L'amante de Molière
()
À propos de ce livre électronique
D'aventures en rebondissements, celle qui a été la compagne du plus grand auteur et acteur du royaume de France lui fait le récit de ses premières amours, évoque sa passion pour la scène et le surprend en lui confiant un secret de famille.
Madeleine lui remémore ses amitiés, notamment celles avec Cyrano de Bergerac et Pierre Corneille. Elle relate sa mission pour la reine Anne d'Autriche et lui révèle les menaces d'un admirateur fanatique, dont elle a réussi à lui dissimuler les sombres agissements durant des années. L'inquiétant personnage l'aurait poursuivie à travers tout le pays, alors aux prises avec la révolte de la Fronde, jusqu'à Paris, où la troupe de Molière a commencé son ascension sous la protection du Roi-Soleil, Louis XIV.
Aussi captivante que les plus admirables tragédies présentées à son époque, le parcours de l'amante de Molière est une succession de coups de théâtre qui nous font revivre les fabuleux événements ayant mené à la tristement célèbre « affaire des poisons ».
En savoir plus sur Christiane Duquette
LA FILLE DE LA JOCONDE T.1: À l'ombre des Rois Évaluation : 1 sur 5 étoiles1/5LA FILLE DE LA JOCONDE T.2: Les princes rebelles Évaluation : 1 sur 5 étoiles1/5Les belles-de-nuit du faubourg Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationDans DANS L'OMBRE DES REMPARTS Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Lié à L'amante de Molière
Livres électroniques liés
La femme immortelle Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes duels, suicides et amours du bois de Boulogne: Seconde partie Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationEsclave... ou reine ? Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe dernier vivant Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'homme à la peau de bique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationPercevale: V. Le Dragon sans tête Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Gentilshommes de l'ouest Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAmer triomphe Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationReine: Roman historique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationHistoires magiques Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'enfant maudit Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa comtesse de Cagliostro Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMadame Bovary Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5L'homme au Masque de Fer Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes lauriers de la vengeance Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe désespéré Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Baronne des Mont Noirs: Série fantastique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne ruse Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationCoeur perdu: Les contes de la Forêt de la pierre dorée Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationBérénice: Mémoire d'un gentilhomme, premier tome Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Louve - Tome II - Valentine de Rohan Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa belle Gabrielle — Tome 3 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMadame Bovary: Moeurs de province Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationVoyages humoristiques: Amsterdam, Paris, Venise Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Taureau d'Apreville: Chroniques de Couraurges Tome 5 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Triomphe du Mouron rouge Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Roi vierge: Roman contemporain Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationJane Eyre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Fils de Judas: Roman fantastique humoristique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Professeur Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Fiction générale pour vous
Contes pour enfants, Édition bilingue Français & Anglais Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationProverbes et citations : il y en aura pour tout le monde ! Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Manikanetish Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5L'étranger Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Le Comte de Monte-Cristo Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Maupassant: Nouvelles et contes complètes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationHistoires de sexe interracial: Histoires érotiques réservées aux adultes non-censurées français novelle èrotique Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Jeux de Mots par Définition: À la Source des Croisés Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'Odyssée Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMes plaisirs entre femmes: Lesbiennes sensuelles Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Les Mille et une nuits - Tome premier Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationEmile Zola: Oeuvres complètes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationNouvelles érotiques: Confidences intimes: Histoires érotiques réservées aux adultes non-censurées français histoires de sexe Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Procès Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationDictionnaire des proverbes Ekañ: Roman Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Treize nouvelles vaudou Évaluation : 3 sur 5 étoiles3/5Dragons !: Petite introduction à la draconologie Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes impatientes de Djaïli Amadou Amal (Analyse de l'œuvre): Résumé complet et analyse détaillée de l'oeuvre Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5La Littérature artistique. Manuel des sources de l'histoire de l'art moderne de Julius von Schlosser: Les Fiches de Lecture d'Universalis Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAnges Gaiens, livre 1: La Toile de l'Eveil Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationHumblement, ces mains qui vous soignent Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Contes et légendes suisses Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Carnets du sous-sol Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Gouverneurs de la rosée Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5La perverse: histoire lesbienne Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTout le bleu du ciel de Mélissa da Costa (Analyse de l'œuvre): Résumé complet et analyse détaillée de l'oeuvre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMasi Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationContes pour enfants, bilingue Français & Allemand Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Avis sur L'amante de Molière
0 notation0 avis
Aperçu du livre
L'amante de Molière - Christiane Duquette
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales
du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Duquette, Christiane, 1952-
L’amante de Molière
ISBN 978-2-89585-836-2
I. Titre.
PS8607.U694A62 2017 C843’.6 C2016-942150-3
PS9607.U694A62 2017
© 2017 Les Éditeurs réunis
Les Éditeurs réunis bénéficient du soutien financier de la SODEC
et du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec.
