Explorez plus de 1,5 million de livres audio et livres électroniques gratuitement pendant  jours.

À partir de $11.99/mois après l'essai. Annulez à tout moment.

Quelle communication pour quel changement?: Les dessous du changement social
Quelle communication pour quel changement?: Les dessous du changement social
Quelle communication pour quel changement?: Les dessous du changement social
Livre électronique498 pages4 heures

Quelle communication pour quel changement?: Les dessous du changement social

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Internet, blogues, Web.2.0, mondialisation, culture, immigration, identité. Autant de termes qui illustrent le changement tel que vécu par des milliards d'individus à travers le monde. Est-on suffisamment outillé pour y faire face? Quels sont les enjeux cruciaux qui méritent d'être soulevés et analysés? Quels sont les défis de la communication face au changement? L'individu peut-il être réduit à l'usage des technologies ou à la réception des médias? Quelle place la recherche francophone en communication occupe-t-elle dans ce maelstrom?
LangueFrançais
ÉditeurPresses de l'Université du Québec
Date de sortie22 avr. 2011
ISBN9782760527287
Quelle communication pour quel changement?: Les dessous du changement social

En savoir plus sur Christian Agbobli

Auteurs associés

Lié à Quelle communication pour quel changement?

Livres électroniques liés

Études sur la culture populaire et les médias pour vous

Voir plus

Catégories liées

Avis sur Quelle communication pour quel changement?

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Quelle communication pour quel changement? - Christian Agbobli

    Quelle communication pour quel changement?

    Quelle communication pour quel changement?

    LES DESSOUS DU CHANGEMENT SOCIAL

    Sous la direction de

    Christian Agbobli

    2009

    Presses de l’Université du Québec

    Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bur. 450

    Québec (Québec) Canada G1V 2M2

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Vedette principale au titre:

    Quelle communication pour quel changement?: les dessous du changement social

    (Collection communication)

    Comprend des réf. bibliogr.

    ISBN 978-2-7605-2448-4

    ISBN 978-2-7605-2728-7 (epub)

    1. Communication – Aspect social. 2. Changement social. 3. Nouvelles technologies de l’information et de la communication. 4. Médias – Influence. 5. Communication – Recherche – Francophonie. I. Agbobli, Christian. II. Collection: Collection Communication (Presses de l’Université de Québec).

    HM1206.Q44 2009

    302.2

    C2009-941570-4

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIE) pour nos activités d’édition.

    La publication de cet ouvrage a été rendue possible grâce à l’aide financière de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC).

    Intérieur

    Mise en pages: Infoscan Collette-Québec

    Couverture

    Conception: Richard Hodgson

    1 2 3 4 5 6 7 8 9 PUQ 2009 9 8 7 6 5 4 3 2 1

    Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés

    © 2009 Presses de l’Université du Québec

    Dépôt légal – 3e trimestre 2009

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec / Bibliothèque et Archives canada imprimé au canada

    Pour Eva

    REMERCIEMENTS

    Il est toujours difficile de remercier tous ceux qui ont permis la réalisation de cet ouvrage puisqu’il constitue le fruit d’un véritable travail de collaboration.

    Je souhaiterais en premier lieu remercier les membres du comité scientifique qui se sont fortement impliqués dans ce projet qui, au départ, reposait sur la préparation d’une rencontre scientifique. Je pense surtout aux professeurs Ilhem Allagui, de l’American University of Sharjah, Osée Kamga, de Sudbury University, Alain Kiyindou, de l’Université de Strasbourg, Charles Moumouni, de l’Université Laval, Loum Ndiaga, de l’Université du Québec en Outaouais, et à mes collègues Magda Fusaro, Eric George, Gaby Hsab, Isabelle Mahy, Carmen Rico et Gina Stoiciu, de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

    Je tiens également à remercier la Faculté de communication ainsi que le Département de communication sociale et publique de l’UQAM pour le soutien qu’ils m’ont apporté. Je ne saurais oublier les membres du Groupe d’études et de recherches axées sur la communication internationale et interculturelle (GERACII), la Chaire Unesco-Bell en communication et développement international de l’UQAM ainsi que mes assistantes, Ophélie Raffin et Fatou Ndiaye, pour leur aide précieuse dans la préparation de cet ouvrage.

    Des remerciements particuliers à ma tendre Anne-Marie et à mes parents Florence et Maurille. Merci à toi, Anne-Marie, pour m’avoir soutenu pendant ces nuits et week-ends de travail au cours desquels, hélas, je n’ai pu être avec toi, Inès et Eva.

