Congo, Le Septième lot: Fiction historique
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean-Claude MARLAIR, né à Beauraing en 1943, est officier retraité. Si, aujourd’hui, il ne vit plus en Afrique, il vit toujours avec le Congo, au rythme de ses amis de là-bas, de leurs espoirs si souvent fauchés, de leurs luttes. Il partage leur rire et leur idéal, il connaît les turpitudes, les trahisons, qu’elles soient le fait des individus ou des plus hautes autorités. Il a eu le temps de mesurer les ambiguïtés, les petites lâchetés quotidiennes d’une certaine Belgique, ses élans aussi, ses remords, face au Rwanda, face au spectre de Lumumba. C’est l’Afrique qu’il nous rend au fil des récits qui se croisent. Un fil que le lecteur ne lâchera pas de sitôt…
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Avis sur Congo, Le Septième lot
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Aperçu du livre
Congo, Le Septième lot - Jean-Claude Marlair
CONGO
LE SEPTIÈME LOT
DU MÊME AUTEUR
CHEZ D'AUTRES ÉDITEURS
Les diamants du diable, (chez l’auteur), 1981
Avant que tous ne pleurent, Franck, 1983
Les rêves des Noko, Foxmaster, 1993
Rwanda, Les chemins de la mort, La Longue Vue, 1997
Jean-Claude Marlair
Congo
Le Septième lot
Récit
Avec la participation de
Marceline Okenge Yumbi
Prof. Kadima-Tshimanga
Préface de
Colette Braeckman
LeCriLogoCatalogue sur simple demande.
www.lecri.be lecri@skynet.be
(La version originale papier de cet ouvrage a été publiée avec l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles)
La version numérique a été réalisée en partenariat avec le CNL
(Centre National du Livre - FR)
CNL-LogoISBN 978-2-8710-6722-1
© Le Cri édition,
Av Leopold Wiener, 18
B-1170 Bruxelles
En couverture : Composition à partir du drapeau congolais et d'une statuette de l’auteur (collection privée).
Tous droits de reproduction, par quelque procédé que ce soit, d’adaptation ou de traduction, réservés pour tous pays.
PRÉFACE
Des « fantômes du roi Léopold » jusqu’à la mise à l’écart puis l’assassinat de Lumumba, tout ou presque n’a-t-il pas été dit sur la manière dont l’immense territoire congolais a été conquis, mis en coupe, puis dirigé par un dictateur soutenu par l’Occident ? On croyait tout savoir, avoir arpenté tout le domaine du connu. Mais on avait oublié la part du rêve... Négligé la vision de cette vente publique qui court sur plus d’un siècle, où se croisent les personnages les plus divers, où des troubadours, des conteurs soudain mêlent leurs voix, concourent pour le plus lyrique, le plus disert, le plus émouvant aussi.
Jean-Claude Marlair, s’il ne vit plus en Afrique, vit toujours avec le Congo, au rythme de ses amis de là-bas, de leurs espoirs si souvent fauchés, de leurs luttes. Il partage leur rire et leur idéal, il connaît les turpitudes, les trahisons, qu’elles soient le fait des individus ou des plus hautes autorités. Il a eu le temps de mesurer les ambiguïtés, les petites lâchetés quotidiennes d’une certaine Belgique, ses élans aussi, ses remords, face au Rwanda, face au spectre de Lumumba.