Nous remercions le Conseil des Arts du Canada
de l’aide accordée à notre programme de publication.
ReconnaissanceCanada.tifÉdition
LES ÉDITEURS RÉUNIS
lesediteursreunis.com
Distribution au Canada
PROLOGUE
prologue.ca
Distribution en Europe
DILISCO
dilisco-diffusion-distribution.fr
LogoFB.tif Suivez Les Éditeurs réunis sur Facebook.
Imprimé au Canada
Dépôt légal : 2017
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
Bibliothèque nationale de France
Faux_titre_p3.jpgDe la même auteure
chez Les Éditeurs réunis
La fille de la Joconde
1. À l’ombre des rois, 2013
2. Les princes rebelles, 2014
À mes parents,
Noëlla et Hermas
Quand on aime la vie,
on aime le passé parce que
c’est le présent tel qu’il a survécu
dans la mémoire humaine.
– Marguerite Yourcenar
Prologue
Paris, 17 février 1672
Molière referma avec précaution la lourde porte qui le séparait de la morte, craignant que le bruit éveille en lui l’atroce douleur qui, fatalement, allait le submerger. S’adossant à la tapisserie de l’antichambre, il se sentit emporté par un terrible vertige et se laissa choir, pantois, sur le froid parquet : la mort de sa douce amie était si soudaine.
— Madeleine ! cria-t-il, frappant de son poing la cloison.
Il avait toujours cru qu’elle lui survivrait, tant elle était débordante de vie. Il n’avait que vingt ans lorsqu’il tomba amoureux de cette talentueuse comédienne, à la flamboyante chevelure rousse. Dès leur première rencontre, Madeleine l’avait charmé par sa hardiesse, son esprit libre et par une sensualité à fleur de peau qui, tel un parfum envoûtant, émanait d’elle.
Il y avait de cela plus de trente ans !
Saisi d’une de ses insupportables quintes de toux, Molière serra fermement l’épais cahier que Madeleine venait de lui confier avant de mourir. Sur la couverture bleu foncé étaient dessinées deux constellations : celle de Persée et celle d’Andromède.
Dans la matinée, Geneviève, l’une des sœurs cadettes de Madeleine, était venue le chercher au théâtre du Palais-Royal où il dirigeait la répétition de sa comédie Les femmes savantes. Dans un bégaiement nerveux, elle s’était évertuée à lui expliquer que Madeleine avait brusquement été prise de douleurs au ventre et, qu’alitée, elle le mandait à son chevet. D’abord incrédule, il avait essayé de calmer Geneviève, mais comme elle sanglotait de façon misérable, il s’était précipité, soucieux, chez sa fidèle amie.
Il n’avait pas revu Madeleine depuis plus d’une semaine. Ce soir-là, il lui avait fait lire les dialogues de sa nouvelle pièce, Le malade imaginaire, qu’il venait de terminer. Comme à son habitude, avant de clore un ouvrage, et même si parfois cette brillante complice se montrait implacable, Molière tenait à avoir son avis. Rien ne présageait alors ce soudain malaise.
Il se rappelait qu’elle avait été enchantée par certaines scènes de sa comédie. Le personnage d’Argan, cet homme d’humeur capricieuse se complaisant dans la maladie, égoïste et dupe de ses médecins, l’avait bien fait rire. Mais, parmi tous les rôles de la pièce, c’était celui de Toinette, la servante rusée et fine d’esprit, qui osait affronter avec moquerie son maître, qui avait ravi Madeleine. Avec son humour intelligent, elle lui avait même suggéré quelques rimes du prélude et inspiré une ou deux répliques désopilantes afin de rendre encore plus ridicule le faux malade !
