Explorez plus de 1,5 million de livres audio et livres électroniques gratuitement pendant  jours.

À partir de $11.99/mois après l'essai. Annulez à tout moment.

Amour et inspiration: Muses, artistes et collectionneurs
Amour et inspiration: Muses, artistes et collectionneurs
Amour et inspiration: Muses, artistes et collectionneurs
Livre électronique239 pages2 heures

Amour et inspiration: Muses, artistes et collectionneurs

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Vladimir Fédorovski nous dévoile les secrets des plus grands créateurs du XXe siècle. Enigmatiques, flamboyants, magnifiques, ils traversèrent le siècle comme une fulgurante traînée de poudre, suscitant passions et émerveillement. Mêlant l’amour à l’art, la poésie et la politique, Vladimir Fédorovski propose aux lecteurs un voyage dans le temps et dans l’espace.
De Matisse à Picasso, de Chagall à Modigliani, il nous offre une méditation sur les mystères de la création, éclairant d’une nouvelle lumière le rôle des muses et des collectionneurs… tous des artistes à leur manière. Comment les collectionneurs russes Morozov et Chtchoukine ont-ils pu influencer l’itinéraire artistique de Picasso et Matisse ? Qui fut Lydia, sa muse cachée ? Pourquoi Diaghilev devint-il un des personnages les plus illustres de l’univers artistique mondial, créant au sein de sa compagnie des Ballets Russes une étonnante symbiose du geste, de la musique, de la poésie et de la peinture ? Comment se réalisa « la magie », l’inspiration réciproque entre Rudolf Noureev et Margot Fonteyn ?
À partir de ses souvenirs des rencontres avec des personnalités extraordinaires, Vladimir Fédorovski raconte des histoires, souvent secrètes, mal ou peu connues, évoquant le rôle exceptionnel de ces inspirateurs et inspiratrices dans le tissage et le métissage des relations entre la France et la Russie. Un voyage inédit qui marquera le destin de d’auteur. Dans le droit fil du célèbre best-seller de Vladimir Fédorovski Le roman de Saint-Pétersbourg, cette ode à l’art et à l’amour, aux artistes et à leurs inspiratrices, nous invite au rêve et au voyage.
LangueFrançais
ÉditeurBalland
Date de sortie28 févr. 2022
ISBN9782940719174
Amour et inspiration: Muses, artistes et collectionneurs

Auteurs associés

Lié à Amour et inspiration

Livres électroniques liés

Artistes et musiciens pour vous

Voir plus

Catégories liées

Avis sur Amour et inspiration

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Amour et inspiration - Vladimir Fédorovski

    PREMIÈRE PARTIE LE ROMAN DE MA JEUNESSE

    L’URSS ou j’ai grandi était un État particulier : un feuilletage d’ethnies, de féodalités et de clientèles. Nous tous qui sommes nés dans ce pays avions été façonnés et rabotés, de l’école maternelle où Lénine, du haut de ses bustes et de ses icônes, commençait à promener sur nous son sourire de satyre chauve, jusqu’à l’armée, où le culte du dieu embaumé cédait sa place à celui, non moins universel, d’une Géante aux hanches de fer, la Patrie. Le plus grand État du monde par la superficie, la plus forte production d’acier et d’électricité, le plus grand nombre de divisions blindées, d’engins nucléaires, de missiles, de satellites artificiels...

