Les Jeux olympiques en valent-ils la chandelle ?
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Géographe de formation, Jean-Michel Decroly est professeur de géographie humaine, de démographie et de tourisme à l’Université libre de Bruxelles (DGE, IGEAT). Féru de course à pied, il a parcouru son premier marathon en mai 2024.
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Aperçu du livre
Les Jeux olympiques en valent-ils la chandelle ? - Jean-Michel Decroly
INTRODUCTION
Au cours de l’été caniculaire de 1976, alors que j’avais dix ans, j’ai séjourné pendant deux semaines chez ma grand-mère maternelle pour regarder avec elle la retransmission des Jeux olympiques de Montréal. Depuis quelques années, je suivais avec ardeur l’actualité sportive, bien que mes parents n’eussent pas de téléviseur. Si j’étais encore trop jeune lors des Jeux de Munich en 1972, j’ai profité de l’été de mes dix ans pour m’en mettre plein la vue avec ceux de Montréal. Malgré le décalage horaire, malgré le boycott de vingt-deux pays d’Afrique subsaharienne, j’ai suivi avec passion les principales épreuves et en ai rédigé avec enthousiasme un compte-rendu dans l’un de mes cahiers de classe. J’en ai d’ailleurs gardé de nombreux et bons souvenirs, comme les finales des 800 et 1 500 mètres messieurs en athlétisme au cours desquelles le Bruxellois Ivo Van Damme, décédé six mois plus tard dans un accident de voiture, s’est illustré de la plus belle des manières.
Par la suite, j’ai continué à suivre, d’un œil toutefois plus distrait, les compétitions olympiques, avec une appétence forte pour celles d’athlétisme, en particulier les sauts. J’ai aussi peu à peu appris à regarder les Jeux, et plus largement les grands événements sportifs, de manière plus critique. Au début du XXIe siècle, j’ai même consacré des recherches empiriques aux effets économiques du Championnat d’Europe de football organisé par la Belgique et les Pays-Bas en 2000 (Bauthier et al., 2002 ; Billen et al., 2002) ainsi qu’à ceux du Grand Prix de formule 1 de Spa-Francorchamps (Decroly, 2002). J’ai encadré en outre une thèse de doctorat sur les conséquences touristiques des Jeux olympiques, à court, moyen et long terme ← 17 | 18 → (Bauthier, 2010). Il m’est apparu alors que ces grandes fêtes du sport n’étaient pas aussi reluisantes qu’elles voulaient le prétendre. La dissonance entre le discours de leurs organisateurs et les mesures objectives des effets qu’elles engendraient m’est apparue encore de manière plus flagrante lorsqu’il a été question de leur impact climatique. Le sommet a été atteint lors de l’organisation de la Coupe du monde de football de 2022 au Qatar, une compétition prétendument neutre sur le plan des émissions de gaz à effet de serre. Un tel mensonge conjugué aux conditions inhumaines de travail des ouvriers immigrés qui ayant bâti les stades m’ont conduit pour la première fois de ma vie adulte à ne regarder aucun match de la Coupe du monde. Je me suis alors sincèrement posé une question toute simple : ces grands événements en valent-ils la chandelle ?
L’expression sur laquelle est construite cette question date du XVIe siècle. À cette époque, les classes populaires s’éclairaient encore à la chandelle, avec une mèche en chanvre ou en étoupe et un combustible à base de suif, produit résiduel obtenu par la fonte de la graisse d’espèces animales comme le mouton et le bœuf. Les chandelles étaient un produit onéreux. Lorsqu’elles étaient utilisées pour éclairer des parties de cartes ou de dés, l’usage voulait qu’on laissât de l’argent en dédommagement de l’éclairage. En cas de gains trop faibles, cela ne couvrait même pas le prix de la chandelle. Le jeu n’en valait donc pas la chandelle.
Pour tenter d’apporter des éléments de réponse à la question posée, il m’a semblé judicieux de la traiter en focalisant mon attention sur les Jeux olympiques. Ces derniers, par le nombre de leurs participants (environ 15 000 athlètes avec ou sans handicap pour Paris 2024), par leur audience sur site (6,2 millions de personnes pour Rio 2016) et par leur audience sur les divers canaux de diffusion d’images (3 milliards de téléspectateurs uniques sur les chaînes de télévision linéaire et les plateformes numériques pour ← 18 | 19 → Tokyo 2021), constituent aujourd’hui le plus important spectacle sportif, mais aussi le plus grand événement logistique organisé dans le monde.
