Cœur sommeil
Par Aude Réco
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À propos de ce livre électronique
Et que dire du mystérieux Griffin Bennett, son voisin aux airs de parfait gentleman, dont elle se méfie pourtant ? Que note-t-il dans ses innombrables carnets ? Quelle est la forme lumineuse qui apparaît quelquefois derrière lui ? Surtout, pourquoi Judith a-t-elle le sentiment de déjà le connaître ?
"Des descriptions qui nous filent la chair de poule, un mal être que l'on ressent qui nous tort les boyaux." - Au Fil de l'Imaginaire (blog)
"L’auteur s’attarde sur les descriptions, ce qui plante le décor avec un grand réalisme." - L'imaginaria (blog)
"Si on comprend assez vite où elle veut en venir, ce qui est intéressant est de comprendre pourquoi. En effet les deux jeunes gens semblent liés mais on ne connait pas la raison. C’est autour de cette question que tourne l’intrigue qui dès lors nous entraîne avec elle dans ce huis-clos passionnant." - L'imaginaria (blog)
"On a de la romance sans basculer dans le mielleux écoeurant, et je trouve que les mots viennent d’eux-mêmes." - Des Livres et des Cris (blog)
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Aperçu du livre
Cœur sommeil - Aude Réco
Réco
CHAPITRE I
– I –
Le trottinement des chevaux, couplé aux secousses légères du fiacre, berçait Judith Mill. Jolie demoiselle aux élégantes boucles châtain, elle gardait les mains posées sur sa longue robe, à côté de son manchon. Son état presque cataleptique laissait supposer un manque certain d’enthousiasme, sinon une profonde lassitude. Le dos droit, la nuque un peu raide et le visage bas, Judith attendait simplement, harassée par le voyage de sa famille depuis Londres. D’ailleurs, sa toilette contrastait avec son teint pâle, presque cadavérique. Avec insistance, elle fixait ses longs doigts fins, immobiles. Comme elle. Rien de ce corps ne suggérait la vie. Son corset empêchait une respiration optimale, sa traîne l’encombrait, son chapeau écrasait ses cheveux et le trajet n’en finissait pas.
De l’index, elle avait tiré le petit rideau suspendu à la vitre de la portière pour regarder défiler les paysages enneigés. L’hiver s’installait bel et bien, et avec lui arrivait la promesse de soirées au coin du feu. Judith adorait cette saison. Elle espérait juste que la côte irlandaise ne lui ferait pas regretter sa Londres natale. À l’horizon, là où mer et ciel se mêlaient d’un bleu délavé, de rares bateaux de pêche prenaient le large, comparables à des points microscopiques. La falaise qui bordait la plage offrait une vue magnifique. Les mouettes rieuses volaient à tire d’ailes, les nuages s’effilochaient et laissaient place à une voûte céleste chargée de neige. Judith imaginait, au rythme régulier de la voiture, des vagues s’écrasant sur les rochers, leur écume, la caresse du soleil hivernal sur son visage. Le panorama l’enchantait déjà. Elle ne connaissait le manoir qu’occuperait désormais sa famille que de nom. La vie dans la capitale britannique devenait agitée, et le docteur avait conclu que l’état de santé de Judith nécessitait du repos. Elle avait suivi des cures, consulté bon nombre de professionnels. Sans succès. Une fatigue presque continuelle la submergeait dès le lever. Le seul moment où elle profitait d’un peu de répit était en fin d’après-midi, après la sieste. Autrement, elle luttait contre le sommeil et il lui était difficile d’entretenir une vie sociale. De nombreux jeunes hommes cherchaient à la courtiser, mais par souci de discrétion, son père, lord Mill, leur refusait toute entrevue. Il taisait le mystère que représentait sa chère enfant, car nul ne savait quel mal la rongeait.