    Un merci spécial à Danielle Maisonneuve, directrice de collection ainsi qu’à toute l’équipe des Presses de l’Université du Québec qui ont cru en cet ouvrage et sans qui, il n’aurait pu exister.

    Pour terminer, je souhaite remercier tous les collaborateurs qui ont accepté de participer à cet ouvrage et qui, par la profondeur de leurs réflexions, lui assure une qualité indéniable.

    INTRODUCTION

    La notion de changement n’est pas nouvelle, ni dans le milieu de la recherche, ni dans l’histoire de l’humanité. Elle exprime le refus d’une forme d’anomie dans les idées ou les réalisations, tout en n’étant pas nécessairement intentionnelle. Les droits des travailleurs, le vote des femmes ou la fin de l’apartheid peuvent refléter le changement dans certains contextes. Il a toutefois fallu des penseurs tels que Marx ou des actions comme celles des suffragettes ou de Gandhi pour que le changement social se réalise d’une manière ou d’une autre. Où qu’il soit, le changement est inscrit dans l’identité même de l’être humain. À travers les siècles, plusieurs individus ou groupes ont récupéré la notion de changement pour mieux l’incarner. Récemment, on peut penser au président américain Barack Obama dont le slogan «Yes We Can» et sa variante «Change We Can Believe In» montrent l’engouement non démenti à l’égard de cette notion.

    Chez plusieurs auteurs récents, le plus souvent sociologues, le changement social est distinct de l’évolution sociale, exprime un changement de structure et représente un phénomène collectif visible dans le temps. Il ne peut être dissocié ni du contexte ni des rapports de pouvoir. Là s’arrête la cohésion autour du changement. En effet, dès qu’il s’agit de se pencher sur les facteurs de réalisation et les modalités du changement social, les oppositions et les querelles de chapelle commencent.

    Pour sa part, la communication a également son lot de certitudes, de doutes et de critiques. Le XXIe siècle est-il le siècle de la communication? Si oui, que dire de Démosthène qui pratiquait l’art de la rhétorique? Que dire aussi des griots de l’empire du Mali qui, au xiiie siècle, étaient considérés comme les rois de la parole? Sinon, que faire de la révolution technologique commencée au XXe siècle et qui structure dorénavant une bonne partie du monde? Mais si la communication n’est pas si récente, quelle fut son origine et quels sont ses contours aujourd’hui dans une société en plein changement? Si, à l’origine, la communication signifiait «communion, échange, partage», aujourd’hui, elle semble être réduite à ses aspects techniques (médias et technologies). Aurait-on remplacé le cavalier par ses accessoires? En d’autres termes, aurait-on troqué le fond pour la forme? Et pourtant, la communication, conçue comme un processus d’interaction basé sur une pratique accessible aux individus et sur la mise en relations d’individus ou de groupes dont l’aboutissement est l’échange, la mise en commun, le partage, a une dimension essentiellement humaine et sociale et a toujours joué un rôle dans l’évolution de la société.

    Communication et changement social sont donc indissociables. Or la perception de la place de la communication dans le changement social diffère selon les lieux et selon les regards communicationnels choisis. Malgré tout, il semble qu’on ne puisse parler de communication et de changement social sans aborder les médias, les technologies de l’information et de la communication (TIC) ou les enjeux de pouvoir et tactiques de conversation qui rendent la communication possible. Dans le même temps, lorsqu’il est pensé de manière communication-nelle, le changement peut être tour à tour développement international, rattrapage numérique, innovation dans les sciences et les organisations, identité culturelle, etc. Dans ce sens, le livre que le lecteur a entre les mains aborde la question du changement social à la lumière de différentes perspectives communicationnelles et selon le regard aiguisé d’experts, de spécialistes et de praticiens de la communication dans un contexte de changement.

    Le présent ouvrage est structuré en quatre parties. La première partie porte sur les approches théoriques relatives à la communication et au changement social. Elle questionne l’incidence sociale des théories de la communication. Quelque peu provocante, on y confronte les différentes théories en communication. Quel est l’état de ces théories? La communication a-t-elle été un outil idéologique visant à légitimer une certaine vision du monde? Les théories en communication ont-elles un impact sur les individus ou les sociétés? Quelles sont les nouvelles pistes théoriques qui s’offrent aux chercheurs en communication? Comment les expériences locales sont-elles théoriquement réinterprétées? Face au «vrai monde», y a-t-il une place pour la théorie en communication? On y trouve successivement les chapitres rédigés par Vincent Rouzé, Sylvain Quidot, Jean-Marie Lafortune et Eric George.