À l’égal de la Coupe du monde de football de la FIFA, ils donnent lieu à des récits enthousiastes, qui mettent en avant les performances réalisées par les athlètes et les bénéfices économiques et sociaux qu’en retirent les villes hôtes. A contrario, ils suscitent aussi de nombreuses et féroces dénonciations, qui soulignent les multiples méfaits de ces événements, en particulier pour les populations directement concernées, tout en montrant l’emprise grandissante qu’exercent sur eux les forces du marché. Les Jeux olympiques offrent donc un terrain privilégié pour questionner ce que les grands événements sportifs font aux sociétés contemporaines, comment ils contribuent à leur transformation et au bénéfice de qui et de quoi.
De manière à circonscrire le propos, je me suis focalisé sur les seuls Jeux olympiques d’été, en me concentrant, pour l’analyse de leurs effets, sur les éditions tenues à partir des années 1980. Pour deux raisons au moins, les Jeux de Paris 2024 occupent une place singulière et importante dans cet ouvrage. Tout d’abord, il s’agit de la première édition organisée en intégrant plusieurs réformes adoptées par le Comité international olympique (CIO) depuis 2010 en vue de mieux prendre en compte les enjeux de durabilité dans la préparation et la tenue des Jeux. Paris 2024 pourrait donc constituer un tournant par rapport aux tendances observées ces dernières décennies. Un tournant peut-être, mais jusqu’à quel point ? Il s’agira de l’une des questions abordées dans cet ouvrage. Ensuite, en raison de l’actualité de l’événement parisien, il est possible d’accéder à certaines informations qui font défaut pour les éditions plus anciennes. C’est le cas notamment des données, certes incomplètes, sur la construction du village olympique, sur le dispositif de mise en vente des billets pour assister aux compétitions ou encore sur les mesures de sécurité adoptées avant et pendant l’événement. ← 19 | 20 →
Pour mener à bien l’analyse des effets olympiques¹, je procéderai en quatre temps principaux. Le premier sera dédié à la transformation progressive des Jeux olympiques modernes depuis leur naissance jusqu’à aujourd’hui (chapitre 1). J’y montrerai comment, de modeste rencontre sportive internationale qu’ils étaient encore dans les premières années du XXe siècle, ils se sont mués en un spectacle sportif ritualisé, dont l’audience s’est fortement accrue à partir des années 1960 par le biais de retransmissions télévisées qui se sont peu à peu globalisées. Il a toutefois fallu attendre les années 1980 pour que les Jeux entrent dans une ère nouvelle : celle du gigantisme. Après avoir décrit ce basculement dans une autre dimension, je chercherai à mettre en évidence ses ressorts. Cette investigation conduira à examiner de près la manière par laquelle, dans le cadre d’un processus de marchandisation, les Jeux sont devenus un produit et l’olympisme une marque (chapitre 2). Ce sera également l’occasion d’identifier les principaux bénéficiaires de la transformation récente de l’événement. Autrement dit, la focale sera mise sur les acteurs pour qui les Jeux valent la chandelle.
Les deux chapitres suivants viseront à objectiver les effets des Jeux olympiques dans différents domaines. Dans cette optique, plutôt que de mobiliser les lunettes démodées et déformantes du développement durable, il sera fait appel à un cadre d’analyse plus récent et plus original, forgé par l’économiste Kate Raworth : la « théorie du donut ». Cette dernière vise à préserver un « espace à la fois juste et sûr pour l’humanité », situé entre un plancher (les limites de bien-être humain et social) et un plafond (les limites planétaires environnementales). Il s’agira donc d’examiner ← 20 | 21 → dans quelle mesure les Jeux olympiques, principalement leurs éditions estivales, contribuent ou pas à la préservation de cet espace juste et sûr, en menant successivement l’analyse de certains de leurs effets environnementaux, locaux et globaux (chapitre 3), puis de leurs principaux effets sociaux pour les habitants des villes hôtes (chapitre 4). Dans le premier domaine, je montrerai comment à partir des années 1990 le Mouvement olympique s’est progressivement préoccupé de la question des impacts environnementaux des Jeux et décrirai les mesures qui ont été prises pour tenter de réduire ces derniers. J’établirai un bilan de ces mesures en prêtant une attention plus soutenue à la question des effets climatiques des Jeux. Sur le plan des effets sociaux, je proposerai une évaluation des effets olympiques tant en matière d’accès à l’emploi et au logement que sur le plan de la pratique d’activités physiques et sportives. J’observerai aussi jusqu’à quel point les différentes classes sociales sont en mesure d’assister aux compétitions qui se tiennent lors d’une édition. Enfin, je mettrai en évidence la manière dont les Jeux retentissent sur les droits civils et politiques des habitants des villes hôtes en prêtant dans ce cadre un œil attentif à l’évolution des mesures de sécurité mises en place et à l’influence qu’elles exercent sur la vie quotidienne de ces habitants.
