DANS LES PILES
Une danse à multiples temps, une valse-hésitation entre certitudes et questions, entre évidence et dégoût. Il fut un temps où Nicolas Delesalle était russe et fier de l’être. Et même s’il ne parle pas la langue, il s’est toujours su différent. Son visage aux pommettes hautes, sa babouchka mélancolique qui fumait des menthols pour oublier saselon un calendrier mystérieux. Sa mère, professeure de russe excentrique, a œuvré à lui transmettre cette identité. Des voyages organisés par maman en Russie soviétique, l’amour rencontré à 16 ans dans le train la Flèche rouge qui reliait Moscou et Léningrad l’ont conforté dans l’idée d’une appartenance. Devenu reporter, il a même embarqué avec lui sa génitrice comme interprète. Mais en 2022, sentant l’offensive imminente de Poutine contre l’Ukraine, il décide de s’y rendre une semaine avant que le premier missile ne tombe sur Kiev. Delesalle et son photographe se retrouvent dans le Donbass, en quête d’un poste avancé sur le front. Viennent alors les premiers doutes. Que fait-il ici? Cette guerre n’est pas la sienne. Après l’attaque il doit évacuer vers Lviv depuis la gare de Zaporijjia dans un train hors d’âge avec des civils. Il a soudain le sentiment d’être à sa place, au cœur de la tragédie, pour témoigner. Les anecdotes s’enchaînent. Ainsi Sacha, vieux soldat qui pilota des hélicos au-dessus de Tchernobyl en 1986. À 73 ans, il a voulu participer encore à l’effort de guerre, alors on l’a envoyé sur le front. Là on lui a confié un jeune Russe de Wagner, un prisonnier échangeable un jour contre un Ukrainien. Les deux hommes s’apprivoisent, jouent aux échecs. Peu à peu, Sacha, qui a perdu son fils, se prend d’affection pour le jeune orphelin, emprisonné pour vol puis recruté par Prigojine. Une victime, en somme, une de plus. Rien n’est simple dans cette histoire, surtout pas le cœur des hommes et leurs déchirures intérieures. Au cours de multiples voyages à l’Est, cherchant l’âme russe, témoin de la montée inexorable de Poutine, Nicolas Delesalle a compris une chose: il est avant tout un Français et un Européen. Il nous donne avec cette l’histoire forte d’un héritage qui éclaire et humanise un homme.