Guerres & Histoires

LA MORALE, LA CHANCE ET L’OBSTINATION

e 16 décembre 1740, sans déclaration de guerre préalable, 27 000 soldats prussiens franchissent les frontières de la Silésie autrichienne. Le 2 janvier 1741, ils font leur entrée dans la capitale régionale, Breslau. L’invasion n’a pas de véritable motif: le roi de Prusse, Frédéric II, entend surtout bénéficier du flottement politique apparu dans la monarchie habsbourgeoise avec la succession de l’empereur Charles VI, qui par la Pragmatique Sanction a laissé son trône à sa fille, Marie-Thérèse. Aux yeux du très misogyne siècle une riche région agricole et minière, fortement peuplée, qui promet de fournir au royaume de Prusse recrues et recettes fiscales. En outre, la vallée de l’Oder qui la traverse est la position clef de toute l’Allemagne orientale, permettant à qui la contrôle de tenir sous sa coupe le Brandebourg – cœur de la monarchie prussienne – la Saxe – duché autonome – et la Bohême, chère aux Habsbourg de Vienne. En outre, la position de la province entre le Saint-Empire romain germanique et la Pologne-Lituanie en fait également une position avantageuse pour peser sur les affaires de ces deux entités politiques et contrôler les échanges entre Europe centrale, d’un côté, et Europe orientale de l’autre. Ces considérations strictement géopolitiques et stratégiques n’offrent toutefois à Frédéric II aucune justification morale à produire devant ses contemporains: l’invasion est vue, à travers l’Europe, comme une agression gratuite et injustifiée, et la Prusse devient, avant l’heure, un « État voyou » que les chancelleries imaginent bientôt de démanteler, ou de remplacer le souverain. De ce moment, le destin de la monarchie prussienne ne tient plus non pas à un fil, mais à une mince file: celle de l’ordre serré de ses troupes. En violant ce qui ne s’appelle pas encore le droit international, mais à tout le moins les bonnes manières diplomatiques, Frédéric livre son royaume au hasard des combats, ouvrant pour celui-ci et l’Europe centrale une période de troubles longue de vingt-trois ans. La première guerre de Silésie dure deux ans, et est couronnée de succès côté prussien grâce à une victoire nette à Chotusitz le 17 mai 1742. L’Autriche, affaiblie par la guerre de succession qui porte son nom et l’oppose notamment à la France avec pour enjeu le contrôle du Saint-Empire, doit céder l’essentiel de la Silésie au roi de Prusse. Le problème pour celui-ci est que sa conquête n’est reconnue que sous la contrainte par la cour de Vienne. Marie-Thérèse, qu’il méprise, devient sa plus habile et plus acharnée adversaire. La guerre pour la Silésie reprend en 1744, sans que l’Autriche ne parvienne à rétablir sa fortune, puis la province devient le grand enjeu – avec la Saxe, autre position clef en Allemagne – de la guerre de Sept Ans, de 1756 à 1763. Cette fois, Frédéric et la Prusse passent à plusieurs reprises près du désastre. Ils ne sont sauvés que par un « miracle »: la mort en 1762 de la tsarine Élisabeth et le retournement d’alliance opéré par son neveu, le prussophile Pierre III, qui jette par-dessus les moulins les victoires russo-autrichiennes. La chance seule a sauvé le trône de Frédéric. Dans un âge où l’idéologie et la morale pèsent modérément sur la politique étrangère des États, non seulement il conserve sa conquête silésienne – il doit rendre son indépendance à la Saxe – mais encore il assure la place de la Prusse dans le concert européen.

Vous lisez un aperçu, inscrivez-vous pour lire la suite.

Plus de Guerres & Histoires

Guerres & Histoires1 min de lecture
LES CAHIERS SCIENCE & VIE
En vente actuellement chez votre marchand de journaux et sur www.kiosquemag.com VENTE ET ABONNEMENT
Guerres & Histoires3 min de lecture
Le Iiie Reich, De L’apogée À La Chute
Novembre 1942: les armées de l’Axe sont aux portes de l’Égypte et de Stalingrad. Leur victoire semble proche, tout comme dans le Pacifique, mais sur tous les fronts, « the writing is on the wall ». C’est le moment choisi par Chad Jensen pour commence
Guerres & Histoires12 min de lecture
Taillebourg, 1242: louis Ix Gagne La Saintonge Sans Coup Férir
Delacroix en a fait en 1837 un tableau célèbre (voir p. 74), qui reste à ce jour une toile-monument dans la galerie des Batailles du château de Versailles: y figure saint Louis, marteau d’arme en main et monté sur un blanc destrier, chargeant les An

Associés