    La deuxième partie est consacrée aux approches technologiques liées au changement social. Les recherches sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) ont pris de l’importance au cours de la dernière décennie. L’incidence des TIC peut être observée à différents niveaux des structures sociétales que ce soit dans les pays industrialisés ou en voie de développement. À travers l’analyse des politiques de communications mises en place par les gouvernements, comment les structures sociales, d’une part, et les rapports sociaux, d’autre part, sont-ils modifiés par la généralisation des technologies de l’information. En d’autres termes, l’implantation et l’utilisation des TIC sont-elles nécessairement des vecteurs du changement social? Cette transformation est-elle en partie ou en totalité calquée sur des modèles de diffusion des TIC? Jacob T. Matthews, Fabien Granjon, Florence Millerand, Mustapha Masmoudi et Ndiaga Loum abordent ces questions avec pertinence et acuité.

    La troisième partie examine la notion de changement sous l’angle du rôle des médias dans un contexte de mondialisation et de modifications culturelles. L’avènement et la concentration des médias ont soulevé plusieurs interrogations sur leur contenu démocratique, leurs valeurs culturelles et leurs structures économiques. Les interrogations entourant les notions d’identité, d’altérité et d’intégration sont au cœur des différents chapitres rédigés par Linda Labandji, Christian Agbobli et Caterine Bourassa-Dansereau, Farrah Bérubé, Fathallah Daghmi et Olivier Pulvar.

    La quatrième partie traite de la recherche francophone et émergente en communication. Pendant longtemps, la recherche francophone en communication a été marginalisée. Or la francophonie possède une vaste tradition de recherches et de méthodes propres à la communication. Dans ce sens, Isabelle Mahy, Nathalie Antiope et France Aubin abordent tour à tour la question francophone du changement dans les milieux organisationnel, identitaire et intellectuel.

    Dans son ensemble, l’ouvrage dresse en quelque sorte l’état des lieux de la réflexion de chercheurs en communication sur les nombreuses significations que peut avoir la notion de changement social. Cette notion ayant différentes acceptions selon que l’on vit en Afrique, en Amérique ou en Europe. Si cet ouvrage permet une prise de conscience sur la place incontournable de la communication dans le changement social, il aura gagné son pari.

    PARTIE 1

    LES APPROCHES THÉORIQUES

    CHAPITRE 1

    LE SOCIAL EN THÉORIE OU LA THÉORIE DU SOCIAL?

    Vincent Rouzé

    Université Paris VIII, France

    À l’heure où la communication joue un rôle capital dans la société et où les NTIC semblent «révolutionner» les échanges autant que les conceptions d’espace et de temps, une question se dessine: comment penser ces évolutions et dans quelle mesure la théorie permet-elle de penser les faits communicationnels et, plus globalement, le social[1]?

    Au-delà de cette formulation volontairement provocatrice se profile l’enjeu de notre communication: questionner ce double jeu entre des pratiques qui construisent le social et des théories qui les modélisent en amont ou en aval. Faut-il les considérer dans un rapport hiérarchique, dans un rapport dual ou dans un rapport d’interaction, d’enrichissement mutuel?

    Pour tenter une première ébauche de réponse à un débat qui dépasse largement le cadre de cet article, nous proposons ici de montrer que loin de n’exister que pour et par elles-mêmes, les théories et le social se coconstruisent par des allers-retours permanents entre l’un et l’autre. Ce sont ces interactions qui produisent leur essence ou au contraire les en vident.

    1.1. DE LA THÉORIE AVANT TOUTE CHOSE

    Le premier paradigme qui marque la relation entre théorie et social est celui de l’existence d’une théorie «pure», qui se détache du social, de la praxis pour mieux les transcender. La définition originelle même du terme «theoria», en grec, puis en latin, nous engage dans cette voie. Elle désigne la contemplation platonicienne, puis la spéculation pour devenir au XVIe siècle une science spéculative. Grâce à l’existence de formes pures a priori, l’espace et le temps par exemple, l’entendement se détache des contingences quotidiennes, des affects, des sensations et des pratiques pour s’orienter vers une réflexion pure: celle des jugements «synthétiques».

