Nos reporters ont accompagné les hommes de la 81e brigade d’assaut aérien, voltigeurs de la contre-offensive
Ultramobiles et inventifs, ils récupèrent les armes, en bricolent de nouvelles, inattendues
Evgueni se cramponne au volant : « Si je ralentis trop, je suis mort ; si je tombe, je suis mort et le matériel aussi »
Un jour, une carpe échouée dans un lac asséché creusa un trou pour y chercher de l’eau. N’en trouvant pas, elle en est ressortie transformée en dragon. En retroussant la manche de son tee-shirt kaki, le commandant Evgueni dévoile le tatouage représentant une carpe koï transfigurée, fendant la terre en crachant du feu. Il existe plusieurs versions de cette légende japonaise, mais il a retenu l’histoire de l’animal innocent que le destin a forcé à se transformer en monstre. « On ne voulait pas de la guerre, dit-il en enfilant sa veste d’uniforme bardée de têtes de mort. Ils nous l’ont imposée et maintenant ils ont peur de nous. »
Stationné depuis huit mois au nord de Bakhmout, à une dizaine de kilomètres du front, ce gradé de 39 ansbrigade, un petit groupe dont le signe distinctif est de rouler à bord de buggies, des véhicules rapides et tout-terrain, parfois utilisés par les forces spéciales. Au début de la guerre, ces hommes ne connaissaient rien aux armes. Engagés par devoir – ou par obligation –, ils étaient les « livreurs » des lignes de front : dépose express de munitions, évacuation minute de blessés. Aujourd’hui, ces carpes du 90régiment se sont transformées en dragons. Leurs kalachnikovs abattent les drones russes, leurs gros calibres, les mitrailleuses et les blindés. Leur fameux « sens de l’adaptation » vanté par le commandant Evgueni – un grand classique dans la rhétorique des forces ukrainiennes – les a amenés à monter des lance-roquettes SPG-9 sur leurs buggies. Cette arme indémodable de facture soviétique est un canon sans recul, simple à manœuvrer. « Au début, on a tâtonné, et maintenant ça marche », se félicite Vlad, un ancien garagiste à Kharkiv, dont les yeux rougis par la poussière et le manque de sommeil couvent dix-huit mois de guerre sans un seul jour de permission. Mobilisé, dit-il, parce qu’il n’avait pas le choix, il opère dans cette horde aux allures de « Mad Max ».