Le 24 février 2022, jour de l’attaque orchestrée par Vladimir Poutine contre l’Ukraine, deux bateaux militaires russes prennent d’assaut l’île des Serpents, un rocher stratégique situé au nord-ouest de la mer Noire. L’un des commandants somme les gardes-frontières de se rendre : « Sinon, vous serez bombardés. » La réponse radio fuse : « Navire russe, va te faire foutre. »
Le lendemain, dans son atelier à Paris, Émeric Lhuisset, artiste plasticien de 40 ans qui travaille sur les zones de conflit, est pendu au téléphone. Il était en Ukraine en 2014 lors de la révolution de Février. Et tente ce jour-là d’aider ses amis qui hésitent les uns à aller se battre, les autres à s’exiler. Soudain, il entend l’enregistrement de l’échange de l’île des Serpents devenu viral sur toute la planète : « Navire russe, va te faire foutre. » L’artiste esquisse un sourire. Les gardes-frontières ont sans doute été massacrés. Mais cette réplique est un signe. Les Ukrainiens vont résister.
Immédiatement, il songe à un célèbre tableau d’Ilya Répine, On y voit le chef cosaque, entouré de ses hommes hilares, dictant sa missive à son scribe. Émeric Lhuisset a redécouvert cette peinture lorsqu’il est allé, il y a presque dix ans, concrétiser un projet artistique ambitieux : photographier cent militants de Maïdan, la place de l’Indépendance de Kiev devenue le symbole de la résistance. Dans la rue, les manifestants brandissaient des affiches de la toile de Répine, pour rappeler comment au XVIIe siècle les ancêtres des Ukrainiens, alors en guerre contre l’empire ottoman, avaient répondu aux sommations du sultan en le couvrant d’insultes.