    C’est ainsi que chez philosophes aussi différents que Kant, Hegel ou encore Descartes, la production humaine est supérieure à la nature car reposant sur le principe de raison. S’appuyant sur la rationalisation rhétorique et sur la métaphysique, ces théories s’érigent en lois universelles potentiellement adaptables à l’ensemble des situations car posant les questions «essence-ielles». Elles écartent tout processus d’interactions sociales pour se concentrer sur l’essence même de l’homme, sur le logos (cogito ergo sum). Appliqués à l’art, ces principes théoriques en occultent la genèse, le contexte, le sentiment et l’émotion, les sens de la réception. Car une sélection a priori est à l’œuvre pour mieux se concentrer sur des formes artistiques représentatives de l’idéal théoriquement construit. Forts de cette sélection individuelle – occultant souvent les artistes et les œuvres qui leur sont contemporains pour leur préférer ceux d’un passé regretté –, Kant ou encore Hegel théorisent l’art en se concentrant exclusivement sur la forme «pure». En découle, selon eux, une pratique libre et désintéressée. En ce sens, l’intérêt de l’art n’est pas l’échange qu’il permet, ni les implications sociales et politiques qu’il peut avoir mais la quête d’un idéal «pur», d’un art transcendant n’existant plus que pour et par lui-même. Devenue art spéculatif, détaché de son ancrage social et annonçant la «fin de l’art» chez Hegel, l’œuvre est à l’image de la théorie, elle transcende le monde et les esprits.

    En dépit de leur caractère idéal, ces théories n’en demeurent pas moins réfutables et critiquables. Selon les termes de Karl Popper, elles sont théoriques parce que précisément elles sont falsifiables. Selon lui, une théorie est un ensemble d’hypothèses qui ne pourront être validées que par l’expérimentation réelle. Ce n’est qu’une fois validées par l’expérience qu’elles deviennent objectives et reproductibles. Ce postulat débouche sur un principe de généralisation qui s’appuie sur l’homologie parfaite entre les hypothèses produites, les théories qui en découlent et le monde lui-même. Popper explique ainsi le primat de la théorie sur le social parce qu’elle est au fondement des sociétés et des luttes qui fondent leur existence: «la lutte pour la vie porte avant tout sur les théories. On pourrait même dire que cette fameuse lutte pour la vie n’a jamais été qu’un affrontement entre des théories, du commencement à nos jours» (Lorenz et Popper, 1995, p. 73). À l’instar des auteurs précédents, il en conclut que la théorie permet de penser le social dans une dialectique hiérarchique: la première s’imposant au second.

    Dans cette perspective, une théorie «pure» infère de manière directe ou indirecte les pratiques elles-mêmes. Servant ainsi de base réflexive, elles renouent avec le social à travers l’action, la praxis et la création. En musique par exemple, de Rameau à la MAO[2], les compositions reposent sur des principes théoriques mathématiques amenant aux «traités des harmonies» ou à la combinatoire, fruit d’un échange dans le temps et dans l’espace entre mathématiciens et compositeurs. Dès lors, la théorie a priori permet moins de penser l’objet que de le construire a posteriori. C’est ce qu’on retrouve dans les paroles critiques de Glenn Gould lorsqu’il affirme: «L’art ne deviendra pas le serviteur du processus scientifique. Il en empruntera les méthodes et les moyens, mais restera indépendant de ses objectifs. La communication qu’est l’art demeurera aussi indéfinissable que jamais. Elle continuera à chercher, à parler de choses qu’aucune mesure scientifique n’est capable de circonscrire» (G. Gould, dans Nattiez, 2003, p. 1391). Tout l’intérêt de cette affirmation repose certes sur la problématique de l’analyse et de la réception de l’art mais aussi sur celle du discours. L’art et plus globalement le social peuvent s’enrichir au contact de la théorie sans qu’il soit nécessaire de réduire le premier au profit de la seconde.

    1.2. DE LA THÉORIE AU SOCIAL

    Prenant appui sur cette dialectique implicative, le second paradigme est marqué par le primat de la théorie sur le social dans le but de le transformer, dans l’espoir de retrouver un monde «authentique». Déjà dans la République, Platon opère ce basculement entre théorie et social. Croisant la doctrine pythagoricienne de l’Etos et de l’être ontologique, il propose une organisation hiérarchique de la société et une éradication de tout ce qui pourrait «mettre en danger» ses fondements démocratiques. Cet exemple montre que la théorie devient l’application d’un dogmatisme social écartant a priori les éléments qui mettraient en péril son fondement même.