Dès son arrivée dans la chambre, assombrie par les lourdes draperies qu’on avait tirées afin de bloquer l’entrée du froid hivernal, Molière avait trouvé son amie dans un état des plus inquiétants. Madeleine avait chassé tout le monde de la pièce et avait même refusé la visite des médecins. Elle savait que personne ne pourrait la sauver du mal qui la rongeait. Avant de quitter ce monde, elle désirait être seule avec lui.
— Jean-Baptiste, après avoir si bien ridiculisé ces corbeaux de docteurs, lui avait-elle rétorqué devant son insistance, tu crois vraiment que je vais laisser ces rapaces me vider de mon sang ! Je t’en prie, ne gaspille pas ta salive et viens plutôt près de moi.
Elle lui avait tendu une main faible qu’il s’était empressé de saisir avec affection.
— Mon vaillant Persée, lui avait-elle murmuré, tout se brouille dans ma tête et des souvenirs doux-amers s’y bousculent. Quelle tristesse de quitter ce monde ! Mais il semble que le temps soit venu pour moi d’aller rejoindre mes chères étoiles.
— Allons, ma coquine, avait-il répliqué, avoue que tu as encore abusé de bon vin et fait joyeuse bombance avec La Grange. Tu ne me jouerais pas là une scène de moribonde digne de ce tragique Racine ?
Pour cacher son émoi, Molière s’était précipité pour ouvrir les sombres draperies.
— Les constellations peuvent bien t’attendre encore quelques années ! avait-il ajouté en se retournant, puis en la regardant avec tendresse.
Mais devant le douloureux sourire qu’elle avait affiché, Molière s’était ravisé. S’agenouillant à son chevet, il s’était surpris à la supplier :
— Rassure-moi, ma mignonne, et dis-moi vite que cela n’est qu’une plaisanterie !
Madeleine lui avait caressé le visage de sa main fiévreuse, se contentant de lui réciter :
« À peine je vous vois, que mes frayeurs cessées
Laissent évanouir l’image du trépas,
Et que je sens couler dans mes veines glacées
Un je ne sais quel feu que je ne connais pas… »
Molière avait senti son cœur s’affoler de chagrin en reconnaissant les vers du Psyché, une tragédie qu’il avait composée avec Corneille, deux années auparavant. Soudain, tout, en elle, le moindre de ses gestes, le moindre battement de paupières, le moindre de ses regards prenait, à ses yeux, une valeur inestimable.
— Au début de l’année, avait-elle poursuivi péniblement, il m’est venu l’idée d’entreprendre l’écriture d’un journal intime à ton intention. Oui, je sais, c’est une manie bien à la mode chez les nobles et tu vas encore me traiter de précieuse, mais écoute-moi…
Glissant une main sous ses oreillers, Madeleine avait retiré un cahier aux coins usés :
— Sur ces feuillets, j’ai regroupé mes souvenirs et ils te sont destinés, mon bien-aimé. Tu y découvriras des instants sublimes de ma vie, ma perception des folles aventures que nous avons partagées ensemble et aussi… de sombres secrets que je n’ai pu te confier. Pour certains, je n’ai jamais su trouver les mots ni le bon moment. Et pour les autres…, eh bien, j’ai décidé de te les dissimuler afin de te protéger d’un infâme personnage !
La proximité de la mort inhibant ses réserves, elle avait ajouté presque imperceptiblement, dans un dernier souffle :
— Mon unique amour, depuis le jour béni où j’ai décidé de te chérir… j’ai tout accepté de toi, les joies comme les peines. Crois-moi, Jean-Baptiste, je n’ai aucun regret !
Mus d’un même désir, les deux amants s’étaient embrassés. Un douloureux spasme avait fait grimacer Madeleine puis, apaisée, elle s’était endormie pour toujours dans les bras de Molière. Elle venait d’avoir cinquante-quatre ans.
Et maintenant, il se retrouvait seul, ahuri et désemparé, assis par terre dans l’obscur vestibule. La nuit s’était levée, mais cela lui était indifférent. Rien n’avait plus d’importance que l’empreinte de ce dernier baiser qui flânait encore tendrement sur ses lèvres. Il resserra davantage le livre froissé contre sa poitrine.
