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La liberté des papillons: Drame psychologique
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La liberté des papillons: Drame psychologique
Livre électronique260 pages4 heures

La liberté des papillons: Drame psychologique

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À propos de ce livre électronique

L’histoire d’un antihéros paranoïaque

Entre réalisme et irréalité ! Un retraité solitaire fait l’acquisition d’une propriété, représentation matérielle d’un mode de vie idéalisé. Il ira de déception en désespoir. Ce vieillard naïf, cet antihéros paranoïaque, dont les relations sont faussées par sa vision irréaliste de la vie des autres, devient attendrissant au fil de ses aventures. Les habitudes, le savoir, la musique, jalonnent le parcours de cet éphémère. Une mise en lumière de l’inertie du travail et des affres de la solitude.

Le héros du récit a passé une vie entière à économiser pour atteindre son rêve : posséder le manoir du village. Cette histoire est celle de la rencontre de deux personnages antagonistes, d’un côté, un ancien ouvrier désirant goûter sa retraite bien méritée, de l’autre, un nanti ruiné qui ne veut pas lâcher son mode de vie et surtout, son dernier bien aussi facilement....

Un roman sur la vieillesse et les affres de la solitude

EXTRAIT

La grande allée menant à ma future demeure était jonchée de pierres tout du long ; du portail au pas des larges marches goudronnées qui s’encanaillaient les unes sur les autres, jusqu’à devenir à son Olympe une terrasse accueillante. Finalement, j’entrai par les deux hautes et larges portes d’entrée blanches, d’où j’apercevais déjà l’édifice intérieur. Le hall d’entrée était immense et clair. Lorsque je levai la tête pour contempler tous les détails de cette beauté, j’aperçus, marchant sur la mezzanine vertigineuse - une sorte de balcon de théâtre où le côté cour et le côté jardin donnaient ici lieu aux entrées respectives du couloir cour et du couloir jardin - un homme qui la traversait de part en part. Je m’imaginai en quelques instants les coulisses - chambres, les coulisses - buanderies, la salle maquillage- toilettes, les loges - salle de bains.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Anne-Lise Marie Sainte, née le 7 mai 1984, est journaliste, animatrice radio. Passionnée de piano et de littérature, elle écrit de la poésie, des romans et des nouvelles.
LangueFrançais
ÉditeurPublishroom
Date de sortie25 janv. 2016
ISBN9791023600025
La liberté des papillons: Drame psychologique

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    Aperçu du livre

    La liberté des papillons - Anne-Lise Marie-Sainte

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    @Anne Lise Marie Sainte, 2014

    ISBN numérique : 979-10-236-0002-5

    contact@publishroom.com

    http://www.publishroom.com

    Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

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    A PROPOS DE L'AUTEUR

    Anne Lise Marie Sainte, née le 7 mai 1984, est journaliste, animatrice radio. Passionnée de piano et de littérature, elle écrit de la poésie, des romans et des nouvelles.