    Cette théorisation critique a priori conduit à des dualismes analytiques récurrents tels que nature/culture; objet/sujet, savant/populaire. Au cœur des débats disciplinaires, ceux-ci ont été largement marqués par la pensée marxiste et celle de l’école de Francfort, dénonçant cette idéalisation théorique «pure» au profit d’une analyse de la société théorisée sur la base de sa matérialité «productive». Les écrits de Theodor Adorno (1958) sur la musique et l’industrie culturelle en témoignent. Inscrite dans le contexte historique de la guerre froide et de l’industrie culturelle, sa philosophie de la nouvelle musique (1950) s’emploie à déterminer des paradigmes musicaux extrêmes (Stravinsky et Schônberg) car «eux seuls permettent de reconnaître son contenu de vérité» (ibid., p. 13). Mettant l’accent sur le contenu social des œuvres, il affirme que seules de telles ruptures esthétiques sont susceptibles d’amener l’homme à réfléchir aux conditions d’aliénation qui sont les siennes dans le système industriel ayant corrompu l’art et la culture, les ayant réduits au rang de simples marchandises. Cadre théorique qui offre une vision critique de l’industrialisation culturelle mais qui conduit dans un même élan à réifier toute forme d’appréhension autre que celle de l’écoute intellectuelle, à dénoncer unilatéralement toute fonctionnalisation de la musique autant que le divertissement qu’elle peut entraîner. Ce qui aboutit en dernier ressort à déduire les formes de réception musicale et à les inscrire dans une conception généralisante d’autant plus déconsidérée qu’il s’agit de musique populaire. En ce sens, la théorie a priori permet une critique et une reformulation du social tout en appréhendant ses modes d’organisation et ses pratiques sous le prisme déformant d’un cadre imposé.

    1.3. LA THÉORIE ET LA COMMUNICATION

    À travers ce qui précède, un troisième paradigme est mis en lumière: le glissement progressif de la théorie en tant qu’objet à la théorie en tant que langage et idéologie. En référence aux philosophes Wittgenstein, Austin et Searle, bien qu’ils divergent quant à leurs conclusions, la théorie n’est pas une simple traduction de la pensée: elle est un discours à l’origine de toute compréhension du monde mais aussi de notre «faire» le monde. Dans cette perspective, la théorie devient une forme de communication et peut au même titre que d’autres formes de discours être performative ou non. Cette importance du langage et des discours dans la fondation même des processus de légitimation sociale amène Michel Foucault (1966, p. 52) à déclarer qu’«il y a une fonction symbolique dans le langage: mais depuis Babel il ne faut pas plus la chercher [...] dans les mots eux-mêmes mais bien dans l’existence même du langage, dans son rapport total à la totalité du monde, dans l’entrecroisement de son espace avec les lieux et les figures du cosmos».

    C’est précisément la thèse développée par Jürgen Habermas (1987) dans sa théorie de l’agir communicationnel. Attaché au principe de raison et de débats qui constituent l’essence même de l’espace public et de la démocratie, il place la communication comme fondement des échanges en argumentant que la circulation de l’information permet l’abolition des critères spatiaux et temporels. Dès lors, il n’existe pas une forme de théorie raisonnée transcendante mais une multitude de théories susceptibles d’expliciter et de construire le social. C’est leur confrontation inscrite dans des jeux de légitimations et de pouvoir qui assure leur importance et leur impact social. Suivant cette logique, le rapport entre la théorie et le social n’est plus hiérarchique et transcendant mais plutôt immanent et horizontal. Il en découle une possible évolution de la théorie dans le temps en fonction des situations d’usage. Prenons le cas de la théorie de Norbert Wiener. Elle est exemplaire de cette infiltration évolutive de principes théorisés dans le social.

    À partir de ses recherches théoriques sur l’intelligence artificielle et sur les rapports homme-machine, l’un des pères de la cybernétique propose une application sociale de son projet. Qualifiée d’utopique parce que remettant en cause l’organisation économique et politique, cette théorie de la communication reposant sur l’autorégulation systé-mique prône la transparence et la libre circulation de l’information. Elle irriguera les mouvements politiques estudiantins américains d’après-guerre et servira de pierre angulaire au développement de l’idéologie de la communication. Aujourd’hui socialement «intégrées», ses théories réapparaissent en filigrane des discours tenus sur les nouvelles technologies, sur le droit à l’information mais aussi dans les mouvements militants des internautes activistes.