Un autre accès de toux, provoquant un haut-le-cœur, le fit se redresser. Sans se retourner, il quitta la demeure de sa défunte amie. Comme un somnambule, il se laissa engloutir par la noirceur de cette nuit sans lune. Sous une pluie d’hiver, il traversa les jardins déserts du Palais-Royal et rentra chez lui.
Dès qu’il fut dans son appartement, une hâte incontrôlable poussa Molière à lire les précieux écrits de sa belle, de sa Madeleine. Il se précipita vers la cheminée et, à genoux dans l’obscurité, réussit à allumer un feu dans l’âtre. Il releva à grand-peine son corps malade, puis se laissa tomber dans son vieux fauteuil. Il s’abandonna à sa lecture, délaissant au seuil du temps la trop vive douleur qui l’assaillait.
Avec fébrilité, il se réfugia dans le passé.
Paris, 12 janvier 1672
Mon bien-aimé Persée,
Depuis deux jours, une pluie glaciale s’acharne sur Paris et un vent maussade s’attaque sans pitié aux volets de mes fenêtres. Dehors, l’immense chêne de la cour a perdu ses dernières feuilles et les allées du potager dégarni sont couvertes de givre.
Ce soir, la douleur de la solitude, qui envahit si effrontément tout mon être, m’est plus que jamais insupportable. Qui mieux que toi, Molière, connaît mon intolérance à la tristesse ? Pour moi, la vie doit être faite de plaisirs, de pirouettes et de ravissements. Elle doit se jouer comme l’une de tes comédies et se rire de l’ennui. Je me décide donc à prendre la plume pour mettre sur papier l’authentique récit de ma vie. Je m’engage à te dévoiler tous mes secrets et à faire la lumière sur certaines circonstances plus ombragées de celle-ci.
Je ne pourrai éviter de te remémorer certains passages sur des évènements importants qui se sont déroulés dans le royaume, puisque nous avons été témoins de leurs conséquences et qu’ils ont parfois joué un rôle déterminant dans notre destinée. Je t’écris ces mémoires comme on rédige une longue lettre à son amant, parti au loin. J’espère que le temps consacré à sa rédaction m’offrira la bienheureuse impression de me sentir près de toi.
Jean-Baptiste, si tu lis ces lignes c’est que je ne suis plus de ce monde. Bien que cela soit prétentieux de ma part, j’espère que les étoiles m’auront fait une petite place près d’elles. Il me semble que de là-haut, j’aurai encore le bonheur de t’apercevoir.
Avec amour,
Madeleine.
1
Le ciel en héritage
D’aussi loin que je me souvienne, les étoiles, telles de fidèles compagnes, ont fait partie intégrante de ma vie. Je dois ce privilège à mon humble père, Joseph, sieur de Belleville. Bien avant ma naissance, il reçut, d’un libraire de ses amis, un vieux recueil d’astronomie : un livre sorti d’une imprimerie de Venise en 1482, rempli d’estampes magnifiques. Parmi elles, j’aimais particulièrement celle du dieu Soleil représenté debout sur son char tiré par un attelage fougueux, parcourant la sphère céleste.
Au contact de cette antique science, mon père fut irrémédiablement épris du ciel nocturne, de ses astres lumineux et de leur histoire. Ce précieux bouquin, tout en décrivant les constellations, raconte les légendes de nombreux personnages que la mythologie grecque fait revivre dans l’univers étoilé.
Mon père avait un plaisir immense à nous faire découvrir, à mon frère aîné Joseph, à ma jeune sœur Geneviève et à moi, la poésie de ces mystérieuses fables, reliées au firmament. Au grand dam de notre mère Marie, les nuits claires d’été, ce rêveur dans l’âme nous installait tous les trois près de lui, sur une paillasse de fortune qu’il avait confectionnée sur le toit plat de notre maison parisienne, rue de la Perle. En nous faisant admirer les constellations, il nous racontait, sans jamais se lasser, les légendes épiques rattachées à chacune d’elles.
— Une constellation, mes enfants, est un groupe d’étoiles, qui, dans l’imaginaire des Grecs anciens, désignent, dans la voûte céleste, un de leurs dieux, déesses ou héros.
Un beau jour, mon père arriva à la maison avec en sa possession un curieux instrument. L’objet se présentait sous la forme d’un tube en bois dans lequel on avait agencé, à une extrémité, des verres grossissants. En regardant par l’embouchure, nous affirma-t-il, on pouvait observer des étoiles jusqu’alors invisibles à l’œil nu.