On croyait qu’il avait dit tout ce qu’il savait, fait partager ses révoltes, sa colère, ses informations, souvent précieuses et inédites. Et bien non, il n’avait pas encore tout dit ! Ou plutôt, il n’avait pas encore tout écouté et tout retransmis, des récits, des évocations, des souvenirs... C’est pourquoi cet ouvrage, au premier abord surprend. Par sa forme : une mise aux enchères, dans un beau village de Thiérache, où se rassemblent voisins et amis, comme en Afrique autour du feu ou d’un casier de bière. Le climat est différent, mais la convivialité est pareille et Monsieur Lusongo anime la veillée qui se déroule au rythme des souvenirs de chacun. Ce détour par la fiction permet à Marlair, qui prête sa plume au conteur, de décoller soudain. Il se retrouve à Bunkeya, où Msiri, le grand chef des Bayeke, essaie de résister à l’avancée des Blancs. Il ruse, il louvoie, puis finalement la mort le cueille, en même temps que Bodson le conquérant, tandis que l’État indépendant du Congo fait main basse sur le Katanga. C’est la fin d’un royaume africain, le premier lot des enchères a été emporté par le plus audacieux. Les autres séquences suivent, où l’on voit la Force Publique conquérir et occuper les territoires, surveiller le travail forcé, traquer les récalcitrants. Peu à peu, une nation se crée et les conteurs qui se succèdent donnent soudain une cohérence à cette longue construction historique, où l’on voit le colonisateur, désireux d’instaurer l’ordre des Blancs, donner peu à peu naissance à une nation, malaxer la glaise des tribus, secouer les particularismes pour couler dans un immense moule ce qui deviendra le Congo, avec sa richesse, sa plénitude, mais aussi son aspiration à l’unité. Une aspiration qui, ces dernières années encore, a fait obstacle aux projets de démembrement, voire de mise sous tutelle.
La Force Publique, la territoriale, tout cela c’est du passé. Un passé que les conteurs font revivre avec éloquence et passion, mais qui s’efface volontiers devant le présent. Car l’indépendance, c’était hier. Les principaux acteurs ont disparu, ou sont sur le point de perdre pied, mais la mémoire subsiste. Mémoire de tant d’espérance, de tant d’atouts, de tant de gaspillage, de trahisons. À nouveau, les personnages défilent, il y a les « modérés », les « amis des Belges » et puis Lumumba, l’homme à abattre, considéré comme un « communiste », il y a la colère aussi, face aux rêves que l’on assassine, au droit que l’on confisque, le droit de tout peuple de choisir lui-même ses dirigeants, de se construire en harmonie avec ses propres besoins, ses propres valeurs.
Cette histoire-là, telle qu’elle est censée être narrée au public chaleureux d’une veillée ardennaise, fait encore vibrer. Grâce au talent du conteur certes, mais aussi par son actualité. Car des assassinats, il y en a encore eu, dans cette région, les hommes qui ne plaisent pas, ou plus, aux Occidentaux ne meurent pas dans leur lit. Et puis, bien sûr, il y a le Zaïre de Mobutu, le Rwanda du génocide, que les Belges abandonnèrent à ses démons après la mort de dix d’entre eux. Et à la fin de cette évocation, le conteur soudain s’emporte, se laisse gagner par la colère. Une belle, oserait-on dire une sainte colère. Colère face à cette terre déchirée, ces hommes sacrifiés par milliers, jetés par brassées comme des feuilles mortes, ces cohortes de réfugiés, de déplacés, d’enfants soldats, de femmes violées. Cette colère-là vient du plus profond, elle jaillit comme un grand cri d’humanité, de révolte, elle fait soudain trembler Frasnes-lez-Couvin où un soleil rouge tarde à se coucher.
Voilà un livre qui vient de loin, comme un cri longtemps réfréné, un récit qui mérite d’être entendu, même si, au-delà de sa forme ludique, déconcertante, il fait mal. Mal à l’Afrique ? Mal au Congo ? Avant tout c’est à nous qu’il fait mal, ce livre, à nous tous qui avons détourné les yeux, refusé de savoir et d’entendre, oublié d’intervenir pour empêcher le désastre.
Monsieur Lusongo est un maître magicien : sitôt que son récit commence à se dévider, le charme opère, et malgré le chagrin, la révolte qui finissent par éclipser les évocations enthousiastes des débuts, c’est l’Afrique qu’il nous rend au fil des récits qui se croisent. Un fil que le lecteur ne lâchera pas de sitôt…
Colette Braeckman
Au bon peuple de Belgique
I
« Approchez, messieurs dames, s’il vous plaît approchez !
Approchez à la vente aux enchères,
Préparez la monnaie.
Moi je suis là pour vendre et vous pour acheter,
Des lots exceptionnels, des prix exceptionnels,
Du rêve pour pas cher
À ma vente aux enchères ! »
Sur les planches de l’Olympia, en commissaire-priseur à la fois poète et saltimbanque, Gilbert Bécaud fait un tabac. Le geste engageant, la voix généreuse comme toujours, Monsieur 100 000 volts marchande un coup de pied au cul, un grand amour, une mort de gala. Ce n’est pas du vent, non non, mais de l’authentique, du vrai de vrai, du mieux que fantastique, pardi ! Son inséparable Monsieur Pointu malmène son violon, geste saccadé, cheveu grisonnant, corps aminci de l’échalas qui vit là des moments de gloire. Et, même sur sa bouille enfarinée d’infatigable farceur, trente années de carrière marquent leur homme.