    1.4. POUR UN SOCIAL THÉORISÉ

    C’est dans la filiation de cette idée communicationnelle qu’un autre paradigme apparaît: celui du «social théorisé». Inversant le processus de pensée allant du ressenti à la conscience, le processus de théorisation s’appuie sur l’expérience sensible pour donner lieu à son analyse et à sa théorisation. En référence à la philosophie de Locke, de Hume ou encore de Condillac, et des sciences de la nature, l’expérience et l’observation deviennent les clés de procédures réflexives a posteriori où le monde réel sert d’embrayeur au principe de raison. L’idée n’est plus de construire des règles a priori, mais de s’appuyer sur le monde et ses représentations pour construire un schéma interprétatif et compréhensif a posteriori. Ainsi ce paradigme devient circulaire puisqu’il s’ancre dans des pratiques sociales pour être théorisé. Et de voir renaître de manière symétrique les relations vues précédemment à travers le primat de la théorie sur le social. Car précisément la recherche s’inscrit toujours dans un contexte situé et se construit à travers le prisme d’un cadre intellectuel et théorique a priori. Pour résumer, deux conceptions s’opposent: celles généralisantes, plaçant le primat de la société sur l’individu et celles inverses faisant de l’individu le point de départ de l’être ensemble et du social. Ce constat laisse place au débat entre les analyses macrosociologiques et les analyses microsociologiques. Les premières reprochant aux secondes de ne pouvoir généraliser des analyses d’observation localisée et les secondes reprochant aux premières de ne pas comprendre la finesse des relations qui se tissent au quotidien et des tactiques qui expliquent des rouages plus complexes et plus généraux. À la croisée de ces chemins, s’appuyant sur les concepts de traduction, de réseaux et de médiations, les travaux de Bruno Latour en sociologie des sciences ou ceux d’Antoine Hennion en musique font ainsi «table rase» de leur objet pour retisser les fils des interactions, des stratégies et des contrats des acteurs. Inscrivant la recherche dans une analyse de pratiques contextualisées et situées, leurs travaux s’appuient sur les acteurs, les discours, les techniques...

    Bref, quelle que soit la démarche utilisée, il est intéressant de noter l’interaction entre théorie et social. Prenant corps dans le social analysé, la théorie s’élabore et s’enrichit pour revenir ensuite sous forme «théorisée» dans le social afin d’expliquer des pratiques ou au contraire de les justifier ou de les dénoncer.

    L’analyse des pratiques culturelles «distinctives» proposée par Pierre Bourdieu (1979) en est une bonne illustration. Ce sociologue s’appuie sur une analyse de terrain pour élaborer des critères de distinctions et fonde les concepts de champs, d’habitus et de pratiques.

    Dès lors, toute pratique prend un sens particulier en fonction du champ dans lequel évolue l’agent observé et de l’habitus qui forge sa logique d’action. Nous écoutons telle musique parce que nous appartenons à telle catégorie sociale, nous regardons tel programme parce que nous avons tel niveau d’étude et tel environnement familial... Relayée par les universitaires, cette théorisation sociale gagnera les pratiques institutionnelles du ministère de la Culture et permettra l’élaboration des grilles d’analyse des pratiques culturelles. Elle inspirera aussi les recherches marketing et l’élaboration stratégiques de certains acteurs professionnels.

    1.5. LE SOCIAL SERVI PAR LA THÉORIE

    Notons d’ailleurs que cette demande de connaissance des comportements, des pratiques et de nos manières de faire sur les plans politiques est à l’origine des méthodologies quantitatives puis qualitatives. Partant des faits sociaux tels que les définit et les analyse Émile Durkheim, ces méthodes s’appuient sur un double jeu de rationalisation et de comparaison et visent à en quantifier les actions. Leur place devient fondamentale aussi dans le domaine de la communication à mesure que les médias se développent. Les études de réception entreprises pour la première fois par Paul Lazarsfeld sur les logiques de décisions de vote marquent le départ des instituts de sondages et de recherches quantitatives sur les pratiques médiatiques et culturelles. Elles serviront de cadre aux recherches dites des «usages et gratifications» où l’on cherche moins à savoir ce que les médias font aux gens que ce que les gens font des médias. Ces recherches théoriques sont ensuite réintroduites dans le social dans une perspective opérationnelle. Car la théorie doit permettre d’adapter le produit, le message ou le programme en fonction des effets constatés mais aussi et surtout de le personnaliser, de le démarquer du principe sériel et généralisant.

    Or cette volonté pragmatique conduit à un fonctionnalisme où la théorie construite

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1