    Il me fallait donc savoir assumer cette première identité avec naturel et aisance. Mais chacun portait, en dessous, contre sa peau, contre son cœur, une deuxième identité, fort différente : la « civilisation » au sens que ce mot revêtait chez nous, c’est-à-dire la grande histoire de la Russie éternelle. Cette grande histoire charriait l’origine ethnique et religieuse, la littérature, l’art, la musique russe, la famille, le souvenir de deuils bien précis et d’épreuves souvent atroces, les amitiés qui avaient jalonné les destins des parents et parfois des grandsparents, les fraternités nouées au travail, à la guerre, en prison, au goulag, les complicités tissées dans la chasse amoureuse, les beuveries, les trafics, les crimes, et parfois la dissidence. Jusqu’à un certain point, cette autre identité était presque aussi officielle que la première : la nationalité, par exemple, était portée sur les actes de naissance, de mariage ou de décès, sur le livret militaire ou universitaire, ou sur l’indispensable passeport intérieur ; et dès que l’on entrait dans le cursus du pouvoir, en étant coopté dans les institutions d’État, académies, instituts, ministères, on devait se pourvoir d’une biographie couvrant non seulement les études et la carrière professionnelle, mais aussi l’environnement familial. Passé un certain point, cependant, le mystère était de mise. Chacun avait intérêt à modifier ou à travestir le profil officiel : les membres de nationalités minoritaires préféraient passer pour des Russes, les juifs pour des non-juifs, les musulmans pour des descendants de Tatars christianisés et russifiés de longue date ; et selon les fluctuations de la haute politique, certaines attaches familiales illustres, ou certaines amitiés, cessaient d’être des atouts. Mais, surtout, ne rien cacher dans un système soviétique où le secret était consubstantiel au pouvoir ; la limousine noire aux rideaux gris tirés en était le signe vulgaire. Entre amis, on soulevait le voile : on aimait entendre d’où l’on venait vraiment – à moins que ces confidences ne ressortissent à une forme plus élaborée encore d’ambiguïté. Les Russes de souche se déclaraient soudain furieusement orthodoxes, quand bien même cela ne consistait qu’à collectionner des icônes et à visiter, les dimanches après-midi, les églises et monastères qui subsistaient encore à l’orée des grandes villes. Les juifs ânonnaient quelques mots de yiddish ou d’hébreu. Les Arméniens et les Géorgiens entonnaient un chant triste. Ensuite, on passait à table ; les différences, après avoir séparé, réunissaient : les uns offraient la viande des chasseurs, les autres leurs boulettes de poisson et leurs pains nattés, les Caucasiens leurs brochettes et leurs vins. Tous redevenaient Citoyens de ce pays.

    Une troisième identité – la seule qui, en définitive, comptât – s’acquérait par soi-même, par son destin : par le travail et le talent d’abord, et ensuite au fil de rencontres, de services rendus, de mérites reconnus ou parfois d’une inspiration secrète.

    L’ambassade des princes

    J’ai fait mes études supérieures au Mgimo, l’Institut des Relations internationales de Moscou. L’un dans l’autre, c’était alors pour l’URSS ce que Sciences Po pouvait être pour la France. 90 % des cadres du ministère soviétique des Affaires étrangères étaient issus de cet établissement. Je devins ainsi un diplomate du Kremlin sous l’administration de Brejnev. Le fait de maîtriser plusieurs langues étrangères fut un véritable tremplin : je parlais l’anglais, bien sûr ; le français, idiome de prestige par excellence et de surcroît langue diplomatique de l’Union soviétique ; et l’arabe, exotique, difficile, mais dont l’importance stratégique se confirmait à mesure que ce pays renforçait son alliance « antiimpérialiste » avec le monde islamique.

    Au début des années 1970, je fus envoyé à l’autre bout du monde, à Nouakchott, en Mauritanie, en qualité d’attaché d’ambassade. Bien qu’on y fût complètement coupé de l’Europe, ce pays me permit de découvrir l’Occident. Entre désert et océan, on y trouvait les vestiges du passage de Saint-Exupéry et, au total, deux cents étrangers, qui arpentaient les trois seules rues goudronnées de la ville !

    Je n’aurais en principe pas dû quitter le monde arabe. J’eus cependant l’opportunité de servir d’interprète à un vice-ministre des Affaires étrangères en visite en Mauritanie, qui traitait des relations avec les pays arabes et tout spécialement de la préparation des négociations avec Leonid Brejnev, chef du Kremlin de l’époque.

    Je savais que ce dernier souffrait d’un grave problème de surdité : je m’appliquai donc à forcer ma voix et à soigner mon articulation, de sorte qu’il m’entendit, me remarqua, et s’en remit dès lors à mes services.

    Je me retrouvai ainsi, au cœur des années 1970, interprète au Kremlin. En somme, je dois ma carrière à la surdité de Brejnev autant qu’à ma maîtrise des langues arabe et française ! On me convoqua une première fois à l’occasion de négociations avec le président algérien Houari Boumédiène : celui-ci utilisait parfois des formes dialectales influencées par le français, et on avait jugé opportun, en haut lieu, de faire intervenir quelqu’un qui parlât également la langue de Molière.

    Le chef du Kremlin fut satisfait de ma prestation et me fit revenir auprès d’autres leaders arabes, du Libyen Muammar Kadhafi au Palestinien Yasser Arafat. À la vérité, la tâche n’était pas trop ardue : ces entretiens se déroulaient à un niveau très général et dans un ruissellement de termes abstraits. Une fois les deux parties rassurées sur leur affection réciproque et leur convergence d’intérêts face à l’Occident, les détails de leur coopération étaient laissés, d’un côté comme de l’autre, aux exécutants. Ces deux années passées au service de Brejnev, dont les facultés ne cessaient de s’amoindrir, me permirent également de connaître plus étroitement son entourage.