Si de nombreuses dimensions et plusieurs effets des Jeux olympiques sont abordés au fil des pages de cet ouvrage, beaucoup d’autres ont été ignorés. Dans le premier chapitre, le fait de suivre un fil rouge tissé autour de la question de la mise en spectacle et de la croissance quantitative des Jeux a conduit à faire l’impasse par exemple sur la plupart des enjeux (géo)politiques des Jeux, qui sont pourtant considérables. En pratique, ils n’ont été pris en compte qu’à travers les liens qu’ils entretiennent avec la spectacularisation de l’événement. De même, dans le deuxième chapitre, centré sur la marchandisation des Jeux, je ne fais qu’effleurer la question de la corruption. Celle-ci a pourtant marqué à plusieurs reprises l’histoire récente de ← 21 | 22 → l’olympisme, que ce soit lors de l’attribution de certaines éditions de l’événement par le CIO (par exemple pour les Jeux d’hiver de 2002 à Salt Lake City et pour ceux d’été de 2016 à Rio) ou lors de l’attribution de marchés à des firmes privées dans le cadre d’une édition (par exemple à l’occasion des Jeux d’hiver de 2014 à Sotchi et des Jeux d’été de 2021 à Tokyo). Si ces événements constituent un symptôme de l’emprise de l’argent sur les Jeux, leur analyse ne contribue pas à une meilleure compréhension du processus de leur marchandisation.
Par ailleurs, le choix de mobiliser la théorie du donut comme grille de lecture dans les deux derniers chapitres de l’ouvrage a conduit à écarter de nombreux effets olympiques, notamment les retombées en termes de revenus, de recettes fiscales ou d’image de la ville hôte. Par ailleurs, les questions relatives au statut, aux revenus, aux entraînements, aux conditions de vie des athlètes ne sont pas traitées, alors même que ces derniers figurent parmi les principaux protagonistes des Jeux, ceux sans qui ils n’auraient tout simplement pas lieu. Or, les athlètes, en particulier ceux de haut niveau mais qui ne figurent pas au panthéon du sport mondial, doivent consentir d’importants sacrifices pour espérer se qualifier pour les compétitions olympiques (Bennedjaï-Zou, 2024). Dans ce cadre, ils subissent souvent différentes formes d’injustice ou d’oppression, surtout lorsqu’il s’agit de femmes ou de personnes racisées. Enfin, le très épineux dossier du dopage avant et pendant les Jeux n’est pas évoqué ici. Il pourrait pourtant faire l’objet d’un livre à lui tout seul.
Retracer, même sous un angle spécifique, l’histoire des Jeux olympiques modernes puis en interroger les effets socio-environnementaux, en prenant en compte les éditions estivales depuis Séoul 1988, conduit à s’aventurer sur de multiples terrains disciplinaires, qui vont de l’histoire à l’économie, des sciences de l’environnement aux études urbaines, de la sociologie du sport au ← 22 | 23 → droit de l’événementiel. Le jeu est périlleux, mais il en vaut la chandelle. En effet, il offre l’opportunité de réaliser une analyse transversale du fait social total, au sens de Marcel Mauss, que sont les Jeux olympiques. Ce faisant, une voie est ouverte pour mettre en évidence les liens qui se tissent entre différentes dimensions et effets de l’« événement olympique »². Il va sans dire toutefois qu’en tant que géographe, je ne maîtrise qu’une partie des compétences afférentes aux diverses lunettes disciplinaires mobilisées. De surcroît, malgré mon expérience de recherche sur les grands événements sportifs, je ne suis pas un spécialiste des Jeux olympiques à proprement parler. Que les experts de ces différents domaines veuillent donc pardonner les éventuelles erreurs, approximations ou omissions qui émaillent cet ouvrage. ← 23 | 24 →
1J’utilise l’expression pour désigner les différentes conséquences (économiques, sociales, environnementales, politiques, etc.) liées de près ou de loin à l’organisation d’une édition des Jeux olympiques.
2L’expression désigne les Jeux olympiques eux-mêmes, considérés par la charte olympique comme le « point culminant » de l’action du Mouvement olympique (CIO, 2023).