Le retrait en Irlande du Nord avait été envisagé en ce sens, plus que pour les besoins de Judith. Moins de soirées mondaines, de sorties au théâtre ou de discours pour les bonnes œuvres, mais lord Mill ne rêvait que de la secouer un peu. Les diagnostics – tous plus différents les uns que les autres – confortaient selon lui sa fille dans l’oisiveté. Il ne l’admettait guère. Judith était une lady, que diable ! Elle se devait d’assister aux réceptions, de boire le thé avec d’autres demoiselles et dames de son rang. Il avait plus d’une fois tapé du poing sur la table, plus d’une fois quitté le repas en marmonnant dans ses moustaches poivre et sel qu’il jurait de trouver une solution. Au fond, Judith savait qu’il pensait agir pour son bien. Chaque éclat de voix épuisait la jeune femme et les disputes se multipliaient ces derniers temps. L’Irlande offrirait peut-être le havre de paix dont elle rêvait tant. Elle sourit à cette perspective.
— Qu’est-ce qui vous égaie ? demanda sa mère d’un ton abrupt.
Son chapeau noir à fleurs et ses lèvres rouges pincées lui conféraient un air plus terrible que d’ordinaire. Le menton relevé, elle plissa ses yeux sombres, dans lesquels brillait un éclat qui trahissait sa froideur. Froideur quasiment indétectable sans ce regard perçant, scrutateur, car lady Mill, dès qu’elle ne s’attardait pas sur quelqu’un, était une femme comme une autre. Son visage ovale, sans la moindre jovialité, passait presque pour sympathique au cœur des mondanités. Rien d’hostile non plus dans sa posture imposante ni dans sa démarche ferme. Ainsi assise dans le fiacre, au repos, le cou dégagé et la tête haute, elle forçait le respect sans inspirer la crainte.
Pour toute réponse, Judith haussa les épaules.
— Comme c’est pratique de ne pas savoir parler, répliqua lady Mill.
Judith baissa le visage en signe de respect, mais estima qu’une fois de plus, sa mère se complaisait dans la désobligeance. Il devenait presque impossible d’essuyer ses remontrances sans un froncement de sourcils ou un rictus. Quand ses traits la trahissaient, lady Mill s’empressait de souligner combien la colère enlaidissait Judith. Son tempérament d’un calme déconcertant, cette aisance à embarrasser autrui d’une seule remarque la rendaient plus amère encore.
Leur relation avait toujours été tendue au possible, lady Mill n’ayant jamais admis le handicap de sa fille unique. Judith, elle, se persuadait qu’elle ne l’aimait guère. Elles évitaient de se croiser et Dieu merci, les innombrables couloirs qu’offrait un manoir leur permettaient de s’en tenir à des salutations d’usage. Judith jugeait que sa survie dépendait de ce principe élémentaire. Si elle écoutait sa mère, elle creuserait peu à peu sa propre tombe dans la dépression. Cependant, lord Mill adhérait maintenant aux opinions de son épouse, aussi poussait-il la jeune femme à se surpasser en dépit des recommandations du médecin. Elle s’en montrait incapable. Les efforts lui coûtaient, admettre qu’il fallait l’assister aussi. Davantage que tout le reste. Une ombre balaya son regard. Ses démons revenaient peu à peu malgré l’épuisement et la beauté de l’Irlande qui soufflait comme un vent nouveau sur sa vie. Déménager permettrait-il de faire table rase du passé ? Peu probable, mais pas impossible non plus. Seul le temps le dirait.
L’un des chevaux hennit et dut se cabrer, car une secousse ébranla le fiacre. Avec dignité, lady Mill se retint à la poignée de la portière pour ne pas glisser. Judith l’imita. La voix du cocher clama de ne pas s’inquiéter, le cœur de la jeune femme battait toutefois la chamade. Elle contenait sa peur avec peine, et le regard acéré de sa mère aiguisa son appréhension.
La voiture finit par se stabiliser et Judith pouvait à nouveau entendre les foulées rassurantes des sabots. Elle n’avait jamais vécu d’accident, mais l’un de ses rares