« Moi qui ai des souvenirs
À ne plus savoir qu’en faire… ai… aire…
Vous pouvez vous les offrir comme ça
À la vente aux enchères, ouais !
Jouez, jouez Monsieur Pointu, tiloué !
Bonnes, bonnes, bonnes bonnes gens
Approchez… approchez donc… approchez
Serrez le rond
Ça va commencer… ouais ! »
Dans le public, ça décoiffe, ça déménage. On bat des mains, on frappe du pied pour se donner la cadence, heureux, superbe à cette vente aux enchères-là. Passion du verbe, ferveur du geste, Bécaud ramasse ses souvenirs à pleines brassées et les balance à ses fidèles, Monsieur Pointu maintenant dodeline de la tête, grimace de vieux singe prêt à faire flamber les prix.
Sur mon dessus de cheminée, aussi filiforme que Monsieur Pointu, une statuette africaine faite de laiton semble m’inviter à la danse. Un cadeau de mon pote Kadima-Tshimanga à je ne sais plus quelle occasion, pour faire plaisir, tout bonnement. Une apparence de visage, un vrai regard pourtant. Soudain, plus de Bécaud, envolé Monsieur Pointu, disparu l’Olympia ! Plus de téléviseur, plus de cheminée ! Rien ne subsiste du cliquetis de la vaisselle que ma femme range tout à son aise, des parlotes de ma petite-fille Jennifer racontant à Éva et à Boris les derniers exploits de Harry Potter à l’école des sorciers. En contrepartie, un ciel superbe, bleu comme l’été qui s’avance, un soleil triomphant au zénith et, surgissant de je ne sais où, un vieux nègre au visage émacié et peinturluré de kaolin. Aladin et le bon Génie de la Lampe mystérieuse à la sauce africaine ?
Pareille aux formes tortueuses de la statuette et prenant l’allure d’escogriffe de Monsieur Pointu, l’apparition éclate de rire et, des deux mains, se met à frapper un tambour serré entre les genoux. La berlue ? Ou un rêve ?… Et ça parle en plus !
— Ne t’en fais pas, mon frère, je suis ton Monsieur Pointu à toi, à toi tout seul.
— Mais que… qui qui… que que… heu…
— Chez moi, au Congo, je suis griot de profession, raconteur d’histoires, gardien des légendes… Monsieur Pointu, quoi !
— De quelle région proviens-tu donc, Monsieur… Monsieur… ?
— De tout le Congo, ha ha ! On m’appelle Songe à Kinshasa, au Katanga c’est Chongo. Et au Kasaï, Pointu se dit Lusongu. Alors, on va pas se chamailler pour un peu de vocabulaire tout de même ! Appelle-moi donc Monsieur Lusongo, tout simplement, et tout le monde s’y retrouvera…
— Et tu joues du tam-tam en plus ?
— Hi hi, mon frère, suis poète aussi, un peu sorcier sur les bords, tu devines bien…
Et il se met à tambouriner de plus belle, entame un sacré pas de danse.
« Moi qui ai des souvenirs
À ne plus savoir qu’en faire… ai… aire…
Vous pouvez vous les offrir comme ça
À ma vente aux enchères… »
Monsieur Lusongo, fantasmagorie ou réalité, je ne sais plus très bien, trouve le rythme qui plairait à Bécaud. Tout fier de lui, son regard de vieille fripouille porte dans les environs immédiats.
« Bonnes, bonnes, bonnes bonnes gens
Approchez… approchez donc… »
— Si tu veux, rigole-t-il, on va refiler nos souvenirs à tes voisins, à tes amis, aux autres… ben oui, aux autres aussi !… Mais fais gaffe, hein, on partage cinquante cinquante… griot de première classe, c’est pas donné !
— On peut discuter les prix, tout de même ?
— Pas l’temps, les acheteurs rappliquent !
« Approchez, messieurs dames, s’il vous plaît approchez !
Approchez à la vente aux enchères,
Préparez la monnaie.