    Durant toute cette période, ma femme Irina enseignait le français à l’École supérieure des langues vivantes, qui portait à l’époque le nom de Maurice-Thorez. Comme elle en était l’une des plus jeunes recrues, on lui avait assigné les heures de cours les plus inconfortables : 8 heures du matin ou 10 heures du soir (pour ceux qui suivaient une formation en soirée). Elle devait aussi remplacer, sans rétribution supplémentaire, les professeurs absents pour cause de maladie et prendre part à la vie publique de la faculté, c’est-à-dire assister aux interminables réunions, aux débats, rédiger des articles et lire des thèses. À cela s’ajoutaient trois heures quotidiennes de transport.

    Un soir de 1977, je rentrai chez moi en annonçant à Irina que, « si tout allait bien » – l’éternel refrain des Russes –, nous partirions bientôt pour la France. Brejnev m’avait en effet demandé un beau jour quelle affectation me « ferait plaisir » au sein du service diplomatique. Du tac au tac, je lui avais répondu : « Paris ».

    C’était tout de même culotté, car je n’ignorais pas qu’il s’agissait de « l’ambassade des princes et des princesses », réservée aux fils et aux filles des plus puissants hiérarques. Mais la faveur du secrétaire général à mon endroit l’emporta sur toute autre considération, et je fus nommé attaché culturel à Paris. Inutile de dire que, ce soir-là, Irina eut peine à croire à un tel miracle. La France, c’était pour les enfants des conseillers de Brejnev et des hauts fonctionnaires du KGB, certainement pas pour nous !

    Le train nous mena d’est en ouest et nous découvrîmes successivement la désolation des plaines polonaises, la timidité cossue des villes allemandes, les canaux belges, puis enfin Paris. À dire vrai, je réalisais ainsi le rêve de mon adolescence : à 14 ans, je m’imaginais déjà rédigeant mes livres à la terrasse des Deux Magots ...

    L’arrivée à Paris fut une surprise pour notre couple qui n’avait entrevu la capitale française qu’à travers la littérature. Un éblouissement aussi devant les petites choses de la vie, les rues séchées par le soleil après la pluie, les tulipes au printemps, la splendeur de l’architecture tandis qu’à Moscou, il faisait encore très froid …

    À la vieille chancellerie de l’ambassade de la rue de Grenelle, l’hôtel d’Estrées, héritage des tsars, on respirait encore une odeur de grande puissance. Cependant, mon affectation survenait au moment même où l’on inaugurait les nouveaux bâtiments du boulevard Lannes, dont la construction avait débuté en 1972 : le Bunker, comme on n’avait pas tardé à le surnommer. Derrière ses façades austères et démesurées, on s’enfonçait dans le monde totalitaire. Isolée du XVIe arrondissement bourgeois par une grande avenue, rejetée vers le périphérique et un bois de Boulogne voué à la prostitution la plus sordide, la nouvelle ambassade avait d’ailleurs moins pour fonction de représenter l’URSS que de concentrer le personnel soviétique parisien en un site unique, où il était plus facile de le surveiller. Certes, l’architecture occidentale de l’époque n’était pas particulièrement élégante. Mais cette espèce de forteresse de 100 mètres sur 35 allait bien au-delà de la laideur : un bric-à-brac de piliers de béton et d’escaliers monumentaux qui ne menaient nulle part, à l’image du pays au temps de Brejnev.

    Par mesure de précaution, nous n’évoquions jamais à l’ambassade, ni même à couvert, dans notre voiture, les choses importantes, au cas où nous aurions été placés sous surveillance. Cette quarantaine, toutefois, ne pouvait être totale, surtout pour l’attaché culturel que j’étais.

    Nous vivions d’ailleurs de plus en plus sur deux niveaux : pour nous, comme nous le voulions ; pour eux, tel qu’ils l’exigeaient de nous. Plus nos yeux se dessillaient sur le monde, plus nous nous sentions honteux de ce qui se passait en URSS, marquée par la corruption et la dégradation sinon la sénilité de la nomenclature. Nous nous disions que cela ne pouvait plus durer. Mais cela perdurait tout de même…

    On ne saurait cependant rompre brutalement le cordon ombilical d’un système dans lequel nous avions toujours vécu : on ne se révolte pas du jour au lendemain, il s’agit bien au contraire d’une affaire de mois, d’années, d’allers nombreux et de retours multiples. Puis un jour, on bascule. On cesse de se soumettre. Cela semble soudain, naturel, comme si se comporter autrement paraissait désormais inconcevable.

    Ce n’est pas une question de courage, plutôt une évidence, un glissement inéluctable qui m’amena à devenir porte-parole du mouvement des réformes démocratiques pendant la résistance au putsch paléo-communiste d’août 1991.