    Sommaire

    La demeure

    Le labeur

    Chez le notaire

    Les mensonges

    Où je vais

    La préparation des festivités

    Monsieur Castellade

    Les festivités

    Les grandes décisions

    Hugo, le majordome

    La contemplation

    La machine à laver

    L'année 1972 et l'usage de la musique

    Le papillion

    L'anniversaire

    A l'origine

    Les entrepreneurs

    La collection postale

    La surprise

    L'art de discuter

    L'heure du thé

    La retraite maladive

    L'ivresse

    La dernière ronde

    Le coma

    Bulletin historique du noble jeu de l’arc : le jeu du papegault

    Le bibliothécaire

    La parallèle

    L'illustration

    Le savoir

    La demeure

    La grande allée menant à ma future demeure était jonchée de pierres tout du long ; du portail au pas des larges marches goudronnées qui s’encanaillaient les unes sur les autres, jusqu’à devenir à son Olympe une terrasse accueillante. Finalement, j’entrai par les deux hautes et larges portes d’entrée blanches, d’où j’apercevais déjà l’édifice intérieur. Le hall d’entrée était immense et clair. Lorsque je levai la tête pour contempler tous les détails de cette beauté, j’aperçus, marchant sur la mezzanine vertigineuse - une sorte de balcon de théâtre où le côté cour et le côté jardin donnaient ici lieu aux entrées respectives du couloir cour et du couloir jardin - un homme qui la traversait de part en part. Je m’imaginai en quelques instants les coulisses- chambres, les coulisses- buanderies, la salle maquillage- toilettes, les loges- salle de bains. Deux escaliers immenses en bois de cèdre menaient jusqu’à l’heureux balcon, regard et scène de tous les personnages qui y entraient avec raison. La magnificence de l’architecture devait surprendre tous ceux qui voyaient cette merveille et je fus satisfait de voir qu’elle était à première vue aussi belle à l’intérieur qu’à l’extérieur. Impressionné par la grâce de cet endroit, j’entrepris de monter les marches pour découvrir ce que renfermait l’arrière de la scène.

    La hauteur et la profondeur des lieux semblaient enfermer au moins un secret par pièce. L’escalier m’invitait donc à arpenter les marches en premier. Je décidai de monter par le côté gauche. Je voulais l’atteindre au cœur cette maison comme elle m’avait frappé en pleine poitrine dès que je l’avais vue. C’était une « occasion à saisir » comme le suggérait le panneau proche du portail. Je pouvais dépenser jusqu’à un million pour que ce magnifique bijou m’appartienne. Cet homme, que j’avais aperçu quelques instants plus tôt sortir couloir- jardin, s’arrêta net devant moi. Tout mon être n’espérait qu’une chose, que cet homme ne soit pas à cet instant et dans cette demeure pour les mêmes raisons que moi. Il avait une forte corpulence, on aurait dit un homme d’affaires avec son costume et son regard négociateur. Il semblait fort sympathique sans penser que cette bonhomie naturelle se devait au préjugé que les personnes fortes sont de bonnes conditions morales comme le seul atout qu’elles auraient à offrir. Il semblait avenant. Il me tendit sa main pour me saluer et, accompagné d’un franc sourire, il s’empressa sans me dire un mot, de me faire découvrir les recoins de la maison. Il avait donc gardé ma main dans la sienne alors même que je la lui avais prêtée pour lui dire bonjour l’instant précédent.

    L’homme ouvrit la première pièce qu’il me fit découvrir avec une hâte et une joie non restreinte.

    - Voici la première chambre. Elle vous plaît ?

    Il attendait une réponse immédiate. Sa bonne humeur n’avait pas rompu depuis notre rencontre.

    De prime abord, cette pièce était comme tout ce que j’avais vu jusque- là et qui m’avait ébloui. Nous nous insérâmes un peu plus profondément dans la pièce pour la définir sous tous ses détails.

    - Vous avez ici un grand lit pour deux personnes, une table de chevet de chaque côté, une armoire XVIIIe, une coiffeuse d’époque dont le miroir a été changé il y a quelques semaines. Je vois que vous approchez de la fenêtre. Je vous invite à regarder ce que vous n’avez encore pu voir. Le jardin à la française, Monsieur ! Alors, elle vous plaît ? me demanda- t- il en soulevant l’épais rideau beige.