Moi je suis là pour vendre et vous pour acheter,
Des lots exceptionnels, des prix exceptionnels,
Du rêve pour pas cher
À ma vente aux enchères ! »
C’est qu’il dit vrai, Monsieur Lusongo : les voisins s’amènent ! Alfred grimpe la côte à petits pas nerveux, comme toujours, pour tomber à pic au cas où l’on aurait besoin de lui. Bernadette, bottée, gantée, suspend son labeur. Cela donne du cœur au ventre de la voir ainsi biner, sarcler, planter, aller et venir maintenant que les beaux jours sont de retour. Michel stoppe son tracteur. C’est qu’il a de la besogne, monsieur Belleflamme, et, s’il devait en manquer un jour, sûr qu’il en inventerait. Jean-Marie vient du haut de la rue, pantalon bleu et larges bretelles. Il a construit sa maison de ses propres mains, seul, il y a plus de trente ans de cela. Depuis lors, il ne lâche plus sa brouette, vous pensez bien !
Plong… plong… plong plong plong, reprend le tambour. Monsieur Lusongo dresse le programme, pressé de passer aux actes, m’invite à jouer le rôle de crieur public.
« Bonnes, bonnes, bonnes bonnes gens
Approchez… approchez donc… approchez
Serrez le rond
Ça va commencer, ouais ! »
Avec ma voix de crécelle et l’accent du terroir, ça passe tout de même. Le Noir au visage sans âge m’encourage, me dope. À moi de lancer les enchères, à lui de déballer la marchandise.
— On va leur raconter l’histoire, Monsieur Lusongo ?
— Attention, mon frère, pas n’importe quelle histoire, hein ! La mienne, la seule, la vraie… celle qui cogne là… boum boum boum… au fond de mon cœur…
— Pas la vérité historique, alors ?
— En tout cas, beurk ! Non non, pas celle écrite, fabriquée, trafiquée par l’homme pour se justifier à ses propres yeux, aux yeux de ses enfants. Pas celle qu’on nous a enseignée, à nous les Noirs, à coups de certitudes, de sermons, de remontrances, et à coups de chicotte même… L’histoire, la mienne, vécue, imaginée, rêvée, peu importe !… Ouais, celle du cœur, rien que cela !… Vas-y, à toi la donne !
Et, plong… plong… plong plong plong, répète le tambour.
« Préparez la monnaie,
Moi je suis là pour vendre et vous pour acheter,
Des lots exceptionnels, des prix exceptionnels,
Du rêve pour pas cher… »
Et ça passe encore, cré nom, je ne me savais pas aussi doué ! Mon griot s’est agenouillé. Quelques battements de tam-tam, plus doux, plus tendres, plus lents cette fois.
— Monsieur Lusongo, avant de commencer, dis, on accepte les cents, oui ou non ?
— Tout, tout, on prend tout, j’ai pas les moyens de faire la fine bouche, tss tss !… Mais du cash, hein !… Pas de chèque, ni de virement, encore moins des cartes de crédit… rubis sur l’ongle comme on ne dit pas chez moi… Et cinquante cinquante, c’était convenu ?… Tope là !
« Bonnes, bonnes, bonnes bonnes gens
Approchez… approchez donc… approchez
Serrez le rond
Ça va commencer, ouais ! »
— Monsieur Lusongo, s’il vous plaît !
— Premier lot, le beau, le grand, le déclenchement des hostilités, m’sieurs dames, écoutez le vieux nègre que je suis : un lot GÉ-NI-AL ! La mort, oui, la mooort, rien que cela !… Pas n’importe quelle mort, vous pensez bien ! La mort d’un roi, oui oui, vous avez compris, la mooort d’un grand roi !
— Mise à prix, Monsieur Lusongo ?
— Mise à prix : un euro, ouais, c’est parti !
Me voici pris au jeu, me dandinant d’une jambe à l’autre pour accrocher le rythme. Bécaud peut dormir tranquille dans son éternité, je ne vais quand même pas l’effacer du box-office !… Mais ce doit être un coup à Lusongo, ils sont tous un peu sorciers, ces Africains ! Et un griot de première classe qui plus est ! Haut les cœurs, ouf ouf, il va falloir convaincre, allécher, placer notre camelote.
