Avec son émission « Apostrophes », il a transmis aux Français le plaisir de la lecture. Et fait descendre la littérature de son Olympe
Avec ce gourmand des mots, on avait l’impression de pouvoir tutoyer les sommités littéraires, de Yourcenar à d’Ormesson
Par Karen Isère
De tous les mots du monde, Bernard Pivot préférait « aujourd’hui ». Pour son arôme de café fraîchement moulu et pour son apostrophe : comme l’accent circonflexe, il y voyait un accessoire haute couture, indispensable à l’esthétique de la langue. Son « Apostrophes » à lui deviendra mythique. Décor rassurant mais programme à haut risque : dès le départ, il s’agit de suspendre les clichés pour mieux surprendre. De polémiques en confrontations, de confidences en souvenirs, l’émission aura eu son lot de temps forts. Morceaux choisis. Cinquante ans après la naissance de Tintin, Hergé raconte qu’il s’agissait pour lui d’une « petite farce sans lendemain »… Renaud, lui, confie avoir commencé à chanter « en plaquant trois accords craignos » sur un poème pour épater les copains. Quant au subtil Léo Ferré, il avoue avoir écrit « Avec le temps »… en deux heures.
La poésie relève parfois de la survie. « L’écrivain que vous voyez, c’est la prison qui l’a forgé », lance Alexandre Soljenitsine : pour ne pas se dissoudre dans l’enfer sibérien, il composait chaque jour une vingtaine de vers, les apprenait par cœur et brûlait le bout de papier. Puis il répétait ceux qui les avaient précédés, soit quelque 12 000 vers à la fin. Pivot vouera une admiration sans borne à ce rescapé du cancer, de la guerre et du goulag : « C’est un de ceux qui allaient foutre