    Je m’approchai comme il me l’avait conseillé de la fenêtre. J’y vis le somptueux jardin- sortie des artistes dont la brève description qu’il m’avait suggérée ne rendait pas vraiment compte de la grandeur de l’étendue verte. C’était un parc. Je continuai d’avancer pour scruter les détails de la chambre que j’avais décidé de faire mienne si tout se passait comme je le souhaitais depuis la vision monumentale du portail éloigné de la maison qui laissait tous les regards indiscrets hors de ma future vie jusque cette chambre où je me trouvais déjà tellement bien. Je ne dis pas un mot et sortis en souriant poliment à l’homme qui m’avait amené jusqu’ici. Il me suivit et sembla hésiter à me faire continuer la visite. Je n’avais répondu à aucune des questions qu’il m’avait posées. Bien sûr, cette chambre me plaisait et cette maison et ce jardin et tout ce que je n’avais pas encore vu. Je scrutais la chambre, mais l’homme aussi. Qui était- il ? Probablement l’homme qui essaierait de me vendre cette maison au plus haut prix pour avoir une commission plus forte. Il était peut- être le propriétaire de cette magnifique maison et voudrait la vendre au prix de ses souvenirs. Je n’avais pas les moyens de payer les préjudices moraux de devoir quitter cette maison. Ceux qui vendent leur maison l’estiment toujours plus chère que ce qu’elle vaut vraiment. Comme si les souvenirs et le temps qu’ils avaient passé à l’intérieur étaient la plus- value nécessaire ou siégeaient en fait en gardien obligeant jusqu’à votre arrivée inattendue et bénie, mais pas à titre gracieux. Je préférais alors qu’il soit un homme envoyé par l’agence immobilière.

    J’avançai donc le premier, mimant d’être plus dubitatif que lui et ouvris une seconde porte. Celle- là se trouvait en face de ma future chambre. J’attrapai la poignée et, dans un mouvement leste, la poussai sans la suivre en la laissant claquer contre le mur. Elle rebondit dans un bruit léger pour revenir un peu sur son chemin. Je jetai un œil de là où j’étais. Je ne bougeai pas comme si ce que je voyais était suffisant pour me faire une opinion négative. Je ne laissais transparaître aucun sourire, aucune déception. J’avais même délaissé le doute et dans une neutralité étonnante, je lui demandai :

    - Combien en voulez- vous ?

    - Pardon ?

    - Quel est le prix de cette maison ?

    - Je ne décide pas le prix. Je ne fais que les visites. Je suis le maître d’hôtel de M. Castellade. Très pris par ses affaires, il est entendu que je fais visiter la maison. Je lui transmettrai toute proposition, Monsieur, soyez- en sûr !

    J’étais rassuré de savoir que cet homme ne pouvait pas me juger. Je m’étais monté la tête, il n’essayait pas de m’avoir, pas même de marchander. Sa bonne corpulence montrait probablement que son patron était de bonne composition et qu’il nourrissait bien ses employés. Pourtant, mes diverses mésaventures m’avaient appris qu’il valait mieux attendre que l’autre donne un prix. Je proposerais un million, mais si elle n’en valait pas la moitié ou en valait plus, alors il me rirait au nez de vouloir acheter cette maison malgré un manque de bon goût et des meilleures connaissances pour arriver à en estimer sa valeur. Par peur du ridicule et de me faire du tort, je lui suggérai ainsi d’aviser son patron de prendre rendez- vous avec moi et de m’envoyer une estimation par courrier pour la vente de sa maison. Je lui signifiai de bien insister sur le fait que la maison m’intéressait et de m’envoyer les conditions pour l’acquérir dès qu’il serait apte à la céder. Je lui laissai mon adresse sur un papier que le majordome me tendit naturellement. Je pris congé de lui, l’esprit impatient d’avoir des nouvelles de son patron. Le majordome me raccompagna jusqu’aux portes immenses par lesquelles j’étais entré. Je me retrouvai sur le haut perron- lever de rideau. Je repartis comme j’étais venu. Je marchai de nouveau sur la longue allée caillouteuse qui me traîna jusqu’à la sortie pour rejoindre ma voiture garée sur le trottoir, en attendant de pouvoir la garer bientôt dans la cour, que je voulais mienne.