— Un euro, Alfred, rien qu’un petit euro, un bel euro tout neuf, blinquant comme on dit ici… c’est pas cher pour la mort d’un roi !… Une mort en pleine gloire… un euro cinquante cents pour Bernadette, bel effort… et là Jean-Marie, tu te tâtes, t’aimes pas acheter un chat dans un sac, hein ? Faut voir ?… Monsieur Belleflamme, Michel, oui, un euro soixante… ? Il a les moyens ! Monsieur Lusongo, un euro soixante, c’est bon ça ?
— Vendu !
Le poète-musicien-sorcier s’est accroupi. Son regard serein porte au-delà des contreforts de la Meuse, par delà les forêts de Thiérache. Sa voix prend le timbre de la douceur, du recueillement presque.
Et il raconte son histoire.
La mort d’un roi
C’était un fleuve gigantesque, capable de remplir l’océan en trois belles saisons.
C’était un fleuve prodigieux, père nourricier roulant ses flots alluvionnaires au nom du Tout-Puissant, au bénéfice de l’homme.
C’était le fleuve Congo, ordonnateur suprême de paysages infinis, flânant de forêt en forêt, lézardant de savane en savane, grondant de rapides en cataractes. D’abord appelé Lualaba dans son cours torrentueux, il bouillonnait aux Portes d’Enfer, buvait les eaux sombres des lacs Bengwelu et Mwero avant d’avaler au passage la Lukuga et le bleu du Tanganyika. Puis, une fois devenu Congo par hasard, des brumes cotonneuses du petit matin jusqu’au couchant écarlate et fabuleux, il s’étalait, paresseux dans sa dérive, majestueux dans sa démesure, immense entrelacs clinquant de mille feux aux approches de Mbandaka. Après ça, bien plus loin, toujours plus fort, invincible, il crevait rageusement le roc des monts de Cristal, triomphait encore du traquenard d’Inga pour grogner son plaisir, colossal et discipliné, à partir de Matadi. Et puis, apaisé à suffisance, assouvi, presque débonnaire même, il méritait enfin l’aboutissement, le mariage avec l’océan.
C’était notre fleuve, notre Congo, engendrant à lui seul autant de forces que ses cousins le Nil et le Zambèze réunis. C’était un fleuve passion, tantôt fringant comme un enfant, tantôt aussi lascif que nos femmes sur la couche, parfois démonté et indomptable comme nos hommes en colère. C’était le fleuve fondateur d’une Nation par la seule volonté des conquérants qui découvrirent des cieux, des terres, des hommes, que nous-mêmes ignorions.
Mais qu’importe après tout, puisqu’il était la vie !
Dieu seul connaît les douleurs endurées par les Blancs qui s’aventurèrent au cœur de l’Afrique à seule fin, d’abord, d’apprendre le tracé du Grand Fleuve et de ses affluents. Savorgnan de Brazza et Stanley, Böhm, Cameron et Speke, de Capello et Yvens, tant d’autres encore, ces pionniers d’un monde insolite nous dénichèrent dans notre simplicité et notre isolement, pénétrèrent la profondeur du continent, servis par des boussoles affolées et quelques cartes aussi confuses que leurs rêves enfiévrés, soutenus par des soldats et des porteurs indigènes, aidés par des guides et des interprètes qui les menaient de vallées en collines, de villages en chefferies. Charmeurs, gagneurs, audacieux, infiniment entêtés, ils fouillèrent le continent noir, ils souffrirent mille maux, ils moururent par pleines brassées quand d’autres prenaient la relève, toujours plus loin, toujours plus nombreux. Le Congo les stimulait, la terre de nos Ancêtres les obsédait, sans nulle autre raison que celle du conquérant, celle du plus fort.
Pourquoi, grand Dieu, pourquoi ce foutu Congo, capricieux et mystérieux, ne coulait-il pas comme tout fleuve qui se respecte, simplement, naturellement, à la recherche de l’océan ? Pourquoi, diable, cascader au Nord sans ambages pour fuir ensuite vers l’infini de l’Ouest et, après ça, repiquer plein Sud pour se moquer, tout cela sur près de cinq mille kilomètres ? Le Nil, lui, c’était un fleuve tranquille, voguant sagement au Nord à la rencontre de la Méditerranée. Et le Zambèze, jumeau du Lualaba dans leur berceau du mont Musofi, après une prestigieuse fantaisie pour affirmer sa splendeur africaine aux chutes Victoria, filait en droite ligne dans la plaine à la poursuite de l’océan Indien. Au moins, c’était sérieux tout cela !
