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« L’individualisme égocentrique est responsable du populisme »

Quelle lecture faites-vous des résultats des élections européennes ?

Thomas Bauer Les résultats sont intéressants. Le désastre des Verts allemands est notamment dû à l’idéologisation du parti, qui a souvent donné l’impression que la politique identitaire était plus importante pour lui que celle des transports, par exemple. A cela s’est ajouté un autre facteur négatif : les gens ne veulent pas d’un gouvernement divisé, ils veulent de la clarté, et tous les partis de cette coalition divisée ont donc obtenu de mauvais résultats. En France, le fait que le président n’ait pas de majorité stable à l’Assemblée nationale a sans doute également joué un rôle, ce qu’il souhaite désormais corriger. Enfin, les partis nationalistes populaires ont gagné partout, élus par des personnes qui ne sont pas particulièrement solidaires de leurs concitoyens, mais qui voient le peuple comme une sorte d’extension de leur propre moi, qui leur garantit clarté et pureté.

En effet, lors de ces élections, le chant de la raison a montré qu’il peinait à couvrir le bruit des sirènes du populisme. De quoi est-ce le symptôme ?

De nombreux bouleversements contemporains, notamment la montée des populismes, dissimulent un recul croissant de la tolérance à l’ambiguïté, c’est-à-dire de la capacité de supporter les contradictions, le vague et la complexité excessive. Ce phénomène est le fruit d’une siècle pour laisser place à l’idéologisation. En Europe, la situation n’était guère différente au Moyen Age : les scolastiques représentaient un modèle de tolérance à l’ambiguïté. La Réforme et les guerres de Religion y ont mis fin. Par la suite, une culture de l’ambiguïté s’est certes à nouveau développée à l’époque baroque, mais des philosophes ont voulu mettre un terme définitif à la confusion qui s’était manifestée lors des guerres de Religion et ont cru pouvoir créer un monde entièrement fondé sur la raison, dans lequel tout fonctionne selon des lois quasiment mathématiques et où les ambiguïtés sont abolies. Mais c’est une erreur : partout où l’on rase l’équivoque à grands frais, de nombreuses incertitudes repoussent aussitôt. C’est ce à quoi ont été confrontées les grandes idéologies du XIX siècle, finalement la technicisation et la bureaucratisation de la modernité ont permis à une mentalité intolérante à l’ambiguïté de se développer. Les troubles engendrés par les scissions et oppositions religieuses, que l’on a tenté de surmonter par la recherche de l’univocité, ont conduit à une multiplication de ces troubles et débouché sur les catastrophes du XX siècle. Et là encore, on a cru que la création d’un monde univoque permettrait de surmonter ces dernières et d’empêcher les affrontements futurs.

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