Le siège de Yohji Yamamoto à Paris est discret et anonyme, abrité dans un immeuble d’allure respectable niché dans une rue étroite du Marais. Sitôt le seuil franchi, la présence du maître se fait pourtant sentir, dans ce vestibule sobrement meublé, dominé par le béton. Un nuage de fumée de cigarette vous enveloppe immédiatement, comme si l’on venait de pénétrer dans un salon parisien des années 1920 ou un bowling américain des années 1980. Pas de doute, Yohji est là.
DANS UN COIN DU VASTE SHOWROOM du rez-de-chaussée, assis autour d’une petite table ronde avec quelques associés de son bureau de Tokyo, le pape de la mode d’avantgarde fume paisiblement une clope. Des portants de vêtements — la plupart noirs, sa signature — et une poignée de tables, autour desquelles s’affairent acheteurs et commerciaux, remplissent l’espace. C’est ici que deux jours avant, Yamamoto a présenté sa dernière collection, la ligne automne-hiver 2023 pour hommes. Comme toujours, le défilé était bondé. Yamamoto est l’un de ces rares créateurs à attirer non seulement les habituels initiés de l’industrie et autres chasseurs de célébrités, mais aussi de véritables hordes de fans vêtus en noir de la tête aux pieds. C’est la fameuse nuée de corbeaux de Yamamoto, ou karasu-zoku, le terme japonais dont on les a affublés lorsque la renommée et l’influence du Japonais ont connu un premier pic voici une quarantaine d’années.
ANTICONFORMISTE et intransigeant, Yamamoto, 79 ans, a toujours été un rebelle et demeure encore aujourd’hui la force créatrice d’une maison de mode à la portée mondiale. Après le défilé de la Fashion Week de Paris et l’after-party, les affaires commencent. Le showroom est toujours aussi animé qu’il l’était dans les années 1980 ou 1990. Assis dans son coin, le créateur dirige ses équipes commerciales tel un chef d’orchestre, une cigarette en guise de baguette.
Nous nous saluons, échangeons quelques mots, puis il me fait signe d’entrer dans l’ascenseur. On sait qu’à Paris, ces derniers sont souvent petits et tombent régulièrement en panne. Yamamoto explique que celui-ci n’arrive pas toujours au dernier étage, où nous nous rendons. En mon for intérieur, je me prends à espérer que nous nous retrouvions coincés dedans, coupés de l’effervescence extérieure, pour pouvoir m’entretenir des heures durant avec lui. Car l’homme n’est pas avare de ses réflexions et se livre volontiers. On lui doit deux ouvrages sur sa carrière, Wim Wenders lui a consacré un documentaire, et il a écrit une série de chroniques dans le magazine japonais Nikkei Asia. Mais, à ma connaissance, aucun journaliste ne s’est jamais retrouvé coincé avec lui dans un ascenseur riquiqui.
nous arrivons sans heurt à bon port, au dernier