    Encore groggy d’avoir laissé la maison sans plus d’indications sur son prix, sans même savoir si un autre visiteur avait déjà fait une proposition, et n’ayant pas non plus fini la visite que j’avais entreprise, je me dirigeai vers le centre- ville. Ce que j’avais vu me suffisait. Malheureusement, je craignais que ce ne soit le cas de toute personne s’aventurant dans son sein avec l’intention d’acheter une grande maison où vivre dans la tranquillité comme je me le prédestinais. Seul ou en famille. Les enfants couraient déjà dans le jardin et la chère femme faisait sauter les crêpes dominicales coutumières. Je ne pouvais prendre le risque de la laisser me filer entre les doigts. En rentrant au Quartier de la mer, je décidai de chercher le numéro de Castellade sans attendre qu’il me contacte et de me référer au nom que l’homme de ménage m’avait subrepticement évoqué lors de l’une de nos courtes conversations. Je décidai d’appeler un peu plus tard, à un moment où un homme occupé comme je l’imaginais qu’il le soit pourrait être rentré.

    Dans le centre- ville, il y avait une pâtisserie discount. Je m’y arrêtai pour prendre un éclair au chocolat pour seulement 50 centimes. La douceur et la volupté de l’éclair allongèrent le sentiment de bien- être qui s’estompait doucement depuis la sortie de ma future demeure. Je tentais tant bien que mal de retenir ce sentiment comme on replonge dans son lit pour retrouver un rêve merveilleux dont on nous extirpe forcément pour de mauvaises raisons. Il était déjà fini quand je revins dans la voiture.

    Le paysage me conduisit naturellement jusque chez moi, dans le Quartier de la mer. Les automatismes de mes mains, de mes pieds me ramenèrent jusque devant ma porte où je garais toujours ma voiture. Pas un jardin, pas une mince cour ne donnaient le change. La porte était voyante par son impromptue présence habitée plus que par sa prestance. Les regards des badauds, des marcheurs, des véhiculés. Tout le monde avait une vue sur ma vie. Je sortais. Ils me voyaient. Je ne sortais pas. Ils le savaient. Les rideaux étaient très épais pour ne plus laisser les regards entrer chez moi ni le soleil du reste, mais les fins de semaine, je ne voulais pas les passer dans cette obscurité alors je les laissais ouverts malgré moi. C’était un appartement de sous- pied pour ainsi dire. Seule ma tête était au même niveau que les pieds des autres. De fait, mon plancher était au même niveau que personne d’autre. Il me fallait cette grande habitation. Plus j’y pensais, plus je voyais tous les défauts que la mienne contenait. La porte desservait immédiatement la rue et présentait l’inconvénient majeur d’être proche du bruit incessant des voitures qui y passaient de long en large toute la journée, tous les jours et de tout son long, des marcheurs rieurs qui la jouxtaient et souvent tapaient avec leurs sacs de provisions ou leur parapluie, les fenêtres qui leur paraissaient invisibles ou indignes de tranquillité. J’avais trouvé le calme nécessaire à ma survie dans la résidence de ma prochaine vie.

    Je m’installai patiemment dans mon fauteuil en attendant d’appeler M. Castellade pour savoir ce qu’il en était du prix de la maison. Je m’imaginais, en attendant l’heure fatidique, le reste des pièces que je n’avais pas encore eu l’occasion de découvrir ou plutôt celles que j’avais laissé filer pour investir le reste de mon avenir et rompre mon imaginaire. Toutes ces pièces que je découvrirais jour après jour et année après année. Elle dérogeait à tout ce qui m’avait contenu jusqu’ici. Elle était immense et belle. Elle était ce que je voulais, plus qu’à d’autres moments ma propre mort, alors même qu’elle insistait pour que je la remplisse comme mon cœur vide d’errer dans ce bouge étroit, dans un quartier mal assorti à mes rêves.