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Chapitre 1
D’UN CONCOURS SPORTIF à UN SPECTACLE HORS-NORME
Nés à la fin du XIXe siècle, les Jeux olympiques modernes se sont imposés, après une décennie de rodage, comme la plus importante compétition sportive mondiale. Entre 1908 et 1932, ils ont gagné en notoriété par le biais de la mise en spectacle des épreuves et des athlètes ainsi que par la conception de symboles et de cérémonies spécifiques. Ils sont pourtant restés un événement de modeste taille, réunissant au mieux 3 000 athlètes, principalement du genre masculin, issus d’Europe et de ses colonies anglo-saxonnes de peuplement. Au cours du demi-siècle suivant, l’événement a connu une lente croissance tout en faisant l’objet d’une publicisation grandissante par la télévision. Au centre de nombreuses controverses politiques, il est resté accessible uniquement aux athlètes amateurs. Ensuite, à partir de 1984, les Jeux sont rapidement devenus l’événement sportif de tous les superlatifs, tant par le nombre d’athlètes réunis, de délégations présentes et d’épreuves organisées que par la quantité de (telé)spectateurs mobilisés. Ce premier chapitre retrace cette mue des Jeux olympiques en montrant comment un concours sportif international devenu spectacle sportif s’est ensuite transformé en un événement hors-norme.← 25 | 26 →
1.1 À l’origine des Jeux olympiques modernes
La première édition des Jeux olympiques modernes se déroule à Athènes en avril 1896, à moins de 250 kilomètres du site d’Olympie où vingt ans auparavant ont été mises au jour les traces du stade ayant accueilli les compétions des Jeux olympiques antiques. Elle est organisée deux ans à peine après qu’une petite coterie d’aristocrates et grands bourgeois européens en a pris la décision.
pic2← 26 | 27 →
pic3Contrairement aux idées reçues, Pierre de Coubertin, passé à la postérité comme étant le père de l’olympisme moderne, n’est pas le premier, tant s’en faut, à militer en faveur de ce projet et à mettre sur pied un concours multisport s’inspirant de près ou de loin des Jeux antiques. Selon un dénombrement réalisé par l’historien Joachim K. Rühl (1997), pas moins d’une douzaine de concours olympiques distincts sont organisés avant ceux d’Athènes en 1896. Inspirées partiellement par les Jeux antiques, ces compétitions ne réunissent toutefois que des athlètes locaux ou nationaux et drainent un public peu nombreux. ← 27 | 28 →
Si les manifestations proto-olympiques modernes sont généralement tues par l’histoire officielle du Mouvement olympique, il n’en reste pas moins qu’elles témoignent d’un intérêt renouvelé pour les Jeux olympiques antiques au cours du XIXe siècle. Cet intérêt est lui-même à mettre en relation avec plusieurs phénomènes qui se manifestent en Europe au cours de ce siècle (Floccari, 2024) : les découvertes archéologiques réalisées en Grèce et en Italie qui favorisent un retour en grâce de l’Antiquité dans les milieux intellectuels, l’intérêt croissant pour l’éducation physique et sportive en tant que moyen d’entretenir le corps et l’esprit, la création d’associations internationales pacifistes comme la Croix-Rouge (1863) ainsi que l’organisation de grandes manifestations internationales, à l’image des Expositions universelles, dont la première édition a lieu à Londres en 1851. Le fruit est donc mûr. Il ne reste plus qu’à le cueillir.
C’est ce que réalise Pierre de Coubertin, historien et pédagogue, fils d’une famille aristocratique française. En 1889, alors qu’il vient d’avoir 26 ans, il devient secrétaire général de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA). C’est dans le cadre de ce mandat qu’il milite pour rétablir les Jeux olympiques antiques. Dans ce but, il fait activer ses nombreux contacts dans les milieux bourgeois et aristocratiques qu’il fréquente en France, en Angleterre et aux États-Unis, milieux qui partagent avec lui l’idée que le sport doit rester une pratique réservée aux amateurs (Clastres, 2002). En 1892 puis en 1894, à l’occasion de deux congrès de l’USFSA, Pierre de Coubertin plaide avec force pour le rétablissement des Jeux olympiques. Lors du second, il parvient à faire adopter son projet à l’unanimité (Clastres, 2004). Dans la foulée, la date et le programme des Jeux olympiques à venir sont fixés et, au terme de longues tractations, le congrès désigne Athènes puis Paris pour être les deux premières villes hôtes des Jeux. Il est aussi décidé d’installer un comité permanent – le ← 28 | 29 → Comité international des Jeux olympiques – dont la mission sera de mettre en œuvre les décisions adoptées lors du congrès.
Ce comité, qui deviendra en 1897 le Comité international olympique (CIO), rassemble une douzaine de membres, principalement issus de l’aristocratie européenne (Clastres, 2004). Il est amené à jouer un rôle clé dans l’histoire de l’olympisme moderne puisqu’il en fixe les principales orientations. Selon la doctrine alors élaborée, les Jeux, organisés tous les quatre ans dans des villes différentes, doivent reposer sur l’amateurisme de leurs participants, avoir une portée universelle et être l’occasion d’une trêve pacifique au cours de laquelle la beauté du geste sportif doit compter
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davantage que la victoire. Le Comité milite aussi pour l’éducation de la jeunesse par le sport comme moyen de rendre le monde meilleur. Dans le même temps, Pierre de Coubertin fait adopter la devise olympique (« Citius, Altius, Fortius », soit « Plus vite, plus haut, plus fort »), un mantra