Il venait d’acheter la lunette astronomique à fort prix à un joueur de farces nommé Tabarin. Le comédien lui avait assuré que cet instrument, qu’il avait acquis d’un camarade italien, était conçu par l’astronome florentin Galilée.
Mon père avait fait la connaissance de Tabarin sur le pont Neuf, tout près des Halles : l’endroit le plus bruyant et le plus odorant de Paris. Pour attirer les badauds devant la boutique de son frère, Tabarin faisait rire la foule avec ses pantomimes.
— En observant le ciel à travers ce tube, m’expliqua mon père, Galilée a contemplé des étoiles qu’aucun autre être humain n’avait vues avant lui. N’est-ce pas extraordinaire, ma chérie ?
J’étais stupéfaite devant l’admiration de mon père pour ce génie. Comme je le regardais bouche bée, ce qu’il prit, à juste raison, pour mon incapacité à saisir l’importance de cette découverte, il précisa, en pointant un doigt sur sa tempe :
— Imagine, jeune fille ! Cette admirable invention a déjà des ennemis, car elle ouvre nos esprits à une autre perception de l’univers.
J’étais trop jeune pour saisir toute la portée de ce qu’il me disait. C’est bien plus tard que je pris conscience de l’acharnement du clergé à réfuter cette science. Elle mettait en doute la vision étroite de l’humanité que voulait imposer l’Église.
J’acquiesçai timidement de la tête. Après une courte pause, avide d’histoires fantastiques, je lui demandai en toute innocence :
— Papa chéri, allez-vous inventer une légende pour ces nouvelles étoiles ?
Cette demande imprévue le fit rire et, pour toute réponse, il hocha la tête de gauche à droite. Il me prit par la main et m’amena sur le toit avec la précieuse lunette.
Te souviens-tu, Jean-Baptiste, du rire franc, bienveillant et contagieux de mon père ? Sa sonorité emplissait instantanément nos cœurs de bonheur. Oh ! Mon ami, comme il me manque !
* * *
À la fin de l’été 1630, pour que ma mère puisse se reposer des suites de la naissance de mon frère Louis, papa décida de nous amener passer un court séjour à la ferme de notre oncle.
Ce soir-là, aux côtés de nos cousins, nous étions étendus, les cinq enfants, sur de vieilles couvertures étalées dans le champ de blé, fraîchement coupé. Notre excitation était à son comble. À tour de rôle, nous contemplions les étoiles, armés de la lunette d’approche. Dans l’immensité de ce ciel rural, le déploiement de ces milliers de points scintillants me semblait encore plus féérique. Nous écoutions, avec attention, mon père nous raconter la légende du vaillant Persée et sa transformation en constellation :
— Mes chers enfants, Persée était un courageux jeune homme dont la mère fut, un jour, prisonnière d’un roi tyrannique. Voulant la délivrer, il promit alors au souverain de lui rapporter, en échange, la tête de la Méduse. Cette bête était une monstrueuse créature, coiffée de milliers de vipères, qui vivait au fond de l’océan et qui possédait une particularité bien à elle…
Papa fit volontairement une pause pour vérifier notre intérêt, puis clama d’une voix grave :
— … son regard pétrifiait mortellement ses assaillants.
— Oh ! s’exclamèrent Geneviève et Jeanne, la voix tremblante.
Content de son effet, il bomba le torse, avant de poursuivre :
— Rusé, Persée alla chercher l’aide de ses amies, les nymphes. Celles-ci lui prêtèrent des sandales ailées, un casque d’Hadès qui le rendrait invisible et un bouclier en bronze.
À ces mots, mon frère Joseph se releva sur ses coudes et se mit à fanfaronner :
— Alors là, si je pouvais voler et être invisible comme lui, moi aussi j’aurais pu la tuer, l’affreuse bête !
— Joseph Béjart, tu n’es qu’un vantard, lui fis-je remarquer. D’ailleurs, on ne sait pas encore si Persée a réussi ou si la vilaine Méduse l’a changé en pierre.
