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Le faussaire, le dealer et l’expert

ENQUÊTE

Comment réagiriez-vous si un juge vous condamnait à une amende de 206 millions d’euros ? Selon les tempéraments, on peut imaginer des pleurs, peut-être quelques gémissements de désespoir. D’autres resteraient abasourdis, le regard perdu devant cette somme vertigineuse. Pas vraiment le genre de Julien V. Le 5 avril, quand le président de la 13e chambre du tribunal correctionnel de Paris lui a annoncé sa condamnation, le prévenu semblait presque amusé. Lunettes fumées, fine moustache, il cabotinait dans le box, sans jamais se départir de cette irrévérence affichée pendant la quinzaine de jours qu’a duré son procès. Les 206 millions d’euros d’amende douanière prononcée à son encontre paraissaient glisser sur lui. Et les quatre ans et demi de prison ferme ? Presque une anecdote.

La peine est tout de même suffisamment exceptionnelle pour faire l’objet d’une alerte AFP. Elle vise un prévenu même pas trentenaire, accusé d’avoir inondé la France, voire l’Europe, de fausses montres de luxe. Lui-même a avancé le chiffre de 12 000 copies avant de minimiser l’ampleur de son forfait. D’autres spécialistes évoquent plus de 50 000 contrefaçons. La vénérable fédération de l’industrie horlogère suisse, partie civile au procès, a estimé le préjudice à 362 millions d’euros, surtout pour des fausses Rolex mais aussi des Patek Philippe, Richard Mille, Cartier ou Audemars Piguet, toutes imitées avec un minutieux sens du détail. Selon une légende invérifiable, plusieurs horlogers se seraient aussi laissé berner par la qualité de ces montres en toc, fabriquées en Chine.

Au lieu de s’expliquer, Julien V. a préféré jouer l’effronté, une stratégie rarement gagnante devant un tribunal. De ce procès, il s’en « [battait] les couilles », a-t-il prévenu. De toute façon, il s’enrichissait, même détenu, grâce à ses investissements dans les cryptomonnaies : « Je regarde la télé, je vois que le bitcoin monte. Moi je sors dans cinq ans, j’ai tout ce qu’il me faut. » Avant la première audience, il avait aussi répudié ses deux avocats. Personne n’était présent à son côté pour lui conseiller de ne pas tutoyer le président du tribunal ou de ne pas traiter l’un des avocats de « guignol ». Mais Julien V. était-il si peu soucieux de son avenir ? Quelques jours après le rendu du délibéré, il a tout de même interjeté appel et embauché une nouvelle avocate. Il demeure donc toujours présumé innocent – raison pour laquelle je préfère taire son nom – et réserve encore ses explications. Pendant le procès, il avait promis quelques révélations sur le monde feutré de l’horlogerie. « Je parlerai aux journalistes quand je sortirai », lançait-il en direction des bancs

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