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Suivant les préceptes de saint Thomas, s’il y a bien quelque chose que l’on peut croire, c’est ce que l’on voit. Or, les habitants de Salem, petite bourgade du Massachusetts, l’ont vu, de leurs yeux vu. D’honnêtes hommes et femmes qui se tordent de douleur poussent des cris déchirants, comme torturés par des mains invisibles. Seule explication possible : la ville est victime d’une conspiration de sorcières orchestrée par Satan. L’histoire est bien connue depuis la pièce de théâtre d’Arthur Miller Les Sorcières de Salem, créée en 1953. Le dramaturge voulait alors dénoncer le maccarthysme qui sévissait aux États-Unis en exhumant cet épisode de folie collective survenu trois siècles plus tôt. Un habile parallèle, tant l’affaire est emblématique des ravages du conspirationnisme qui ne cesse de revenir hanter le pays, siècle après siècle.
Mais comment diable tout un village en est-il venu à adhérer à une théorie aussi grotesque que celle d’un complot satanique ? C’est que croire à l’existence du diable n’a justement rien de risible dans les premières colonies américaines où la religion, et en particulier le puritanisme, pèse de tout son siècle, tire son nom du fait que ses partisans souhaitaient « purifier » l’Église d’Angleterre de ses corruptions papistes. D’abord de l’intérieur ; mais les plus radicaux d’entre eux, lassés d’attendre que la reine et son Parlement procèdent à la purification de l’Église nationale par voie législative, décident rapidement de s’en séparer. Devenus en Angleterre, ils doivent se résoudre à la clandestinité ou à l’exil, d’abord vers la Hollande, puis vers les États-Unis. C’est ainsi que naît la Nouvelle-Angleterre, dans les années 1620. Un terrain propice au développement de courants de pensée ésotériques, et en particulier aux chasses aux sorcières, les femmes étant considérées par les dignitaires religieux puritains – et une part importante de la population – comme les alliées naturelles de Satan. Dans la seule Nouvelle-Angleterre, vingt-deux exécutions pour sorcellerie ont eu lieu entre 1649 et 1690. Tandis qu’à Salem, entre février 1692 et mai 1693, relativise Lauric Henneton, maître de conférences en civilisation des pays anglophones à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.