    Le labeur

    L’éternel effort, la volonté constante, l’unique passion, la pression des longues habitudes, le souvenir d’un futur en chantier, l’attente rébarbative du lendemain qui rapproche la sortie convoitée de la date butoir que je me suis fixée, celle- là même qui annonça le dernier jour de ma fructueuse besogne quotidienne. Je me souviens très bien du dernier jour que j’eus à passer dans cette manufacture.

    J’arrivais à peine avec mon déjeuner dans le sac à dos que je tenais dans mes mains cloquées pour l’ouvrir de son contenu et l’y ranger dans le réfrigérateur commun à tous les ouvriers, que j’oubliai presque, en prenant mes habitudes, que ce jour était différent. Des hommes s’en servaient, mais personne comme moi ! Je m’en suis servi tous les jours sans exception aucune et même quand il ne fonctionnait pas, souvent cela durait une semaine tout entière, je mangeais mes repas rincés, mais en aucun cas je n’aurais donné de mon modeste salaire à la cantine de la fabrique de vêtements. Sous aucun prétexte. Ces repas auraient pu reculer la date de mon départ de plusieurs semaines voire de plusieurs mois.

    J’ai déposé mon écuelle dans le haut du réfrigérateur comme à mon habitude et descendu les marches tourbillonnantes en fer qui claquaient, comme prêtes à s’émietter sous chacun des pas des ouvriers qui les descendaient et finissaient pour la plupart par remonter en fin de journée. C’était une fabrique à esclaves dont une dizaine d’hommes étaient ressortis les pieds devant. C’était des suicidés du temps trop long dans nos ateliers dont la seule fenêtre était tellement sale qu’on aurait dit que la nuit tombait toute la journée. Les dernières heures de travail en étaient plus longues et monotones que si nous avions confectionné ces vêtements sous la houle froide ou le soleil caniculaire.

    Pratiquement que des hommes. Assez rare pour souligner que dans cette entreprise ne venaient se réfugier que des hommes sans famille, des anciens prisonniers, des mauvais employés de bureau et, vers la fin, des immigrés clandestins, des Algériens, des Sénégalais. Les quelques femmes qui travaillaient dans l’usine étaient aux postes les plus pointus. Elles corrigeaient nos erreurs, mais ne nous adressaient que très rarement la parole si cela n’avait pas un lien direct avec la confection même. Elles avaient consenti un temps à déjeuner à la même table que les hommes puis elles avaient invoqué des comportements gênants et préféraient déjeuner à une table réservée à la gent féminine uniquement. Je ne savais pas si, en la matière, c’était une avancée ou un pas en arrière pour les droits de la femme. Longtemps, j’ai pensé qu’elles dénigraient le travail de leurs mères en refusant cette égalité qu’elles réclamaient tant et avaient obtenue à la suite de longs efforts. Après l’une des rares conversations que j’avais entretenues avec Annie, sans doute la plus douce des ouvrières qu’il fut donné à cette manufacture régionale, elle m’avait expliqué que leur droit était aussi de pouvoir circuler comme elles l’entendaient dans l’usine et de se protéger des regards obscènes qui les dévisageaient à longueur de journée. Je lui avais demandé si elle avait peur de moi. Elle ne m’avait pas répondu et était repartie à ses affaires tandis que ses alter ego in- justifiaient du regard cette courte entente cordiale entre collègues. Plusieurs jours, elle était restée un peu comme une paria de ses consœurs, mais n’ayant plus réengagé la conversation avec moi ni avec aucun autre, elles la ré- inclurent dans leur communauté qui n’avait pour passe d’entrée que le simple fait d’être une femme. Aucune sympathie, aucun comportement différent de la part des hommes n’auraient pu les faire changer d’avis. Ainsi, les femmes de cette usine avaient peur des hommes qui y travaillaient et s’éloignaient de nos actes probables en érigeant des barrières entre nous. Je ne comprenais toujours pas où était l’avancée pour ces femmes de recréer des distinctions même dans la peur du harcèlement. Le danger de quoi, d’ailleurs ? Celui des présupposés, j’imagine. Des hommes sans aucune autre forme de vie que la sienne à leurs côtés ont forcément des démons à cloîtrer et, malgré toutes les secondes chances que la société évoque, nous n’en étions pas pour le moins reclus d’une société informe à nos multiples usages.