Mon père, qui ne supportait aucune dispute, émit un grognement, puis s’empressa de continuer :
— Rassure-toi, jeune fille ! Persée, au contraire de notre imprudent Joseph, était plus réfléchi. Bien sûr, il se servit du casque d’invisibilité pour pénétrer le royaume sous-marin de la Méduse. Toutefois, le pire danger restait le regard mortel de l’affreuse Gorgone. Notre héros se saisit de son bouclier lustré et le mit face à la Méduse. En y voyant son propre reflet, la bête s’immobilisa d’effroi. Alors, d’un seul coup d’épée, le vaillant Persée lui trancha la tête.
— Le miroir ! Quelle brillante idée ! le coupa mon cousin en levant la tête.
Papa acquiesça, tout en poursuivant :
— Et c’est ainsi que Persée put libérer sa mère…
— Hum… cette histoire était bien captivante, oncle Joseph, mais…
— … mais elle n’est pas encore terminée, Clément, l’arrêta mon père, avec sa patience habituelle. D’ailleurs, mon jeune ami, la suite devrait te plaire tout particulièrement.
Mon cousin haussa les épaules et, reprenant sa position, il s’allongea dans l’herbe haute. S’éclaircissant la voix, papa continua son récit :
— Quel ne fut pas l’étonnement de Persée de voir surgir, du corps de la Méduse, un magnifique cheval ailé qui y était prisonnier depuis plus de mille ans !
— Un cheval ailé ? ne put s’empêcher de demander Clément, enthousiaste.
Depuis peu, mon cousin travaillait comme palefrenier. Sa passion pour les chevaux n’avait d’égale que celle de son oncle pour les étoiles.
— Qui se nommait Pégase, approuva mon père, avec un sourire de satisfaction. Prenant mille précautions, Persée enfouit l’horrible tête, à la chevelure hérissée de serpents, dans un sac. Même coupée, celle-ci conservait toujours ses pouvoirs de pétrification. Par cette incroyable prouesse, notre héros devint invincible. Il n’avait qu’à empoigner l’affreuse chevelure de la Méduse et à brandir son regard meurtrier pour vaincre ses ennemis. C’est ainsi d’ailleurs qu’il délivra la jolie princesse Andromède, enchaînée à un rocher par un monstre.
— Une princesse ? lançâmes en chœur Geneviève, ma cousine et moi, délaissant le ciel pour tourner notre regard vers l’habile conteur.
— Eh oui ! Même que Persée tomba amoureux d’Andromède et l’épousa. Allons, les filles, recouchez-vous et laissez-moi terminer cette histoire. Fier des innombrables exploits de son fils Persée, Zeus le propulsa dans la voûte céleste, le changeant en étoile. Depuis, ce jeune héros représente l’une des plus brillantes constellations.
Après un long silence, constatant que le récit était bel et bien terminé, Clément osa une question :
— Le cheval Pégase, oncle Joseph, qu’est-il devenu ?
— Eh bien ! Lorsque la bête aperçut Persée parmi les étoiles, elle déploya ses ailes et essaya, désespérée, de rejoindre son maître. Devant tant de noblesse, Zeus, magnanime, la métamorphosa en astre lumineux. L’étalon ailé devint, à son tour, une constellation dominant le ciel automnal.
Songeur, Clément dénicha une longue tige de foin et se mit à en mâchouiller le bout.
— C’est une belle fin, mon oncle, reconnut-il. Les chevaux sont en effet de nobles créatures. Je dois vous avouer que, souvent, je préfère leur compagnie à celle de certains humains.
Sans m’en rendre compte, je m’étais mise à observer Clément qui, allongé près de moi, avait croisé ses bras, devenus robustes, sous sa tête blonde. Il était âgé de quinze ans et était de trois ans mon aîné. Je remarquai que depuis notre dernière visite, son corps était devenu plus viril. À la lueur de la lune, j’aperçus par sa chemise entrouverte son torse cuivré et légèrement poilu. Vision qui réveilla en moi une toute nouvelle sensation, fort agréable.
Gênée par le clin d’œil qu’il me décocha, je relevai aussitôt les yeux vers le ciel. En douce, Clément me saisit la main et, de ses doigts, en caressa la paume. Ce geste enflamma mes joues et je ne pus résister à la tentation de le regarder. Il me fit un sourire complice, puis, retirant sa main, me tourna le dos.
Perplexe, je parvins à peine à balbutier :
— Papa, et la princesse Andromède ?
