Un vent frais d’automne souffle sur le balcon du palais vénitien de la Fondazione Prada. C’est cet endroit que Miuccia Prada a choisi pour son shooting photo : son manteau de soie rouge, issu de sa toute première collection en 1988, et son pull citrin forment un contraste frappant avec le ciel de novembre, l’eau du Grand Canal d’un gris argenté et l’emblématique ocre qui habille les immeubles d’une Venise déliquescente. Elle ne porte pas de maquillage, et les boucles de sa chevelure mi-blonde mi-auburn retombent négligemment sur ses épaules. Elle rit dès que la brise marine soulève sa chevelure, se comparant à Cindy Crawford.
Après la séance, nous nous mettons à table pour le déjeuner. Madame Prada retire ses colliers en or, les place sur une chaise à côté d’elle, comme pour délaisser les lourdes chaînes de sa fonction, et entreprend de nous servir de généreuses portions de riz à la manière d’une mama italienne. Le repas est tout en simplicité : du poulet, des endives braisées, des épinards et de la salade. Les légumes, nous explique-t-elle, viennent de son jardin en Toscane – bien sûr, elle s’intéresse à la façon dont on entretient un potager. Je suis sur le point d’apprendre qu’à vrai dire, il existe peu de choses auxquelles elle ne s’intéresse pas.
À l’âge de 74 ans, Miuccia Prada me fait penser à la reine Elizabeth II : une dame âgée, plutôt petite, habillée avec goût, imposant une présence royale du fait de sa voix douce et de sa curiosité sincère à l’égard des choses et des gens autour d’elle. Elle est étonnamment chaleureuse, pleine d’autodérision, et rit d’un ton clair et musical. Nous parlons de l’exposition à l’affiche de la Fondazione Prada, Everybody Talks About the Weather, mettant en scène un dialogue captivant entre peintures classiques, œuvres d’art contemporaines et informations scientifiques à propos de la crise climatique. Miuccia Prada se désole de ses difficultés à trouver des conservateurs sachant lier l’art et la recherche universitaire afin de mettre en place les expositions pluridisciplinaires et ambitieuses qu’elle voudrait que la Fondazione abrite. Elle a notamment éprouvé beaucoup de difficultés à trouver la bonne personne pour diriger une exposition sur le féminisme : qui était capable de tracer une ligne directrice cohérente pour un sujet aussi vaste, et d’interroger avec clarté des concepts aussi complexes ? “Je veux rendre la culture attirante.” À la fin du déjeuner, Madame Prada aide à débarrasser la table, remet ses colliers, et notre interview peut commencer.
“La mode représente un tiers de ma vie”, me dit Miuccia