ! Ils ont pris leurs fourches et leurs piques !

    — Qui ça ? De qui parles-tu ?

    — Je sais pas bien qui ils sont ni d’où qu’ils viennent… Ce qui est sûr, c’est qui z’ont des vilaines figures et que ce diable de Jeannot Raguinet fait partie de ceux qui les commandent vu qu’il gueule plus fort que les autres !

    — Jeannot Raguinet ? Le fils de mon garde-chasse ?

    — Oui, celui-là même que vous avez fait mettre au cachot parce qu’il avait cogné son père et volé un ciboire dans la chapelle !

    — Je le croyais derrière les barreaux pour encore une dizaine d’années...

    — Il a dû en sortir. De nos jours, on libère la canaille pour faire de la place aux braves gens. C’est les curés et les pauvres nonnes qu’on emprisonne, pas les bandits ! Ces vauriens font la chasse à ceux qui ont du bien et qui vont pas pieds nus dans leurs sabots !

    — Pour ce qui est du bien, nous sommes tranquilles. Si la troupe dont tu parles s’aventure par ici, elle comprendra vite qu’elle n’y trouvera pas de quoi faire fortune.

    — Vous n’avez pas peur d’eux ?

    — Eh bien non, ma bonne Léonie. Je n’ai jamais fui devant quiconque et je ne vais pas commencer aujourd’hui.

    À la tête de son groupe de chenapans, Jeannot Raguinet se présenta devant la grille du château. Les quelques villageois qui l’avaient suivi restèrent en arrière malgré ses exhortations. Ils criaient plus qu’ils ne parlaient et rien ne nous échappait de leurs vociférations.

    — Poules mouillées ! Me dites pas que vous avez peur de ce vieux débris ! Vous avez oublié qu’il vous prenait le peu que vous aviez ?

    — Tu y vas fort, Jeannot ! Notre maître nous a toujours laissé de quoi manger et Léonie a jamais refusé de nous soigner et d’aider nos femmes à accoucher !

    — Et vous voulez l’épargner pour toutes ces bontés ? S’il vous a laissé de quoi manger, c’est pour que vous restiez assez forts pour travailler et l’enrichir. Ces propriétaires sont tous les mêmes, ils affament le peuple et se remplissent la panse !

    — C’est pas honnête d’attaquer ce pauvre vieux. Si ça se trouve, la Léonie, elle t’a mis au monde et elle t’a lavé les fesses quand t’étais qu’un marmot !

    — Vous ne voulez pas venir avec moi ?

    — Non. On s’en retourne chez nous.

    — Tant pis pour vous.

    Jeannot s’adressa à la demi-douzaine de chenapans qui le suivaient partout depuis sa sortie de prison. Ils avaient des trognes d’assassins et s’étaient distingués dans la région en attaquant les voyageurs. Leur réputation les précédait, ils brisaient tout dans les auberges et les maisons cossues dont ils vidaient les caves. Heureux de semer la terreur, ils prenaient des airs farouches. Ceux qui le pouvaient s'enfuyaient quand ils paraissaient.

    — Venez, les gars ! Ces lâches sont trop couards pour nous suivre ? Nous nous passerons d’eux ! Le vieux Lambersac va nous dire où il a caché les écus qu’il a volés à ces culs-terreux !

    Mon grand-père avait demandé à Léonie de m’accompagner à l’intérieur et d’y attendre leur départ. À ce moment-là, il devait penser que Jeannot et ses compagnons se contenteraient de jouer les fiers-à-bras et qu’ils s’en iraient quand ils comprendraient qu’il n’y avait rien à rapiner. C’était ne pas tenir compte de la haine et de la soif de vengeance du citoyen Raguinet.

    Depuis le salon où nous nous tenions, nous ne perdions rien de la scène qui se déroulait devant l’entrée.

    — Tu l'as caché où, le curé ?

    — De quel curé parles-tu ?

    — De Sarrazignac ! Paraît que tu le caches !

    — Je ne cache aucun curé, on t’a mal renseigné. Si j’avais ouvert ma porte à un fugitif, cependant, ne crois pas que je t’en informerais.

    — C’est ce qu’on va voir ! Fouillez la maison, vous autres ! Si un curé s’y cache, amenez-le-moi que je le fasse danser comme il faut ! Un jour, quand j’étais gamin, cette ordure m’a tiré les oreilles parce que j’avais dormi pendant sa messe et je l’ai pas oublié ! Amenez-le-moi que je lui tire les oreilles avant de les lui couper !

    Mon grand-père voulut s’interposer.

    — Tu ne trouveras aucun curé chez moi !

    — Pousse-toi ! M’empêche pas de passer ! On le sait que ta garce de servante était toujours fourrée dans les jupes du vieux Sarrazignac ! Au village, ils ont dit qu’elle lui portait des pots de soupe !

    Les propos de ce vaurien rendirent Léonie furieuse. Elle sortit de la maison et se rua sur Raguinet pour l’insulter. Je la suivis.

    — Mauvais drôle ! Tu ne sais donc faire que du mal partout où tu passes ? Si notre maître te dit qu’il cache aucun curé, c’est qu’il en cache aucun. Il y a beau temps que le père Sarrazignac a quitté le village sans dire à personne où il allait !

    — Si ton maître cache aucun ennemi de la République, il cache ses écus et on les trouvera !

    — Ses écus ?

    — Oui, les écus qu’il a volés pendant toutes ces années où il faisait le seigneur et nous laissait crever de faim !

    — Toi, tu as crevé de faim ? Ce qu’il faut pas entendre ! Ah… y’a des fois où il vaudrait mieux être sourd !

    — C’est des façons de parler. Ce qui est sûr, c’est qu’il allait à cheval et qu’il avait des beaux habits…

    — As-tu oublié les bontés qu’il a eues pour toi ?

    — Quelles bontés ?

    — Il a voulu que tu t’instruises, que tu apprennes un métier…

    — Ah oui… L’instruction du vieux Sarrazignac et ses coups de badine ! Je risque pas de les oublier !

    — T’as jamais été qu’un ingrat, un bon à rien.

    — Prends garde à tes paroles, Léonie ! Je suis devenu un homme important !

    — Un voleur de grand chemin, oui ! Si ta République a que des gars comme toi pour la représenter, elle ira pas loin ! J'ai pas peur de répéter que ceux qui se laissent commander par des vide-goussets⁴ et qui coupent la tête à des pauvres religieuses, c’est pas des gens qui méritent le respect !

    — Apprends à te taire, Léonie, ta tête est pas si solide sur tes épaules ! Elle pourrait bien tomber dans la panière du bourreau et rejoindre celles de tes nonnes et de tes curés ! J’aurais qu’un mot à dire !

    — Chenapan ! Tu as oublié que j’ai aidé ta mère à te mettre au monde ? Ah !… Il y a des marmots, je vous jure, si on savait d’avance ce qu’ils vont devenir, on les noierait dans un baquet dès leur naissance !

    — Tu m’as fait perdre assez de temps, vieille folle ! Où qu’ils sont cachés les sacs d’écus ?

    — Tu trouveras pas d’écus ici !

    — C’est ce qu’on va voir ! Fouillez la maison, vous autres ! Regardez bien partout !

    Pour pouvoir entrer, il bouscula Léonie et mon

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