— Oui, m’encouragea Jeanne, qui n’avait rien manqué de l’attitude de son frère, a-t-elle aussi été changée en étoile ?
Mon père agita les mains pour nous faire taire :
— Oh là ! Il se fait tard et nous n’avons plus le temps pour d’autres légendes. Cependant, je peux bien vous révéler qu’Andromède est aussi une constellation qui brille à proximité de celle de Persée. Allons, les enfants, il est temps de rentrer.
Sur le sentier qui nous ramenait à la maison, j’imaginai le fier Persée m’emportant sur son superbe Pégase, toujours plus haut, jusqu’à toucher les étoiles.
Le lendemain matin, dès le petit déjeuner englouti, tante Yvonne délégua aux enfants la corvée de la cueillette des pommes. Je m’apprêtais à rapporter un panier rempli de fruits lorsque je surpris le beau Clément en train d’embrasser cette pimbêche de Marianne, la fille du fermier voisin. Tous deux se croyaient à l’abri des regards, cachés derrière la grange.
Pour que personne ne voie la déconfiture qui se dessinait sur mon visage, je m’enfuis en courant vers la mare aux grenouilles. En pleurant, je me laissai tomber dans l’herbe haute de la berge.
Ce jour-là, je vécus mon premier chagrin d’amour. Bien qu’éphémère, il écorcha mon cœur, mais probablement davantage ma fierté. Pourtant, je n’en retins aucune leçon marquante sur les frêles illusions et les égarements du cœur.
* * *
En vieillissant, mon frère Joseph se lassa de ces séances nocturnes. Il aimait mieux la compagnie de ses camarades ainsi que des jeunes filles qui lui tournaient autour comme des mouches attirées par du miel.
Dès qu’elle sut lire, ma sœur Geneviève en fit autant et se réfugia dans la poésie. Les œuvres de Ronsard, de Brantôme et de Marguerite de Valois trouvaient, en elle, une fervente admiratrice.
Tu le sais mieux que quiconque, pour ma part, même lorsque le théâtre fut une étonnante révélation et devint l’essence vitale de mon existence, la passion des étoiles ne me quitta jamais. À l’instar de Clarice dans La veuve de Corneille, qui se confiait aux arbres et aux fleurs, je livrais mes états d’âme à ces minuscules astres. Oh ! Combien de fois ai-je divagué, pleuré et dansé sous leur brillant éclat ?
Ainsi, confiante de la protection de ces tisseuses de destinées, j’entrai dans ma dix-septième année, sûre de moi et quelque peu indisciplinée. J’étais devenue une charmante jeune femme dont l’abondante chevelure rousse et les formes sveltes semblaient plaire à bien des galants.
Je te rappelle que, vers 1635, une nouvelle mode s’emparait de la noblesse et de la bourgeoisie parisiennes, mettant le théâtre au goût du jour. Il était dorénavant convenable et même très bien vu de se rencontrer au nouveau théâtre du Marais, situé sur la rue Vieille-du-Temple. Influencés par cet engouement, mes parents se mirent à le fréquenter avec nombre de leurs amis. On y jouait des farces et des pièces écrites par de jeunes auteurs qui espéraient avoir la chance de se faire connaître et de vivre de leurs œuvres.
Fervent spectateur de ces représentations, c’est ainsi que mon frère Joseph décida de se joindre à la troupe. Je crus d’abord que cela n’était que bravade de sa part afin d’impressionner ses admiratrices. Cependant, je dus admettre qu’il s’intéressait vraiment à la vie de la scène lorsqu’il décida d’emménager avec les comédiens, délaissant ses anciens compagnons.
De mon côté, j’étais fascinée par celui qui deviendra plus tard l’un de nos amis, le comédien Jodelet. Déjà, à l’époque, il déployait un tel talent sur les planches, réussissant à faire rire l’assemblée, des jeunots aux vieillards, d’une grimace ou d’un faux pas.
Était-ce l’influence de mon frère aîné ou celle de ce remarquable mime ? Je décidai à mon tour de me faire comédienne. Divertir les gens, leur faire oublier le dur quotidien, les enivrer de récits d’amour et d’aventure, n’était-ce pas là le plus beau métier du monde ? Si à mes débuts j’en doutai,