    Arrivé dans l’atelier qui paraissait sale à toute heure de la journée, je m’asseyais à ma dite place usuelle comme chacun et nous commencions notre labeur quotidien pour gagner, ou devrais- je plutôt dire, pour quêter notre salaire de chaque fin de mois. Les ventes n’avaient aucune incidence sur nos salaires et personne ne s’en plaignait. Tout le monde devait être comme moi, ravi d’avoir un emploi. L’enrichissement de mon patron ne me dérangeait pas tant que je ne perdais pas mon travail. Je ne pensais déjà plus le dernier jour. J’avais arrêté cette activité une vingtaine d’années auparavant. Du coup, je faisais du mieux que je pouvais pour ne pas réfléchir aux efforts maintenant surannés que me forçaient mes rêves, à la contrainte maladive de me lever chaque matin pour gagner le pain quotidien et rentrer chaque soir dans le repaire qui me servait à reposer mon corps usé, dans une répartition dont je n’étais encore qu’au début.

    Chacun devait faire comme moi. Personne ne parlait. Les langues se déliaient à la pause de midi. La plupart d’entre eux étaient soumis à leurs actes passés, les anciens bandits, les mauvais élèves, les nouveaux Français. Je parlais peu. Je gardais ma concentration pour la suite de la journée. Souvent, la chaleur s’enfouissant de l’intérieur et ne trouvant pas d’échappatoire dans cette grande cave, l’odeur de la transpiration quotidienne d’une centaine d’hommes déjà pas tous très frais dès le matin et des quelques femmes en exil au fond de la pièce, se mêlait à l’odeur de l’huile pour les machines, le tout empestant autant que si nous avions travaillé dans les cuisines d’un restaurant où aucune hygiène alimentaire n’aurait jamais été respectée. On aurait dit une classe de bons commis tant les bruits des machines étaient les seuls échos que j’avais entendus durant ces années faites des règles semi- carcérales, des réprimandes puis des difficultés de compréhension à l’heure du déjeuner.

    Quand 16 heures s’afficha sur le cadran de l’horloge ronde et banale de la grande salle, me vint enfin à l’esprit que la dernière heure se faisait. Me surprit alors un sentiment de carence et loin de l’amertume que j’avais cru dissimuler plutôt bien toutes ces années, se révéla en fait une morosité inattendue de laisser derrière moi ce qui avait été ma vie pour enfin me destiner à celle dont celle- là avait servi.

    Je me refusais à toute hâte même si langoureusement l’angoisse de sortir de cette usine pour ne plus jamais revenir s’empara de moi, devant des collègues qui ne savaient pas que je destinais ma sortie comme étant la dernière. Je ne prévins personne. Peut- être cela aurait- il créé des passions, des jalousies mal contenues ? Ou au contraire m’aurait- on dissuadé de franchir une ultime fois cette porte, par peur de l’inconnu ?

    Au son de l’alarme vicieuse, je suis resté assis une dizaine de minutes laissant tous les ouvriers se ruer vers l’escalier sur lequel on ne pouvait pas être plus de deux de peur de devenir le pauvre malheureux qu’on électrocute aux portes du paradis. Quand ils furent tous sortis, je fis une ronde du regard. Chaque parcelle d’établi de chaque ouvrier était soigneusement rangée pour la suite de leur labeur du lendemain. Des bouts de ficelle, de papier et de tissu, très peu pour ce dernier, jonchaient le sol comme chaque soir, la salle de travail laissait la preuve de la sueur de la journée se ramasser par la tranquillité rafraîchissante de la soirée. Avec l’habitude, j’eus l’impression que les machines

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