L'Express

Jimmy Goldsmith le flamboyant

La silhouette est voûtée, la peau ridée. Comme abattu, Giscard regarde un écran télé. Mitterrand s’y exprime, conquérant. Il semble bien plus jeune. Certes, ce n’est pas une photo, mais un montage. Et c’est tout le problème. Car c’est de la couverture de L’Express du 5 mai 1981 qu’il s’agit. Une diffusion à 520 000 exemplaires. A moins d’une semaine du second tour de l’élection présidentielle que Valéry Giscard d’Estaing perdra face à François Mitterrand, qui deviendra ainsi, le 10 mai, le premier socialiste à endosser le costume suprême de la Ve République.

Pour le propriétaire de L’Express, c’en est trop. Le libéral archiconvaincu, l’anticommuniste notoire, ne peut accepter que son propre journal désarçonne si près de l’obstacle son candidat naturel, qu’il a toujours défendu – au moins publiquement – avec son ami le Premier ministre Raymond Barre. Sir James Goldsmith – Jimmy pour quelque 20 000 intimes – contre-attaque et limoge, dès le surlendemain, le rédacteur en chef de L’Express, Olivier Todd, figure du premier news magazine français, journaliste respecté à Paris et même au-delà, déclenchant immédiatement un séisme violent au sein de la rédaction. Solidaire, son emblématique directeur Jean-François Revel, un des esprits les plus brillants de sa génération, lui emboîte le pas, ainsi qu’une douzaine de plumes réputées.

Sans perdre de temps, Jimmy Goldsmith recompose alors une équipe de direction. Il confirme la présidence du comité éditorial au grand philosophe Raymond Aron, nomme Yves Cuau, un ancien du Figaro, à la direction de la rédaction, Yann de l’Ecotais à ses côtés…

Cet épisode, qui pourrait somme toute passer pour assez classique dans l’histoire de la presse française – quel journal n’a pas connu des changements forcés de direction ? –, prend ici une dimension qui dépasse le simple cadre de la presse. A cause du contexte présidentiel avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, bien sûr ; du fait aussi – et surtout – de la personnalité unique et inclassable de ce Jimmy Goldsmith, personnage haut en couleur et « flambeur impénitent », comme l’écrira En témoignent son cursus de milliardaire anticonformiste et la forte attraction que constituait immanquablement chacune de ses rencontres et chacun de ses échanges, y compris avec ceux qu’il avait pu blesser. Ainsi Jean-François Revel, philosophe journaliste probablement inégalé, dont les témoignages successifs, tantôt admiratifs, tantôt dépités (le mot est faible) ont émaillé une décennie de collaboration pour le moins stimulante auprès de Jimmy – qu’il a racontée dans ses formidables sous-titrés (Plon) –, conclut d’une formule brutale cette relation empreinte d’affection et de déception : « Devant une résistance, cet homme affable et bien élevé pouvait alors rentrer dans une colère d’une férocité qui frôlait la démence et l’amenait à détruire en une minute le fruit d’un long travail ou d’une vieille amitié… » « Quoi ?, s’emporta Jimmy auquel nous rapportions cette phrase, il a écrit ça ? Mais il n’a pas compris que ça faisait vingt ans qu’il me faisait chier ! » Comme disait Gainsbourg, je t’aime… moi non plus. Autre époque, autre style.

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