Qu’est-ce qu’il lui passait donc par la tête au Congo, ce drôle qui embrouillait tout, donnait le tournis aux géographes, décimait sans façon les expéditions qui narguaient ses eaux et ses embûches, les hommes et leur fierté, le ciel et ses fureurs ? Ha ha, sûr, le Grand Fleuve nous protégeait, tout simplement, il nous gardait de l’appétit de l’Étranger, des rigueurs du temps, des pièges du monde nouveau ! Allez donc trouver une autre explication à ses jeux de cache-cache, à ses mille et une facéties !
Nous, les enfants du Congo, sa famille, sa raison d’être, nous assistions en fin de compte aux exploits des Blancs qui le défiaient, le raillaient, l’emportaient au prix de mille et cent sacrifices. Mystérieux et alléchants, grandioses et déroutants, le Congo et ses affluents livraient leurs secrets un à un, jalonnaient pas à pas la marche inexorable du conquérant.
Le destin, tracé par Dieu au rythme immuable des saisons, devait sans doute nous occuper plus que les avancées des Blancs qui commerçaient, traitaient, impressionnaient, promettaient.
Nous chantions et dansions les choses de la vie de tous les jours. Nous chantions et dansions l’enfant qui venait de naître, les garçons qui devenaient des hommes et songeaient déjà à courtiser et à doter nos filles aux seins effrontés. Nous chantions et dansions l’eau limpide jaillissant de nos coteaux, nos joies, nos triomphes, comme si nous étions nés pour ça !
Nous chantions et dansions le labeur quotidien, les pirogues remplies de poissons ruisselants, la chasse miraculeuse dans nos savanes giboyeuses, la cueillette des fruits et des baies sauvages dans nos forêts luxuriantes. Nous chantions et dansions notre chance comme si nous devions vivre pour ça !
Nous chantions et dansions les malheurs des uns et des autres, les maladies, la guerre, les deuils, nos peurs, les menaces de nos sorciers. Nous chantions et dansions notre chagrin comme si nous devions mourir pour ça !
Les étrangers blancs, eux, allaient et venaient, s’installaient, toujours plus forts, toujours plus prestigieux, plus arrogants aussi. Et nous chantions et nous dansions notre présence sur terre, les souvenirs de nos aînés, les paroles de nos chefs, la gloire de nos Ancêtres, parce que nous étions faits pour ça !
À vrai dire, nous nous faisions effectivement la guerre, quelques fois. Oh, ce n’était pas toujours simples péripéties ! Il fallait affirmer nos droits, garder nos terres, maintenir la coutume, obéir à nos lois. Nous menions le combat à notre façon, suivant la tradition. Quand la palabre entre chefs tournait à l’aigre, nous sortions armes et tambours de guerre. Alors, les camps en présence s’observaient, s’espionnaient, jouaient à la mangouste taquinant le serpent, offrant ainsi un peu de répit aux soldats, une dernière chance à la paix.
Puis, l’armée du plus fort, souvent quelques dizaines de guerriers, approchait le village de l’autre, laissant toujours aux femmes, aux enfants et aux vieillards le temps de trouver un refuge en brousse ou en forêt. Et les combattants se défiaient à force de cris, de tambourinages, de gestes, d’incantations, de fureurs. On exhibait gris-gris, peintures et panoplies de guerre. Des heures et des heures, on chantait et on dansait, on appelait les Ancêtres à la rescousse, les féticheurs grondaient leurs menaces. On chantait et on dansait à impressionner l’autre, à l’amener à la trêve, à choisir la soumission.
Après ça, les flèches sifflaient, les lances volaient, les machettes frappaient. Mais dès les premières victimes au sol, le plus faible se dévoilait et on revenait finalement à la palabre. Des jours et des nuits, notables, sages et chefs parlementaient alors, réglaient les litiges. On réparait les offenses, on remettait le butin au vainqueur, on payait le tribut au suzerain, on acceptait le servage en guise de garantie. Tout cela en conformité avec la coutume. Même si, de l’Est, les