    Okoudjava ou la rupture

    Un jour, en effet, nous avons basculé. Nous nous sommes révoltés. Cela paraît soudain tout simple.

    En ce qui me concerne, tout s’est joué pendant l’affaire Okoudjava, au début des années quatrevingts.

    Boulat Okoudjava fut, avec Vladimir Vissotski, le plus grand auteur-compositeur populaire russe de la fin du XXe siècle. Peut-être les Français du début du XXIe siècle ne savent-ils plus ce que cela signifie : un inventeur, créateur et interprète d’histoires et mélodies à la fois si fortes et si simples que chacun les apprendra à son tour, et les chantera en famille ou avec ses amis ; Brassens, avec La Chanson de lAuvergnat et Les Copains dabord, fut peut-être leur dernier poète de ce genre. Mais chez nous, en Russie, ces hommes gardent toute leur importance et leur prestige. Vissotski, qui fut le mari de Marina Vlady, et qui disparut dès 1980, avait créé un genre hybride en mêlant l’épopée et l’humour noir : d’une voix éraillée par le tabac et l’alcool, sur des accompagnements de guitare secs et obsédants, il parlait de la guerre, de la Grande Terreur, de la misère, du dévouement surhumain d’un peuple tout entier pour une patrie aux yeux crevés.

    Okoudjava, lui, était un élégiaque. Il chantait comme on joue du violon, sur un long vibrato. Son sujet était le destin individuel, les plaisirs fugaces et les peines secrètes. Okoudjava devint ainsi une des sources de l’inspiration de ma prime jeunesse sinon l’inspirateur de toute une génération de Russes à l’origine de la pérestroïka.

    Depuis 1968, il lui arrivait de venir à Paris. Je n’imaginais pas ne pas lui rendre visite, bien qu’il fût un peu incongru, de la part de l’officiel que j’étais, de me montrer avec ce rebelle – et vice-versa. Lors de notre première rencontre au Fouquets, il portait l’insigne du syndicat polonais Solidarnosc au revers de sa veste de velours, et moi, un costume trois pièces. Nous devînmes pourtant amis. J’en étais très fier.

    Au tout début de l’année 1982, un ami me joignit pour me signifier que le fils d’un des conseillers de Brejnev était en passe de me remplacer. Quelques semaines avant mon retour à Moscou, je dus contresigner un télégramme où Okoudjava était présenté comme « l’animateur d’un réseau clandestin antisoviétique ». Ce contreseing était de nature strictement technique : rien ne m’autorisait à m’opposer au contenu du message.

    Que faire ?

    Je savais que si je m’exécutais, je perdrais tout amour-propre. Et que si je ne le faisais pas, je m’exposerais aux sanctions les plus lourdes. J’eus alors l’idée d’en parler au numéro deux de l’ambassade, le ministre-conseiller Nikolaï Nikolayevitch Afanassievki. Nous appartenions, au sein du ministère des Affaires étrangères, à la même filière : celle des Africains, l’équivalent exact de ce que l’on appelle, au Quai d’Orsay, le service Afrique-Moyen-Orient. Il était pour sa part un Africain véritable, spécialiste des anciennes colonies françaises situées au sud du Sahara, tandis que j’étais, pour ma part, un arabisant.

    « Nikolaï Nikolayevitch, lui dis-je, ce télégramme ne correspond à rien ! Okoudjava n’est qu’un grand poète. Et d’ailleurs, c’est le chanteur préféré de la petite-fille de Brejnev… Je le sais, puisque c’est moi qui lui ai servi de guide à Paris lors de sa dernière visite... »

    Afanassievski me répondit : « En effet, c’est une affaire sérieuse. Si le télégramme remonte au Politburo du Comité central, Okoudjava en a pour dix ans de taule au moins. Je t’arrange tout de suite un entretien en privé avec l’ambassadeur... Il sait, n’estce pas, pour la petite-fille de Brejnev ? »

    L’ambassadeur n’était autre que Stéphane Vassiliévitch Tchernovenko. Il avait été ambassadeur à Pékin en 1961, lors de la rupture avec Mao, et à Prague en 1968, lors de la normalisation soviétique. Je jouais à quitte ou double.

    « La famille du secrétaire général aime bien Okoudjava ? » demanda l’ambassadeur, étonné. « Et quelle chanson, en particulier ? Faites-moi écouter cela tout de suite… »

    Je passai Bielorousski Vogzal, La gare de Biélorussie, une chanson consacrée à la guerre : c’est de cette gare que les conscrits de la région de Moscou partaient pour le front. Quand il eut

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1